Le Noctilien est plus qu’un transport obligé pour les fêtards franciliens. C’est une galerie de portraits, dans laquelle Victor Hugo aurait sûrement trouvé son inspiration. En tout cas, Mohamed se délecte à chaque fois. 

Vendredi soir après une journée de dur labeur, je décide de décompresser en passant ma soirée dans une boite de nuit parisienne. Bien qu’étant l’heureux propriétaire d’une voiture, le déplacement se fera en transport en commun. N’y voyez guerre dans cette démarche le fruit d’un amour inconditionnel entre ma personne et la planète Terre, mais plutôt une crainte de tenir les murs de la fourrière. À ce propos, comment les écologistes peuvent-ils défendre une planète qui aurait succombé aux charmes de Paco Rabanne ? Bref.

Bourré à l’Orange Juice*, j’enflammerai la piste de danse de la boîte nuit. Une fois les projecteurs éteints et la Friday night fever passée, la question du retour à la maison se pose. Le taxi ? Trop cher. Et cette exubérance souillera mon ex-carrière de fraudeur de train. En plus, frimer c’est haram. Il est environ 4 heures du matin et mon postérieur ira donc tutoyer le banc d’un arrêt de bus. Assis tel un clown triste, j’attends l’unique bus qui assure le service : le Noctilien.

Pour la RATP et la SNCF, le Noctilien est « un service de bus performant qui facilite le déplacement » et qui nous offre « une meilleure qualité de vie ». Mais pour moi, ce n’est qu’une ligne de bus pour les bourrés. Des bus dans lesquels les mondes se côtoient et s’entrechoquent parfois.

Après une demi-heure d’attente, notre Poudlar express Paris – Banlieue pointe le bout de son nez. Une fois à l’intérieur pas de magicien aux lunettes rondes encore moins de créatures magiques. Mais des êtres sortis tout droit des Misérables. Victor Hugo aurait sans doute trouvé l’inspiration sur cette ligne de bus pour une version moderne de son célèbre roman. Une peinture de Paris by night en somme.

Le tome I commencerait sans doute par le portrait du sans-abri que j’aperçois à l’arrière du bus. Logé confortablement au fond, le bougre profite (allègrement ?) du bus pour effectuer une balade nocturne à travers la ville. Le regard dans le vide, l’homme semble être gagné par la nostalgie de sa vie antérieure. Sa présence n’est pas le fruit du hasard, de nombreux sans-abris choisissent ce toit provisoire.

Le roman s’attarderait ensuite sur l’une des espèces propres au Noctilien : le dragueur de minuit. Ce prédateur est prêt à tout pour combler son manque affectif. Il veut de la chaleur humaine et le fait savoir. Généralement accompagné de deux de ses compères, il tire sur tout ce qui respire. Des Parisiennes à peine majeures, aux jeunes femmes visiblement éméchées par l’alcool, en passant parfois par des touristes. Eh oui, le dragueur de minuit est aussi un dragueur sans frontières aux méthodes souvent étranges. « Hey les filles, non, mais allô quoi ! Allô ! », est la sortie la plus intéressante qu’il m’ait été donné d’entendre ce soir là. De quoi faire chavirer le cœur de Hadjila Moulalek, je vous l’accorde.

En ce qui me concerne, je m’entiche toujours pour les dragueurs de minuit, car plus ils excellent dans leur art et plus mes chances de voir ma photo en couverture de Paris match, avec la mention « Moha, le plus grand séducteur du monde », augmente. Ce n’est pas de la condescendance de ma part. J’admire juste les effets de la sélection naturelle. Toutefois le dragueur de minuit n’est pas le seul spécimen sur les lignes de bus nocturne. Durant le weekend, il y a un autre genre de passager qui lui tient la dragée haute : les bourrés.

De mon point de vue, ces derniers sont l’âme du Noctilien, car lorsque l’on pense au Noctilien, l’on pense forcément à eux. Vous rencontrerez à coup sûr, un de ces amoureux de la bouteille flirtant parfois avec le coma éthylique à l’arrière du bus. Souvent en groupe, ils sont jeunes et pour eux la fête ne peut se concevoir sans plusieurs grammes d’alcool dans le sang. Mais il y a deux type de bourré. Le silencieux qui s’endort dans les bras de sa copine et le bourré surexcité. Ce dernier est de loin mon préféré, car il a le mérite de me faire marrer. Complètement torché, il raconte souvent des âneries et fait n’importe quoi au grand dam de ses camarades restés sobres, qui essaient de le calmer par tous les moyens. C’est parfois burlesque et forcément drôle.

Parmi tout ce beau monde, on y trouve tout de même de braves gens. Ils ont généralement la mine serrée ou le visage marqué par la fatigue. Ces braves gens ce sont les travailleurs. Ils utilisent le Noctilien pour aller ou rentrer du travail. Ils sont généralement assis à l’avant du bus et ne prêtent guère attention aux autres usagers. Et il est vrai que les bus de nuits facilitent la vie de ses personnes.

Dorénavant, vous savez à peu près tout sur le monde folklorique du Noctilien durant le week-end. Les remerciements se feront à l’adresse suivante : Moha_Plus_Grand_Seducteur@bondyblog.fr. Mais avant tout autre chose, n’oubliez pas que dans le Noctilien c’est toujours la même histoire et les mêmes personnages.

« Ces pauvres êtres vivants [assis dans le Noctilien] ces créatures de Dieu…s’en allèrent au hasard, qui sait même ? Chacun de leur côté peut-être, et s’enfoncèrent peu à peu dans cette froide brume où s’engloutissent les destinées solitaires, mornes ténèbres où disparaissent successivement tant de têtes infortunées dans la sombre marche du genre humain ». Victor Hugo, Les Misérables, Tome I, livre 2, chapitre 6.

Mohamed K.

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