17h25, dimanche 12 mars. Aux manettes, le speedrunner Rudyyy slalome entre les boules de feu, les tortues vénéneuses et les multiples pièges qui jalonnent le parcours du dernier monde de Super Mario Bross : The Lost Levels. Précipitation, stress, fatigue tout s’entremêle et après 30 minutes de jeu effréné, de petites erreurs apparaissent et les « game over » s’enchaînent.

Mais derrière lui, dans l’amphithéâtre du Palais des Congrès, les encouragements ne faiblissent pas. Chaque saut du plombier à la moustache la plus célèbre de l’histoire des jeux vidéo est célébré. Depuis près de 72 heures, ils sont 650 à encourager les joueurs qui se succèdent sur scène. Sur la plateforme de streaming vidéo Twitch, ils sont 72 000 à suivre l’évènement en direct.

Face à cet élan de soutien, Rudyyy trouve son second souffle et l’état de grâce s’ensuit. Une unique tentative lui suffit pour terminer le niveau final du jeu. Un tonnerre d’applaudissements jaillit du public. Performance enregistrée : 34 minutes et 40 secondes. De son côté, la cagnotte affiche un montant de 516 000 euros récoltés. L’annonce de chaque don est rythmée d’un traditionnel « oé, oé, oé » scandée par les ambianceurs de l’évènement, des personnalités de la communauté francophone des jeux vidéo, repris en boucle par le public.

Parmi ces stars de Twitch, sont présents pêle-mêle : Hugo Délire, DamDam, Gom4rt, Yamato, Antoine Daniel, et évidemment Mister MV. Ce dernier, qui culmine à près de 840 000 abonnées sur Twitch, organise l’évènement avec Médecin du Monde pour la troisième année consécutive. Il se réjouit du succès et de la pérennité naissante de ce marathon caritatif.

Cette édition est marquée par les tremblements de terre en Turquie et en Syrie

« L’année dernière, nous avions récoltés 800 000 euros alors cette année, nous visons le million. Évidemment, cette édition est marquée par les tremblements de terre en Turquie et en Syrie… Les équipes de Médecins du monde auront besoin de cet argent pour aider les populations sur place. » Mais au-delà d’offrir à l’ONG une capacité de réaction aux drames provoqués par des catastrophes naturelle, l’objectif est de soutenir ses actions dans la durée.

« Ces quatre jours sont l’occasion de mettre en lumière le travail de Médecin du monde dans d’autres dimensions plus sensibles politiquement. Je pense à l’accès aux soins pour tous, l’accompagnement des populations en exil, des travailleuses du sexe, ou encore des usagers de drogue », souligne l’homme de 42 ans.

« La capacité de mobilisation de cette jeunesse est extraordinaire. »

Revenu de Syrie le jeudi 9 mars pour lancer l’évènement, Joël Weiler, directeur général de Médecin du monde, salue la mobilisation de cette communauté. « Beaucoup de choses se disent sur la jeune génération. Selon certain, elle serait désinvestie et désintéressée des maux du monde. C’est faux et Speedons en est le parfait exemple. La capacité de mobilisation de cette jeunesse est extraordinaire. Rendez-vous compte, depuis trois ans, nous récoltons des milliers d’euros en jouant à des jeux vidéo », s’étonne sourire aux lèvres celui qui dirige l’association depuis 12 ans.

« Tout cela démontre qu’il est essentiel de créer des ponts entre des univers qui ne se parlent pas forcément, mais qui partagent des valeurs communes », estime Joël Weiler.

Avec une capacité d’accueil de 650 personnes, cette troisième édition affiche complet pour le vendredi, le samedi et le dimanche. Dans les couloirs du Palais des Congrès, près de 140 bénévoles œuvrent de concert. Au stand de sensibilisation de l’ONG, Léa échange avec les participants et assure la vente de tee-shirt au profit de l’association. Fan de speedrunning depuis 2014 – la discipline consiste à terminer un jeu vidéo le plus rapidement possible – la jeune femme de 32 ans incarne les « ponts » que Joël Weiler souhaite ériger. Infirmière de profession, elle a rejoint les rangs de Médecins du monde après avoir participé à l’édition 2022.

Ce genre d’évènements permet de sensibiliser davantage de personnes

Désormais, sur son temps libre, elle assure l’accueil des personnes migrantes, dans l’antenne que l’association tient au métro La Chapelle dans le 19ème arrondissement de Paris. « Nous effectuons une veille sanitaire auprès des personnes éprouvées par leur parcours migratoire et leur vie dans la rue. Les besoins en soins et en aides psychologiques sont conséquents. Ce genre d’évènements permet de sensibiliser davantage de personnes et pourquoi pas, comme ce fût le cas pour moi, de pousser des gens à s’investir dans le bénévolat. »

« Le monde du jeu vidéo souhaite montrer qu’il existe et que sa communauté n’est pas déconnectée du monde réel »

Selon Joël Weiler, le cas de Léa n’est pas isolé. « Beaucoup de rencontres se font ici. Les fans de speedrunning sont nombreux à venir nous trouver pour proposer leur service. Qu’ils soient ingénieur, informaticien ou communicant, les gens souhaitent apporter leur pierre à l’édifice. » Alors que le stand de tee-shirt approche la rupture de stock – plus de 27 000 ont été vendus pour un montant de 305 338 euros – Léa abonde dans le même sens. « Le monde du jeu vidéo souhaite montrer qu’il existe et que sa communauté, bien qu’en apparence introvertie, n’est pas déconnectée du monde réel. »

Un couple joue à Street Fighter dans le salon rétro / ©RémiBarbet

Dans les couloirs, loin de l’ambiance électrique de l’amphithéâtre, des consoles vintages, équipées de jeux iconiques en libre accès, ravissent les passionnés. Sega Dreamcast pour s’affronter sur le célèbre Street Fighter 2, PlayStation 2 pour conduire à toute allure sur les circuits du mythique Grand Turismo 4, ou encore, une Nintendo Game Cube pour jouer à l’inévitable Mario Kart Double Dash etc. « C’est aussi la force de l’évènement », précise Mister MV.

« Désormais, l’univers des jeux vidéo concerne presque toutes les générations. Nous associons passion et sensibilisation pour les 7 à 77 ans », ironise l’organisateur de l’évènement. Emmanuel, 30 ans, assure l’animation de cette espace. Analyste en laboratoire, il a posé deux jours de congés pour venir aider bénévolement. « J’aime beaucoup le speedrunning et les valeurs que sa communauté véhicule. Je ne peux pas forcément me permettre de donner une fortune, alors j’ai choisi de donner de mon temps », explique-t-il. 

« Cette somme, indépendamment de son volume, est fondamentale, car elle nous offre une liberté d’action »

21h30, des chants résonnent dans les gradins. « Le million, le million !! » Sur l’écran, le montant de la cagnotte monte frénétiquement. À 21h34, la barre symbolique est atteinte. La foule exulte. « Ces dons sont une respiration, s’exclame au micro le directeur de l’ONG. Cette somme, indépendamment de son volume, est fondamentale, car elle nous offre une liberté d’action. Elle permet à l’ONG d’être réellement indépendante et de pouvoir entreprendre sans dépendre de financements publiques. » Une respiration que les organisateurs de SpeeDons, tout comme l’ensemble des passionnés présents, espèrent apporter de nouveau à l’association lors d’une nouvelle édition l’année prochaine.

Rémi Barbet

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