Il était surnommé le « thénardier de Grigny 2 ». L’ingénieur Dominique F. sera fixé sur son sort dans la journée. Propriétaire de 40 appartements dans la copropriété la plus pauvre de France, il en avait divisé certains et louait des chambres de 9 m2 pour 480 euros par mois, à des personnes étrangères ou à des mères célibataires. Devant la Cour d’appel de Paris, le 6 septembre dernier, l’avocate générale avait requis 100 000 euros d’amendes et un an de prison avec sursis.

Avec 60 dossiers transmis à la justice depuis 2018, la ville de Grigny avait pourtant fait de la lutte contre les marchands de sommeil une priorité. Tout comme le président Emmanuel Macron, qui, lors d’un passage à Marseille en juin dernier, annonçait vouloir « exproprier beaucoup plus facilement et de manière plus punitive les marchands de sommeil ». Il estimait que la loi était trop protectrice envers ces propriétaires, qui, à des fins de rentabilité, laissent leurs logements se dégrader au détriment de la santé de leurs occupants.

Pourtant, l’habitat indigne ne saurait être résolu par de seules mesures répressives, puisqu’il prend source de la pénurie de logements abordables. « Les ménages qui n’ont pas le statut ou le temps d’accéder à un logement social, et qui n’ont pas non plus les moyens du parc privé, sont obligés de se tourner vers ce marché refuge qu’on appelle l’habitat indigne », explique Anne-Claire Davy, sociologue et spécialiste des questions d’habitat et de mode de vie à l’Institut Paris Région.

« L’habitat insalubre n’est pas seulement un stock dont il faudrait venir à bout, mais bel et bien le produit des dysfonctionnements du marché du logement », poursuit-elle.

Greniers, cabanes de jardin… Même les petits propriétaires s’y mettent

Si le problème sévit tant, c’est surtout parce que les marchands de sommeil, et plus généralement, les bailleurs peu scrupuleux, voient en la marchandisation du moindre mètre carré une poule aux œufs d’or : les loyers des logements privés insalubres sont souvent plus élevés, pour une superficie similaire, que ceux du marché locatif standard.

Par exemple, des locaux issus de la division de pavillons à Pierrefitte-sur-Seine peuvent être loués « 650 € par mois pour 15 m², soit 43 € le mètre carré dans des communes pourtant relativement éloignées de l’agglomération parisienne, et dans lesquelles le loyer médian d’un T1 est inférieur à 19 € le mètre carré », indique une note de l’Institut Paris Région.

780 000 ménages en attente d’un logement social

Mais pour les occupants de tels logements, c’est souvent « ça, ou la rue ». Dans les zones tendues comme Paris et l’Île-de-France, le délai d’attente pour un premier logement social peut en effet atteindre dix ans. Dans la région, plus de 780 000 ménages sont demandeurs de logements sociaux, un chiffre en augmentation de 100 000 ces cinq dernières années, selon la fondation Abbé Pierre.

Aujourd’hui, cette logique de marché est si exacerbée que tout se loue, y compris par des propriétaires eux-mêmes dans le besoin.

Des inspecteurs de l’insalubrité ont en effet constaté ces dernières années « la multiplication des cas d’occupation de locaux impropres à l’habitation comme des garages, caves, greniers ou même des cabanes de jardin, aménagés par défaut par leurs occupants en quête de ressources complémentaires », selon la même note de l’Institut Paris Région.

Faute de solutions durables, le problème se reporte d’un territoire à l’autre

Si les années 2000 ont marqué une réelle prise de conscience sur la question de l’habitat indigne, les mesures se sont concentrées sur les symptômes du problème plutôt que ses causes.

À cette époque, l’arsenal réglementaire, financier et légal visant à lutter contre l’habitat dégradé se développe considérablement, notamment dans le cadre de la mise en œuvre du Plan National de Lutte contre l’Habitat Indigne (PNLHI) de 2001.

Mais cela était sans prévoir le report vers d’autres territoires de ce fructueux marché, puisque la demande des précaires ne s’efface pas pour autant : « Quand la ville de Paris a mis en place ce grand plan de traitement de l’habitat insalubre, il y a eu des effets de report de la demande des ménages les plus précaires vers la Seine-Saint-Denis et les communes modestes de petite couronne, notamment dans les grandes copropriétés dégradées des années 1960 et 1970. Et plus récemment, on voit ce phénomène aller des copropriétés vers les zones pavillonnaires fragiles, ou dans des communes plus lointaines », détaille Anne-Claire Davy.

Une réduction de 10 % dans les investissements

De là, « une des solutions reste de produire du logement accessible, dont du logement social », affirme Éric Constantin, directeur de l’agence régionale Île-de-France de la Fondation Abbé-Pierre.

Pourtant, depuis 2017, les investissements dans le logement social ont connu une réduction de 10 % passant de 16 à 14 milliards d’euros par an, qu’il s’agisse de la construction ou de la rénovation, selon le Compte du Logement 2021.

« Depuis 2016, les logements sociaux ne font que baisser. On était à 23 000 l’année dernière, et on sera peut-être en dessous de 20 000 cette année. On met en péril les années à venir puisque même si on redresse la barre, on a quatre, voire cinq ans de retard. Globalement, toutes les mesures structurelles de fond qu’on attend ne sont pas là. », alerte Éric Constantin.

Crédit photo : © SIPHEM

Imane Lbakhar

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