Le balai incessant des fermetures d’hôtels d’hébergement d’urgence à Paris se poursuit. Ce vendredi, des familles de la Maison des F&Es à Marx Dormoy (Paris 18ᵉ), un hôtel reconverti pour accueillir des publics du 115 se sont mobilisées contre la fermeture de l’établissement prévue pour le 31 mars. Les organisateurs, principalement des femmes habitant la résidence et des parents d’élèves, ont déployé une grande banderole : « 34 familles expulsées… Tout ça pour les JO ? »

« On a tout de suite été choqués lorsqu’on a appris ça en janvier », explique William, parent d’élève de l’école maternelle Marx Dormoy. Il explique que 18 enfants vivant dans l’hôtel sont scolarisés dans cette école. Le temps de tout mettre en place, « on veut que toutes les familles puissent être relogées dans de bonnes conditions et que les enfants puissent continuer à venir à l’école », explique-t-il.

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Quarante-huit familles habitent aujourd’hui l’hôtel, 125 personnes, mères et enfants au total. Parmi elles, Aminata y vit depuis plus de trois ans. Son fils avait à peine deux mois lorsqu’ils ont posé leurs valises à la maison des F&Es. Il est aujourd’hui scolarisé à l’école Marx Dormoy. Elle décrit la stupeur des familles lorsqu’elles ont appris l’imminence de leur expulsion. « C’est Marie Brochard, la directrice Ile-de-France de Basiliade, qui nous l’a annoncé lors d’une réunion », se remémore-t-elle. Très vite, elle comprend que l’issue est inévitable. Le 31 mars, l’association Basiliade va quitter les lieux et rendre l’hôtel à ses gérants.

Un établissement surpeuplé qui n’est plus aux normes de sécurité

Le directeur exécutif de l’association, Balthazar Milot, a fait le déplacement ce vendredi pour échanger avec les familles. Il pointe la responsabilité de l’État et ses manquements dans l’hébergement des familles. Pour lui, aucun rapport entre la fermeture de l’hôtel et les Jeux olympiques. Il explique que l’établissement n’est plus aux normes pour recevoir autant de public. 

« Ça nécessiterait des travaux énormes et étant donné qu’ils ne sont pas pris en charge par l’Etat ou le SIAO, on ne peut rien faire. Est-ce qu’on continue à maintenir 125 personnes dans un hôtel alors qu’on sait que s’il y a un problème de sécurité ça ne va pas aller ? », avance-t-il.

La jauge de l’hôtel doit baisser. L’association a donc entamé des négociations avec le gérant, expliquant que si le nombre de personnes dans l’hôtel diminuait, le loyer payé par Basilia devrait baisser également. Faute d’accord entre les deux parties, la décision a été prise de mettre fin au contrat avec un délai de trois mois pour trouver des solutions pour les familles.

Des propositions de relogement insatisfaisantes qui arrivent au compte-goutte

Le déroulement des événements semble, de prime abord, écarter le lien de cette décision avec les JOP. Mais il n’en reste pas moins que 48 familles vont perdre leur logement, être déracinées et envoyées aux quatre coins de l’Île-de-France. Le risque d’en voir certaines rester sur la touche sans solution de relogement n’est pas à exclure. D’autant plus que les familles auront une et une seule proposition, qu’elles ne peuvent décliner sous peine d’être à la rue. « Je suis obligé de dire aux familles qu’il faut accepter la proposition du Samu Social quelle qu’elle soit, déplore monsieur Milot. On ne sait que trop bien comment ça va se terminer sinon. »

L’association Basiliade affirme avoir fait rénover un bâtiment Quai de Valmy pour un montant de plus de 120 000 euros, afin d’aménager neuf chambres. Neuf familles y seront relogées, une situation qui ne les satisfait pas.

Kadi* a trois enfants de 8 ans, 3 ans et 20 mois. Elle fait partie de ces familles. « On n’a pas le choix, mais on ne veut pas aller là-bas, explique-t-elle. On nous a dit qu’il y avait des salles de bain partagées. Je vais être dans ma chambre avec mes trois enfants. Ils m’ont dit “vous pouvez quand même vous changer devant vos enfants”. Ce n’est pas normal, on est des humains. Je vais devoir me changer dans les toilettes tout le temps. »

Mme Ndiaye elle, a eu une proposition de relogement dans le 2ᵉ arrondissement. Mais sa fille est à la crèche à Marx Dormoy. « Je suis malade, je ne suis pas en mesure de me déplacer tous les jours dans les transports pour l’amener à la crèche. Je ne sais pas comment je vais faire, je ne veux pas perdre cette place à la crèche qui est si précieuse », déplore-t-elle.  

Pour les autres, les « propositions de relogement »  arrivent au compte-goutte. Et parfois, à l’autre bout de la région, comme à Champigny-sur-Marne. L’inquiétude monte pour les familles qui n’ont pas encore été contactées.

Une maison des fées qui n’en a que le nom

L’association Basiliade affirme mettre en place un suivi de qualité, juridique, médical et psychologique pour ses bénéficiaires. Monsieur Milot se félicite d’avoir mis en place des frigos et des micro-ondes dans toutes les chambres. Mais si les familles se battent pour ne pas perdre leur chambre, elles n’en décrivent pas moins des conditions de vie indignes, tristement banales pour un hôtel d’hébergement d’urgence. La maison des fées n’en a que le nom.

Si elles confirment la présence de frigos et de micro-ondes dans leurs chambres – ce qui est loin d’être un acquis dans les hôtels du 115 – les habitantes décrivent un cadre bien moins idyllique. Des chambres de 9 à 12m2. Leila* accepte de faire un aller-retour dans l’établissement pour prendre en vidéo sa chambre. On y voit un lit de bébé, pour son fils de quelques mois. À peine un mètre plus loin, un lit simple, où elle explique dormir avec son autre fille, remplit tout l’espace. Les résidentes font état d’une infestation de cafards qui dure depuis plus de 6 mois. « Il y en a tellement, qu’ils viennent te soulever dans ton lit la nuit pour te jeter par terre », plaisante Leila*.

Le gérant de l’hôtel accusé de harcèlement sexuel

Elles rapportent aussi des problèmes avec le gérant de l’hôtel. « C’est allé jusqu’au dépôt d’une main courante pour harcèlement sexuel », renseigne Aminata. Une information confirmée par Balthazar Milot. Il explique que les relations entre le gérant et les habitantes sont compliquées et se sont encore dégradées ces derniers mois. L’association Basilia a accompagné la mère qui a déposé la main courante dans ses démarches.

Contacté par téléphone, le gérant réfute les accusations et affirme que « tout se passe bien avec les habitantes. » Cependant, il croit bon d’ajouter qu’il s’agit « de personnes avec des problèmes psychologiques. » 

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Que va devenir l’hôtel ?

Balthazar Milot rapporte des problèmes entre les gérants de l’hôtel. Ces derniers penseraient à vendre leur établissement ou à accueillir une nouvelle association. « Peut-être que les chambres seront remises en location, mais ça va nécessiter des travaux au préalable », présume-t-il encore. Contacté par téléphone, le gérant affirme qu’aucune décision n’a encore été prise.

Pour Danièle Obono, députée (LFI) de la 17e circonscription de Paris, venue témoigner son soutien aux familles, quelle que soit l’issue, « l’effet JO ne peut pas être écarté ». 

« Il y a un problème sur la pérennité et la qualité de l’hébergement, affirme-t-elle. Même si visiblement l’association ne fait pas le lien avec les JO, ça participe d’une situation de tension déjà très forte, en partie liée à l’événement. Et que l’établissement soit mis en vente, ou remis en location dans les mois qui viennent, ils profiteront de la conjoncture des JO pour faire des bénéfices plus intéressants », soutient la députée.

Pour elle, l’impact de ces fermetures incessantes pour les familles est délétère dans cet arrondissement parmi les plus denses en termes d’hébergement d’urgence. « Malgré tout, c’est quand même un lieu un minimum sécurisé pour ces familles. Elles sont implantées dans le quartier et les enfants sont insérés, on ne peut pas les déraciner du jour au lendemain. » 

Névil Gagnepain

*Les prénoms ont été modifiés

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