Mardi 20 février dernier, la Cour internationale des droits de l’Homme a condamné la Suisse pour « profilage racial ». Un ressortissant suisse d’origine kényane avait subi un contrôle d’identité sur le quai de la gare de Zurich sans motivation apparente. Il a donc porté plainte auprès de la justice helvète, mais celle-ci n’a donné aucune suite. Le justiciable s’est alors tournée vers la CEDH qui lui a donné gain de cause.

Cette histoire, semblable à tant d’autres, illustre toute la problématique du « contrôle au faciès ». Les juridictions nationales n’ont pas toujours un cadre juridique adapté pour condamner cette pratique. Et les initiatives pour prévenir ces discriminations sont rares. De fait, une sorte de zone d’ombre confère aux forces de l’ordre un pouvoir discrétionnaire lors des contrôles d’identité.

Il est possible d’agir en amont, en formant des forces de l’ordre à cela ; et en aval, en condamnant les contrôles à caractère discriminatoire

« Il est possible d’agir en amont, en formant des forces de l’ordre à cela ; et en aval, en condamnant les contrôles à caractère discriminatoire », assure Robin Médard-Inghilterra, docteur en droit et enseignant à l’Université Paris I. Il est le co-auteur d’un article intitulé « Les contrôles d’identité au faciès : prouver la discrimination en justice », écrit avec Isabelle Rorive et paru dans la Revue trimestrielle des droits de l’Homme.

Prouver « contrôle au faciès », une démarche difficile

En France, la discrimination fondée sur l’apparence réelle ou supposée à une ethnie, une race ou une religion est pénalement répréhensible. Mais dans le cas des contrôles d’identité, il faut pouvoir prouver le « profilage racial ». Une gageure.

En octobre dernier, le Conseil d’État a reconnu l’existence des contrôles au faciès, écrivant dans un rapport que « la pratique de ce type de contrôles existe » mais « ne peut être considérée comme systémique ou généralisée ».  L’institution a tout de même conclu que cette pratique représente « une discrimination pour les personnes ayant eu à subir un contrôle sur la base de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée ».

Si la juridiction écarte le caractère systémique de ces pratiques discriminatoires, de nombreuses études tendent à prouver le contraire. On peut citer celle du Défenseur des droits (2017) qui montre que les jeunes hommes arabes et noirs ont une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’être contrôlés.

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« Le contrôle au faciès peut être justifié a posteriori, par la constatation d’infractions », soulève Robin Médard-Inghilterra. C’est-à-dire qu’une personne arrêtée pour des motifs discriminants, ne pourrait pas forcément s’en plaindre s’il se trouve qu’elle a effectivement commis une infraction. C’est un problème car « le contrôle au départ est discriminatoire. Il y a une tentative de le légitimer. » Certaines infractions comme « l’outrage à agent » reviennent fréquemment et peuvent justifier l’interpellation initiale.

En effet, une personne arrêtée pour motif discriminatoire peut protester, ce qui peut donc être perçu comme délictueux. C’est ce qui est arrivé à ce ressortissant suisse qui n’avait pas voulu donner son identité aux policiers s’estimant victime d’un contrôle au faciès.

Le problème est aussi que la charge de la preuve revient à la victime. « Elle doit laisser supposer l’existence d’une discrimination », détaille Robin Médard-Inghilterra. Ce ne sont pas les institutions policières qui assurent ce contrôle. La victime doit donc se manifester. Outre son témoignage, la CEDH s’appuie sur « les statistiques et études, qui prouvent de façon incontestable l’existence bien réelle du profilage racial. » Celles-ci sont nombreuses et solides.

Des pistes pour faire autrement

Pour condamner le « profilage racial », il faut pouvoir le constater ; chose parfois compliquée. « On peut recourir à un récépissé, une technique qui consiste à justifier le motif de l’arrestation », explique le chercheur. La police devrait donc, par écrit, préciser ce qui a motivé le contrôle : une attitude suspecte, des paroles ou un autre fait objectivable. De cette manière, d’autres instances pourraient contrôler les actions policières pour éviter les débordements. « Il est également possible de déterminer des heures et des lieux où ces contrôles sont plus susceptibles d’arriver, comme dans les gares par exemple. » Et ce afin de mieux prévenir ces discriminations au faciès.

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Le chercheur cite le Canada où le « profilage racial » est interdit. « Là-bas, si l’arrestation se fait sur un motif discriminatoire, on ne va pas retenir les éventuelles infractions qu’on pourrait découvrir par la suite », précise-t-il. Pour éviter des défauts de procédure ou l’instrumentalisation d’une infraction, la justice canadienne préfère simplement écarter tout ce qui ressort de l’interpellation. Car s’il y a une discrimination au départ, le reste est peut-être biaisé, et devient donc caduque.

La lutte contre le contrôle au faciès se joue également en amont. « Il y a aussi la possibilité de former les policiers sur ce sujet », pointe Robin Médard-Inghilterra. Conduite par la Défenseure des droits, une étude sur l’état d’esprit des forces de l’ordre soulève le défaut de formation dont ils témoignent. Ces derniers se montrent par ailleurs sceptiques concernant l’utilité même des contrôles d’identité.

Les contrôles abusifs peuvent être justifiés par la lutte contre l’immigration irrégulière

Si de nombreuses pistes restent à explorer, la question du profilage racial est d’autant plus brûlant dans un contexte d’hostilité croissante à l’immigration. En Italie, en Pologne et désormais en France, la législation se fait de plus en plus intransigeante. Et le contrôle des personnes perçues comme non-blanches s’en ressent. « Les contrôles abusifs peuvent être justifiés par la lutte contre l’immigration irrégulière », confirme le chercheur. « Mais une couleur de peau n’est pas une situation administrative. Auparavant, c’était légitime de se baser sur l’apparence pour en déduire cela. Mais désormais, c’est de plus en plus contesté. » 

Alors que l’Europe connaît la montée des extrêmes, il faut espérer que les politiques prennent le sujet au sérieux, pour faire enfin combattre les contrôles discriminatoires.

Radidja Cieslak

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