Il est aux alentours de 21 heures en ce soir de décembre. La Coupe du Monde bat son plein. Mahamadou Cissé, passionné de foot, décide d’aller regarder le match à l’extérieur avec ses amis. Mais juste avant, il fait un arrêt dans son ancien quartier. Le voisin du rez-de-chaussée sort pour demander aux quatre copains de partir, puis revient armé de son fusil et tire sur les jeunes atteignant Mahamadou en plein thorax.

Le voisin, Hocine A., 82 ans, affirme avoir ouvert le feu après avoir été pris à partie par un groupe qui « lui menait la vie dure depuis neuf ans ». Il a depuis été mis en examen pour meurtre, détention d’une arme non autorisée et violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique.

Près de sept mois après le drame, les proches de Mahamadou Cissé dénoncent la complaisance médiatique et judiciaire envers le mis en cause. Sa sœur aînée, Assetou, pointe les propos du Procureur de Reims, Matthieu Bourrette. Après les faits, le Procureur a évoqué la thèse d’un « meurtre par exaspération ».

Une formule qui a semblé amoindrir cet acte et qui a été reprise par de nombreux médias. « Meurtre par exaspération dans les Ardennes : un voisin témoigne », a ainsi titré, sans guillemets, RMC-BFMTV. Le collectif “Justice pour Mahamadou” appelle à un rassemblement le 14 juin à 9 heures devant le tribunal de Reims. Interview. 

Le 9 décembre dernier, votre frère, Mahamadou, décède dans des circonstances tragiques. Pouvez-vous nous dire qui il était ?

Mahamadou avait 21 ans, c’était un garçon très souriant, le dernier garçon de sa fratrie, proche de sa famille et très protecteur. Il a endossé le rôle de chef de famille lorsque nous avons brutalement perdu notre père, il y a deux ans pendant la pandémie de Covid.

Mon frère avait plein d’ambitions. Il avait participé au tournage du film Tirailleurs, de Mathieu Vadepied avec Omar Sy, et voulait tenter sa chance dans l’acting. Il devait me rejoindre en région parisienne et débuter une formation de boulanger-pâtissier en parallèle.

L’ironie du sort est que dans le film d’Omar Sy, il joue un tirailleur qui se bat pour la France et meurt sur le champ de bataille. Et quelques mois plus tard, dans la vraie vie, il meurt sous les balles d’un ancien militaire engagé pour la France durant la Guerre d’Algérie.

Mahamadou Cissé et d’autres figurants sur le tournage de Tirailleurs. Mahamadou est décédé sans avoir pu voir le film qui est sorti le 4 janvier 2023.

Comment apprenez-vous la mort de votre frère ?

Une de mes sœurs m’appelle vers 22h30. Elle m’annonce que Mahamadou est à l’hôpital, qu’il a été blessé par balle, qu’il est au bloc opératoire et que son pronostic vital est engagé. Entre temps, mon mari fait des recherches sur le web pour tenter de comprendre ce qu’il s’est passé. Et là, il tombe sur une dépêche qui annonce la mort de mon petit frère…

J’étais perdue. On est arrivé vers minuit avec ma famille à l’hôpital. On a été accueilli par une armée de policiers nationaux et municipaux. À croire qu’ils craignaient des émeutes. Psychologiquement, c’était violent.

Vous évoquez un début d’enquête à charge. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?

Dès le lendemain matin du drame, avec d’autres membres de ma famille, nous nous sommes rendus au commissariat pour déposer plainte. Il a fallu négocier pour que la commissaire accepte de nous recevoir. Très vite, on m’a fait comprendre qu’on ne pouvait rien me dire.

Le tireur soutient que mon frère se trouvait seul face à lui, l’aurait insulté et lui aurait craché dessus. Il se serait senti menacé et aurait tiré. Puis, la commissaire m’a parlé du contexte dans le quartier, de poubelles brulées pendant le match France-Maroc. Plein d’amalgames qui n’avaient rien à voir avec mon frère. J’avais l’impression qu’elle tentait de trouver des circonstances atténuantes au meurtrier. C’était lunaire.

On le déshumanise, on le nomme à peine, tandis qu’on s’épanche sur la vie du meurtrier

Par la suite, lors de sa conférence de presse, le Procureur de Reims a évoqué un crime par exaspération ! Je comprends alors que le ton est donné : Mahamadou n’est pas considéré comme une victime. Les mots du procureur sont très graves !

On le déshumanise, on le nomme à peine, tandis qu’on s’épanche sur la vie du meurtrier qui avait passé sa journée à jouer à la pétanque. Tout a été fait pour que l’empathie se porte sur son bourreau.

Vous dénoncez également le manque de sérieux de l’enquête…

J’ai habité ce quartier pendant 20 ans, il y avait forcément des personnes qui avaient assisté à la scène. Lorsque j’ai demandé à la commissaire si elle allait faire un appel à témoin après avoir entendu la version du tireur, elle m’a répondu que non. Selon elle, les jeunes n’accepteraient pas de répondre à la police.

Le drame aurait pu être évité

Je lui ai alors rétorqué que j’allais lui ramener les témoins et c’est ce que j’ai fait. Très vite, la version du tireur a été contredite. Mais surtout, un voisin de l’immeuble a confié avoir appelé la police municipale, dix jours avant le drame. Il voulait les prévenir que le meurtrier de mon frère lui avait dit qu’il allait tuer un jeune et qu’il était armé. Mais cette alerte n’a pas été prise au sérieux. Le drame aurait pu être évité.

Bien que j’aie transmis tous les contacts des témoins à la police, il a fallu attendre que le voisin en question témoigne sur RMC pour qu’il soit enfin convoqué pour être entendu.

Qu’attendez-vous aujourd’hui ?

J’attends qu’on considère mon frère et ma famille comme victimes. J’ai peur que le meurtrier obtienne une remise en liberté. Aujourd’hui, je vois se former un gros amalgame autour de l’affaire de mon frère au prétexte que ça s’est passé dans un quartier dit « sensible ».

Je veux rétablir la vérité et la mémoire de mon frère

Dans les premiers jours qui ont suivi la mort de Mahamadou, il y a eu un traitement médiatique à charge. Le meurtre de mon frère n’a rien à voir avec une rixe ou une quelconque affaire de stup ou de trafics. Je veux rétablir la vérité et la mémoire de mon frère. Je veux que le coupable soit puni à la hauteur des actes qu’il a commis.

Le 14 juin aura lieu la confrontation entre le meurtrier et l’ami de mon frère qui a échappé aux tirs le soir du drame. Le collectif Justice pour Mahamadou organise un rassemblement le 14 juin à 9 heures devant le tribunal de Reims.

Propos recueillis par Céline Beaury

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