« Ici, on est comme des animaux, on tourne à gauche, à droite, on voit toujours les mêmes têtes. On devient fous », souffle Juan, exilé du Venezuela, retenu au Centre de rétention administrative de Cornebarrieu en périphérie de Toulouse. « Il y a quelques mois, un co-détenu a décroché quelqu’un qui essayait de se pendre », confie Leo Klaus, juriste pour la Cimade au CRA.

Alors que la crise sanitaire semble s’affaiblir avec la vaccination devenue massive, et la baisse relative des cas de Covid-19, les exilés retenus au centre de Cornebarrieu, vivent toujours l’enfer de l’isolement, dans un contexte international figé où les frontières restent toujours fermées.

Des grèves de la faim pour protester

Certains comportements témoignent de la situation de détresse et d’impuissance dans laquelle se retrouvent les personnes enfermées : « Il y a trois semaines, un homme a bu un litre de gel hydro alcoolique, un autre a avalé énormément de piles et de pièces de monnaie pour refuser d’embarquer à bord de l’avion… », rapporte le juriste qui fait aussi état de tentatives de suicides et de scarifications chez les personnes retenues.

Début septembre 2020, deux personnes ont été contaminées directement au centre de rétention. La Cimade dénonce un non-respect du protocole de sécurité sanitaire, notamment à l’encontre des femmes, « enfermées dans le même secteur quand elles arrivent, qu’elles soient ou non atteintes du Covid-19 ». En avril dernier, une vingtaine de détenus ont entamé une grève de la faim pour protester contre les conditions de rétention en pointant l’état de la nourriture, la promiscuité, et l’absence de soins malgré la crise sanitaire.

Dans son dernier rapport sur le centre toulousain publié en septembre 2020, l’association d’aide aux éxilés alertait déjà sur un « mal-être, des tensions, des bagarres, des comportements de détresse tels que des automutilations ou des tentatives de suicide ». Depuis le début de la pandémie, la pression psychique des personnes retenues est à son comble, avec l’inquiétude d’être contaminé et de ne pas connaître la date de l’expulsion ou de la libération. Depuis 2018, et la promulgation de la loi Collomb, la durée maximale de rétention est passée de 45 à 90 jours.

Situé à proximité de l’aéroport Toulouse-Blagnac, le CRA de Cornebarrieu est un lieu redouté par les exilés.

Une éternité pour les personnes détenues, qui fait monter la pression sur le personnel chez les fonctionnaires. Un employé du CRA qui a souhaité gardé l’anonymat a reconnu de son côté qu’une « erreur de laboratoire faisant passer quelqu’un de positif pour négatif » a entraîné plusieurs contaminations au sein du centre.

En 2019, au centre de rétention administrative (CRA) de Toulouse, la Cimade recensait 1320 personnes dont 50 enfants, majoritairement d’origine algérienne, marocaine, albanaise, tunisienne et géorgienne. Ces personnes se retrouvent en centre de rétention par exemple suite à un contrôle d’identité, un flagrant délit constaté après une infraction, ou dans l’attente d’une décision judiciaire concernant une obligation de quitter le territoire français.

Un combat juridique depuis le début du confinement pour la libération des détenus

En période de crise sanitaire, le départ immédiat des personnes a souvent été retardé, en raison de la fermeture des frontières, allongeant leur enfermement pendant plusieurs mois dans des conditions déplorables. Lors du premier confinement, prononcé 18 mars 2020, l’Observatoire de l’enfermement des étrangers appelait le gouvernement à libérer les personnes retenues dont l’expulsion ne pouvait avoir lieu en raison de la fermeture des frontières.

Dès le début du confinement, l’ancien Défenseur des droits, Jacques Toubon,  interrogeait le ministre de l’Intérieur sur la « pertinence et la légalité du maintien en activité de ces centres alors que les perspectives d’éloignement de ces personnes avaient disparu à court terme du fait de la fermeture des frontières ».

Le 27 mars 2020, le Conseil d’État rejetait une requête en référé liberté du Conseil national des barreaux, demandant la fermeture des centres de rétention administrative, estimant que l’accès aux soins des personnes retenues et les mesures d’hygiène étaient maintenus. Au CRA de Cornebarrieu, l’avocate Flor Tercero rapporte l’inquiétude des personnes enfermées dans un lieu « où le virus circule, et où il est transmis ».

Usage illégal de la visioconférence lors des audiences décisives pour les détenus

Avec la crise du Covid-19, l’accès à une défense convenable pour les exilés s’est aussi limité. L’usage de la visioconférence s’est multiplié pendant la crise sanitaire, lors des audiences décidant du renvoi ou de la libération des personnes. Des moments qui sont pourtant décisifs pour les personnes étrangères qui peuvent expliquer au juge leur situation. Des instants attendus, redoutés, désormais réduits à une simple discussion par écrans interposés.

Léo Klaus constate aussi que ces audiences numériques sont parfois tenues « sans avocat ni interprète », dans une salle « située au sein du centre de rétention administrative, qui appartient à l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et n’est nullement un lieu de justice reconnu par le ministère de l’Intérieur ».

La personne se retrouve ainsi « seule face à une caméra, sans comprendre ce qu’il se passe », dénonce Léo Claus. En février 2021, le conseil constitutionnel avait jugé contraire à la constitution l’usage de la visioconférence sans accord des parties, devant les juridictions pénales. À Toulouse, l’avocate Flor Tercero tente de faire connaître les droits des personnes retenues au centre, qui peinent à assurer leur défense : « les gens ne savent pas, n’ont pas le temps ni les moyens d’exercer les recours pour contester les décisions à leur encontre », s’insurge-t-elle.

On attend une réponse, mais on ne l’a pas, alors on reconduit l’enfermement pour 28 jours
de plus. 

Dans le centre, les exilés sont retenues pour une période maximale de 28 jours, au bout de laquelle ils sont présentés à un juge des libertés (JLD), chargé de vérifier la légalité de l’enfermement, notamment au regard des perspectives d’éloignement. « Nous, notre intérêt, c’est qu’ils restent le moins de temps possible, sinon cela génère des tensions avec le personnel et entre les retenus », tient à rappeler l’un des fonctionnaires du centre.

Mais le confinement a retardé de nombreux départs : encore en janvier, le Maroc ne reprenait aucun exilé, la Tunisie et le Nigeria en acceptait « au compte-goutte » tandis que l’Albanie accueillait uniquement les vols charter, indique Léo Claus. Le juriste juge la situation insensée : « On attend une réponse, mais on ne l’a pas, alors on reconduit l’enfermement pour 28 jours de plus ». Il évoque aussi le sort d’une femme enceinte originaire du Nigeria, maintenue deux mois au centre de rétention administrative. «  Le Nigeria ne reprenait pas de ressortissants, mais on la maintenait ici. ».

Un cercle infernal entre l’insalubrité à l’intérieur et la misère à l’extérieur

Sur la soixantaine de personnes retenues dans le centre, « 80 % environ sont des sortants de prison », avance  Léo Clauss. Des « gamins de vingt ans, très jeunes, qui ont purgé de petites peines et qui se retrouvent à la rue ». Le juriste fait remarquer qu’avant le confinement, la Cimade parvenait à interpeller les familles de ces jeunes en région toulousaine, principalement de nationalité marocaine, tunisienne ou algérienne.

Mais la pandémie a rendu ces personnes plus précaires, moins soutenues par leurs familles, et plus souvent interpellées dans la rue pour non-port du masque ou rébellion. Beaucoup sont aussi arrêtés pour usage et trafic de stupéfiants. Sheriff a été libéré après deux mois de rétention, mais sait qu’un nouveau passage par le centre peut l’attendre à tout moment : « C’est comme ça qu’on se trouve dans la délinquance », explique-t-il. Arrivé à 16 ans en France, sans ressources et sans papiers, il se tourne alors vers le trafic de stupéfiants.

« Je n’ai pas eu le choix. Ça fait 20 ans que je suis en France, et personne ne veut me donner une chance ou un morceau de papier pour que je travaille normalement, comme tout le monde », relate le jeune homme avec amertume. Certaines personnes, comme les Roms originaires de Bosnie, ne sont reconnues par aucun pays, et ne peuvent de fait être renvoyées nulle part. Des profils qui « tournent de centre en centre avec la même identité, jamais reconnue ». Une partie de la population ainsi maintenue dans une forme de précarité qui se tourne vers l’illégalité pour survivre, et qui enchaîne les passages en centre de rétention administrative.

Enfermer, pour mieux cacher

La Cimade alarme sur la politique de l’administration, qui « s’inscrit dans une volonté d’enfermer toujours plus et toujours plus longtemps ». Il existe en France 24 centres de rétention administrative (CRA), et le nombre de places ne cesse d’augmenter. La création de quatre nouveaux CRA est attendue sur le territoire avec 434 places supplémentaires, faisant passer le nombre de places total en France de 1069 en 2017 à 2157.

Pour autant la multiplication des centres et  l’allongement de la durée de rétention via la loi Collomb, ne semble pas être suivi d’une multiplication de départs forcés. Son efficacité est même « structurellement basse » souligne la Cour des comptes, dans son rapport d’avril 2020.

La Cour des comptes observe également que « de nombreux consulats sont peu réactifs aux demandes de laisser-passer consulaire » et que les reconduites aériennes « sont structurellement peu efficientes ». Pour Léo Clauss, l’enfermement des personnes en situation irrégulière en vue d’une expulsion vers leur pays d’origine ne stoppera pas les migrations, effectuées par une nécessité qui dépasse la crainte de la rétention : « Bon nombre de jeunes reconduits à la frontière reviennent ici trois mois après ».

Floriane Padoan 

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