« Je regrette que certains politiciens ne considèrent pas ces migrants comme des humains mais comme un problème. » Ces mots sont ceux de José Benavente, l’humanitaire qui a créé « Les Pilotes volontaires ».  La suite logique d’un engagement de longue date : « J’ai toujours voulu exercer un métier qui soit en lien avec le service aux autres, explique-t-il. Ça aurait pu être dans une association de quartier mais, pour ma part, c’était dans le cadre de la solidarité internationale. »

Au début des années 90, ce fils d’immigrés espagnols quitte son Venissieux natal et la banlieue lyonnaise pour la Sierra-Leone, en proie à une violente guerre civile. Les images y sont terribles : des milliers de déplacés, des femmes et enfants mutilés en raison du conflit… « Ce qui était difficile à admettre à mes débuts est le fait de savoir que ces situations ne sont pas des fatalités, mais qu’elles sont parfois voulues et entretenues par des groupes de pouvoir qui n’avait pour objectif que d’exploiter sans partage les richesses de ces pays en guerre. »

Après un an passé en Sierra-Léone, José enchaîne les missions humanitaires en Afrique : le Libéria, la Guinée, le Burundi… Durant toutes ces années passées en Afrique, une image le marquera à jamais, celle des enfants soldats : « On a l’habitude de voir de enfants à l’école mais pas sur un champ de bataille. Dans ces pays morcelés et contrôlés par des milices, on croise ces enfants arme à la main sur les routes, dans des villages, sur des points de contrôle. Ce qui est terrible, c’est de voir à quel point ils sont embrigadés ».

On ose renvoyer ces gens vers une mort certaine

José œuvre une vingtaine d’années dans l’action humanitaire sous l’égide d’Action contre la Faim, de la Croix-Rouge ou encore de la Solidarité Internationale. Et puis, en 2018, il décide avec son ami Benoît Miclon, un ancien pilote, de créer sa propre structure : « J’étais sensibilisé par la situation en mer Méditerranée puisque ces personnes qui risquent leur vie en voulant atteindre l’Europe viennent de pays dans lesquels j’ai travaillé ». Il poursuit : « Dans les années 2000, je me rappelle lors de ma mission en Guinée avoir été choqué par les naufrages qui se produisaient déjà à l’époque entre le Sénégal et les Canaries. Il y avait déjà à cette période des gens qui tentaient de rejoindre l’Europe ».

Les deux amis cumulent leurs économies pour acheter un petit avion, dans l’idée d’appuyer l’action des ONG déjà présentes sur place. La mise en place du dispositif est alors urgente, les beaux jours arrivant et la saison des embarcations de fortune aussi. Après six mois de préparation, les opérations commencent, les vols d’observation partent des côtes italiennes vers le littoral libyen : « Avant de partir en vol, on doit d’abord s’assurer que l’on va pouvoir décoller et revenir au même point en toute sécurité, éclaire José Benavente. Immédiatement après, on regarde les conditions météos aux environs des côtes libyennes. On reste toujours dans les eaux internationales à la recherche d’éventuelles embarcations. ».

Une fois les bateaux repérés, les pilotes signalent leur position auprès des garde-côtes des Etats conformément au droit maritime international. Néanmoins, José constate qu’aujourd’hui seules les ONG respectent ledit droit : « Le droit nous dit que toute personne secourue en mer doit être débarquée dans un port sécurisé et ses droits seront garanties mais les Etats préfèrent le système de l’interception avec un retour des naufragés vers la Lybie, regrette-t-il. On sait que les pires exactions y sont commises : des viols, des ventes d’êtres humains et de l’esclavagisme… » Il ajoute, avec de l’émotion dans la voix : « Il faut se rendre compte que la plupart sont en exil depuis deux ou trois ans et qu’ils risquent leur vie en prenant des risques insensés. Ces gens ont été témoins de choses abominables et malgré cela, on ose les renvoyer vers une mort certaine. »

95 vols et 4300 vies sauvées

Depuis leur première mission en mai 2018, les Pilotes volontaires ont vu leurs effectifs augmenter jusqu’à compter aujourd’hui 14 bénévoles dont 8 pilotes professionnels venus de toute la France qui, durant leurs congés, se relaient sur zone pour effectuer le survol de la Méditerranée. En 95 vols, 78 embarcations ont été repérées et leur action a permis de sauver plus de 4300 personnes. Cependant, quelque chose atténue toujours l’enthousiasme de José : « Il y a quelques jours (l’entretien a été réalisé en décembre, ndlr), on a repéré au large de Lampedusa 7 embarcations avec plus de 230 personnes répartis les bateaux, mais ce qui nous inquiète plus, c’est qu’on a repéré 3 épaves qui flottaient avec personne à bord et pour lesquels nous ne savons pas ce qu’il s’est passé. »

L’association ne dispose d’aucun appui politique et ne vit que par les dons et les bénévoles, ce qui compliquent l’action des pilotes puisqu’une mission de survol coûte entre 1000 et 1500 euros, José Benavente insiste donc sur l’importance que peut avoir le moindre don d’anonyme : « J’ai l’impression que les personnes qui sont en situation financière difficile et qui ne peuvent donner que très peu ont tendance à se sentir coupables. J’entends souvent ‘Je donnerais bien mais comme je n’ai pas grand-chose, il vaut peut-être mieux que je ne donne rien’. Mais il n’y a pas de petit don ! » Et l’humanitaire d’insister : « Un don d’un euro additionné à dix mille autres dons d’un euro nous permettra de faire plusieurs missions. »

Félix MUBENGA

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