« J’ai été évalué, mais ils n’ont pas reconnu mon âge. » Dans un français maladroit, Aboubacar Magassouba, Guinéen de 17 ans, raconte son parcours du combattant pour obtenir la protection de l’ASE. Il est ce que l’on nomme dans le jargon administratif, un mineur non accompagné, un “MNA”, c’est-à-dire un jeune étranger arrivé en France sans ses parents.

En ce début de soirée d’octobre, Aboubacar patiente avec d’autres jeunes exilés isolés devant le centre social Rosa-Parks dans le XIXe arrondissement de Paris. Il nous décrit la façon dont les institutions l’ont rejeté, le plaçant ainsi dans une zone grise : ni mineur ni majeur, il est privé d’un statut administratif clair. Car en France, les MNA dont la minorité est contestée sont de fait exclus des dispositifs d’aide réservés tant aux adultes qu’aux enfants.

« MNA » pour mineur non accompagné 

Quand les jeunes migrants isolés ne sont pas reconnus mineurs, ils reçoivent une notification écrite de l’ASE faisant état d’un refus d’admission. Afin de satisfaire leur besoins fondamentaux (se nourrir, se laver,etc.) ils sont donc contraints de se tourner vers les structures qui assistent les majeurs (par le biais du 115). Mais, ils n’y sont pas davantage admis puisque leurs papiers indiquent qu’ils sont mineurs (acte de naissance, jugement supplétif, etc.). Ce qui explique pourquoi il y a une zone grise.

Juriste à la permanence de l’association Accompagnement et défense des jeunes isolés étrangers (l’Adjie) et du Groupement d’information et de soutien des immigrés (Gisti), Solène Ducci détaille: « C’est flagrant avec la question de l’hébergement puisque quand ils sont exclus du dispositif de l’ASE, ils sont considérés comme majeurs par les départements. Or, les services de l’ASE sont les seules autorités compétentes pour héberger les mineurs, » indique-t-elle. 

« On se retrouve dans une situation où les jeunes sont considérés comme majeurs uniquement par les départements ; les autres acteurs continuent de les considérer comme ce qu’ils déclarent eux, et comme leurs papiers le disent : mineurs. C’est là que se crée toute cette problématique. »

Pour les MNA, l’absence de statut les expose à un risque d’être expulsés du territoire national. Ils sont donc obligés de se cacher pour éviter cela.

C’est désormais devenu un rituel pour Aboubacar, ses camarades et de nombreuses familles exilées de se rendre au centre social Rosa-Parks pour chercher de l’aide. Et pour cause : des maraudes y sont organisées tous les soirs par l’ONG Utopia 56. L’objectif ? Leur permettre de subvenir à leurs besoins fondamentaux. Ce soir-là, plusieurs familles de migrants avec de très jeunes enfants sont assises à même le sol. Elles se sont adossées  au mur, près de l’entrée du centre Rosa-Parks, sur quelques mètres et sous l’oeil indifférent des passants.

Vega, une bénévole d’Utopia 56, arrive et se dirige spontanément vers les jeunes isolés. Elle parvient sans peine à gagner leur confiance. Plusieurs d’entre- eux se livrent ainsi sur leurs conditions de vie précaire, affirmant à Vega se sentir perdus et abandonnés. Cette dernière leur explique comment se déplacer en métro, et leur indique un endroit où se nourrir pour la nuit. Elle prend également des informations importantes les concernant, à savoir, leurs noms, prénoms, âges, nationalités, et tente de les convaincre de venir à l’association Utopia 56 afin d’être mieux guidés dans leurs démarches pour obtenir l’ASE.

L’évaluation des MNA : un problème sensible

La compétence pour déterminer si les MNA sont admissibles à la protection de l’ASE est confiée aux départements. L’évaluation est effectuée par le Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers (le Demie), qui est géré à Paris par la Croix-Rouge. A Bobigny (Seine-Saint-Denis), c’est le Pôle des mineurs isolés étrangers (Pemie) qui s’occupe de l’évaluation.

Avec Paris, la Seine-Saint-Denis représente 50% des évaluations sur le territoire national.

Les ONG et les collectifs citoyens qui suivent de nombreux MNA dénoncent une évaluation défaillante, basée sur des critères totalement arbitraires. Priscillia de Corson, chargée de plaidoyer au centre MSF (Médecins Sans Frontières) de Pantin décrit au BB comment celle-ci se déroule : « C’est un entretien assez rapide avec des agents des conseils départementaux. Ils se fondent pour décider si un jeune est mineur ou majeur sur une discussion qui dure 20 minutes parfois jusqu’à 2 heures, affirme-t-elle. Et à la fin de cet échange, ils vont tenir compte d’éléments tels que l’apparence physique du jeune, ou ce qu’ils ont comme vision assez subjective de la maturité du jeune ». 

L’adolescent est ainsi souvent rejeté parce qu’il travaillait dans son pays d’origine et pendant son parcours migratoire avant d’arriver en France. Les évaluateurs en concluent alors qu’il ne peut pas être mineur.

Ce que Priscillia de Corson juge aberrant : « Ils sont complètement biaisés par la situation qu’on peut connaître avec les enfants en France qui sont scolarisés et ont un emploi plus tard. Le fait que les jeunes étrangers aient travaillé ne veut pas dire qu’ils aient plus de 18 ans. » Elle s’insurge contre la prise en compte de l’aspect physique dans l’évaluation : « Sous prétexte quil a l’apparence physique d’un adulte, il n’est pas considéré mineur. Comment pouvez-vous juger de l’âge de quelqu’un, au fait qu’il ait quelques poils de barbe ou pas ?! C’est complètement aberrant ! »

Thierry Couvert Leroy, délégué national enfants et familles de la Croix-Rouge souligne : « De nombreux jeunes étrangers sont arrivés avec le concours de passeurs, qui leur ont ensuite appris un discours à répéter lors de leur l’évaluation. Ils apprennent par coeur ce qu’ils pensent être les “bonnes réponses”,car on leur dit que ce serait bien, mais il n’y a pas de réponses toutes faites ».

Pendant l’entretien des MNA, Sophie Laurant, coordinatrice du programme MNA en Ile-de- France à Médecins du monde, constate que : « Les discours sont régulièrement remis en cause et les évaluateurs cherchent à voir les incohérences dans le récit. » Autrement dit, il y a un climat de suspicion quant aux réponses apportées par les MNA.

Julie Lavayssière, coordinatrice de l’association Utopia 56 à Paris complète: « l’évaluation est très différente d’un département à l’autre. Il n’y a aucune cohérence. Il y a des départements où ils vont mettre l’enfant pendant 2 mois à l’abri, comme ça, ils pourront juger de son isolement et de son âge. Dans d’autres départements comme à Paris, c’est une évaluation en 10-15 minutes avec des questions qui sont enchaînées. C’est quasiment un interrogatoire à charge, avec un taux de refus qui est énorme des jeunes que nous suivons (70% à Paris) ». « Le département fait ce qu’il veut. On sait que celui-ci ne suit pas forcément l’évaluation », rapporte Solène Ducci.

On se dit que finalement, ils ont un nombre de places limitées. Ils peuvent très bien faire le contraire, mais de toute façon, ils prennent la décision sans avoir jamais vu le jeune. 

De nombreux jeunes suivis par MSF et qui font appel d’une décision de refus de prise en charge par l’ASE, voient finalement leur minorité reconnue. Selon MSF, cela concerne environ 50% de ces adolescents. Ce qui signifie que le département s’est trompé au moins une fois sur deux.

Pourtant, Thierry Couvert Leroy, délégué national à la Croix-Rouge, réfute fermement l’idée selon laquelle l’évaluation serait déficiente : « Les critères de l’évaluation sont objectifs. Il ne faut pas les prendre un à un, mais les croiser pour en ressortir une analyse. Certaines associations ont un prisme particulier qui consiste à rejeter le principe même de l’évaluation. Je les entends plus dans la dénonciation que dans la proposition de solutions d’amélioration ».

Il faut aussi fait allusion aux abus de jeunes majeurs se faisant passer pour des MNA. « Certaines associations disent qu’il suffit qu’un jeune étranger se déclare mineur pour qu’il le soit, alors que ce n’est pas toujours le cas. Accepter qu’un adulte détériore son identité n’est pas dans son intérêt et ça n’aidera pas la protection de l’enfance. »

Sophie Laurant nuance le propos : « On ne verse pas dans l’angélisme, on sait qu’il y a des personnes majeures qui se présentent dans le dispositif de protection, c’est une réalité, admet-elle. Mais par contre ce que l’on sait surtout, c’est qu’il y a plein de mineurs qui échappent à la protection de l’enfance. »

L’impact de la crise sanitaire pour les MNA

En dépit d’un dialogue constant engagé entre les associations et la mairie de Paris, la situation des jeunes exilés en procédure de reconnaissance de minorité à la rue s’aggrave, notamment en raison de l’épidémie de Covid-19. Pendant le confinement, du 15 mars au 15 mai, à Paris, MSF, les autres associations et collectifs citoyens estiment que l’hébergement, l’accès au soin et à la nourriture pour les MNA a été laissé à leur charge.

MSF a d’ailleurs financé la mise à l’abri en hôtels de plus de 170 jeunes isolés étrangers. Sans l’action des hébergeurs solidaires et des associations (dont notamment, Paris d’Exil, TIMMY – Soutien aux Mineurs Exilés, les Midis du MIE,etc.) 107 autres jeunes auraient passé le confinement à la rue. Plus de 7300 repas ont été distribués par seulement deux associations : les Midis du MIE et TIMMY – Soutien aux Mineurs Exilés.

Face à l’ampleur de la pandémie, les associations ont alerté sur les conditions de vie difficiles des MNA à la rue, la Direction Générale de la Santé, des Agences Régionales de Santé et le Conseil scientifique Covid-19, sans toutefois, avoir le sentiment d’être entendues.

Cependant, la mairie de Paris a mis à disposition des jeunes exilés le gymnase Japy dans le XIe arrondissement, après six semaines de confinement. L’institution a aussi proposé la distribution de paniers-repas, mais les ONG ont refusé considérant que le respect des consignes sanitaires n’était pas garanti. Dominique Versini, adjointe à la mairie de Paris chargé de la protection de l’enfance estime pourtant :« C’est quand même mieux de rester dans un gymnase que d’être dehors, comme au Square Ferry. Dans le gymnase, il y a assez de place pour respecter la distanciation physique. »

Frédéric Molossi, vice-président de la Seine-Saint-Denis, chargé de l’enfance et de la famille nous expose comment le département a réagit face à la crise sanitaire : « La CAMNA qui est le lieu d’entrée de tous les MNA est restée ouverte pendant toute la pandémie, car nous ne voulions pas laisser des jeunes à la rue. Ça n’a pas interrompu la prise en charge. Il n’y a pas eu d’incidence pour ceux qui se sont présentés, constate-il. « En revanche, il y a eu une réduction sensible du nombre de jeunes qui venaient se présenter dans notre département, mais ce n’est pas lié directement à la situation de la Seine-Saint-Denis. Cela est dû au fait que les flux migratoires dont ces jeunes sont issus, ont été en grande partie interrompus pendant toute cette période. » 

Alors que le confinement venait de débuter le 21 mars, Aurélien Tacquet, secrétaire d’Etat à la Protection de l’enfance déclarait dans une lettre adressée aux départements :

« En ce qui concerne la prise en charge des mineurs non accompagnés, priorité doit être donnée à leur mise à l’abri quand bien même les conditions de l’évaluation de la minorité sont perturbées. La protection des mineurs, et notamment de ceux se présentant comme mineurs non accompagnés, doit être garantie par des mises à l’abri systématiques. »

Des engagements politiques non tenus lors de la première vague de Covid-19

Pourtant, à Paris, Médecins sans frontières considère que cet engagement n’est pas tenu. Laurie Bonnaud, responsable communication terrain de l’ONG explique ainsi : « Nous nous sommes organisés afin de maintenir la continuité de nos actions pour les MNA suivis et/ou hébergés par MSF pendant la crise sanitaire. Nous avons ainsi prolongé l’hébergement qui avait été mis en place pour la période hivernale, et qui était initialement pensé comme une opération d’urgence humanitaire visant à réduire les risques pour 200 MNA à la rue à Paris, durant les mois d’hiver, décrit-elle. Faute de solution proposée par les pouvoirs publics pour mettre ces jeunes à l’abri pendant la crise sanitaire, ces hébergements payés par MSF ont été prolongés jusqu’au 29 juin ».

Elle poursuit : «Le centre de Pantin s’est réorganisé pour respecter les mesures sanitaires et de distanciation physique. Une partie des rendez-vous avait lieu au centre, mais d’autres ont été organisés par téléphone, et une équipe mobile (composée d’une assistante sociale et d’un infirmier) se déplaçaient sur les lieux d’hébergement des jeunes, plutôt que de les faire venir à Pantin. L’hébergement et le suivi éducatif des 32 jeunes hébergés à Passerelle, ont été maintenus ».

Face à l’inaction de l’Etat et des pouvoirs publics, un campement d’une centaine de jeunes migrants a été installé le 29 juin dernier, à Paris, au square Jules Ferry. Le but étant de rendre plus visibles ces adolescents, et leurs conditions de vie d’extrême précarité. C’est la première fois qu’une telle initiative voit le jour, mais elle reste pour l’instant sans effet. Une tribune a justement été signée le 29 juillet, par de nombreuses associations  avocats et collectifs pour y remédier. 

Comme l’a raconté Mediapart, le campement du square Jules Ferry a été finalement évacué le matin du mardi 4 août dans le calme. La ville de Paris a réagi à la stratégie de visibilisation des ces jeunes migrants, en promettant aux associations l’attribution d’un bâtiment qui sera transformé en mini-centre d’hébergement pour une centaine d’exilés.

La difficile question des tests osseux

Arrivé seul en France en janvier 2019 de Guinée, Aboubacar raconte: « Ils m’ont dit que je devais faire un test osseux. J’ai passé ce test une première fois qui a été positif. Ils n’ont pas été d’accord. J’ai refait deux tests osseux et au bout de la troisième fois, ils ont dit que j’étais majeur. Depuis, je suis à la rue. » 

Le test osseux consiste à réaliser une radio de la main et du poignet gauches. Le cliché obtenu est ensuite comparé à l’atlas de Greulich et Pyle. Cet atlas daté des années 1930, estime l’âge osseux à partir de radios prises sur des enfants des classes moyennes blanches. Or aujourd’hui, les demandes d’évaluation concernent surtout des enfants originaires de Côte d’Ivoire, de Guinée ou du Mali.

Malgré cette obsolescence, Patrick Chariot, chef de service de médecine légale à l’hôpital Jean-Verdier à Bondy (Seine-Saint-Denis), défend les tests osseux : « Nous considérons que les réponses que nous apportons sont sérieuses et rigoureuses et ne desservent pas les personnes examinées. Nous avons peu de doutes sur le fait que si nous ne pratiquions plus ces examens, ceux-ci seraient confiés à d’autres médecins qui répondraient d’une façon, qui, elle, desservirait les adolescents examinés. » 

Il concède toutefois : « Le test en soi ne permet pas de déterminer un âge, mais il est possible de conclure que les données cliniques et radiologiques sont compatibles avec l’âge allégué par l’adolescent », déclare-t-il.

De nombreuses données publiées montre qu’une maturation osseuse adulte sur les radiographies de main et de poignet peut être observée à partir de 15 ans, et probablement plus tôt.

Pourtant, Frédéric Molossi, rejette vigoureusement le test osseux : « La position de certains conseils départementaux consiste à dire qu’il faut pratiquer le test osseux en cas de doute, considérant qu’il y a une fiabilité absolue, » note le vice président de la Seine-Saint-Denis. « Nous nous y refusons, pour des raisons éthiques et scientifiques qui font que ce test n’est pas considéré comme pertinent, surtout dans la tranche d’âge 16-18 ans, qui est la plus souvent celle qui fait l’objet de débats. L’ensemble du corps médical estime qu’il n’y a pas un taux de fiabilité qui rendrait objectif la décision issue de ce test. »

De plus, les tests osseux sont condamnés de longue date par des associations de défense de migrants, des magistrats, l’Académie de Médecine, Le Haut Conseil de la santé publique ou encore le Défenseur des droits. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a d’ailleurs recommandé fortement dans un avis du 24 juin 2014 de cesser tout examen physique d’évaluation de l’âge, à savoir, l’examen des test osseux, du système pileux ou encore de la dentition.

Les MNA exposés à toutes sortes de dangers

Alors qu’une nuit froide d’automne est tombée, d’autres MNA de diverses nationalités arrivent au centre social de Rosa Parks pour trouver de la nourriture ou un refuge pour dormir. Une collègue de Vega apparaît alors pour lui donner un coup de main. Elle ne tarde pas à entamer un dialogue avec certains adolescents, qu’elle rencontre pour la première fois. Tous les jeunes que nous rencontrons sont ouverts au dialogue. Durant les échanges, certains esquissent même des sourires.

Médecins du Monde et Médecins Sans Frontières alertent depuis de longues années sur le fait que ces adolescents sont menacés par toutes sortes de dangers. Sophie Laurant, responsable du programme MNA à Médecins du monde en Ile -de- France, explique ainsi qu’il existe de multiples facteurs de risques pour les MNA, en raison de leur conditions de vie sans-abri : « Dans le programme MNA Paris, nous recevons beaucoup de mineurs qui sont victimes de menaces ou de violences dans la rue, dont on suspecte une récupération par un réseau de traite comme le trafic de drogue ou la prostitution». Elle pointe aussi la détresse des MNA sujets à une santé mentale et physique altérée :

Ils sont en alerte permanente, ce qui se traduit fréquemment par des troubles anxieux, des état dépressifs.

« Et l’absence d’hébergement contribue fortement à la dégradation de leur état de santé, du fait de la difficulté à subvenir à leurs besoins essentiels: manger, dormir, se laver, aller aux toilettes. » Aboubacar abonde : « Je voulais me faire soigner dans un hôpital. J’ai donc contacté RESF (Réseau d’Education Sans Frontière) qui m’y a envoyé. Le médecin m’a expliqué que si je ne me faisais pas opérer, ce serait dangereux pour ma santé. »

Sophie Laurent fustige le fait que ces jeunes qui sont vulnérables soient laissés à l’abandon: « On s’est complètement assis sur la présomption de minorité et sur l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est un principe primordial en France. Pour nous, c’est très grave ». D’une part, le principe de présomption de minorité stipule: « qu’un jeune se présentant comme mineur doit être considéré comme tel jusqu’à ce qu’une décision de justice ayant autorité de chose jugée, donc une décision du juge des enfants ou de Cour d’appel, soit rendue ».

Et d’autre part, l’article 20 de la convention internationale des droits de l’enfants signée par la France déclare que : « Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’Etat ».

Un accueil des MNA très compliqué

D’après ces associations, Aboubacar n’a pas été accueilli dignement après son arrivée sur le sol hexagonal. Elles considèrent qu’il n’a pas pu se reposer et reprendre ses esprits, après un long parcours migratoire semé d’embûches. Elles expliquent également qu’Aboubacar n’était pas accompagné dans la démarche à suivre, quand on est un mineur isolé étranger qui débarque seul en France pour la première fois.

Un accompagnement qui s’avère pourtant nécessaire tant le système est complexe et long. Confrontés à pléthore d’obstacles notamment administratifs et fragilisés, beaucoup de MNA peinent à faire reconnaître leur minorité.

Sophie Laurant observe: « Ce défaut de protection est à rechercher dans les conditions d’accueil des MNA à Paris. C’est vraiment pour nous, là, que le problème persiste d’années en années », indique-t-elle. « Il y a une difficulté au stade de l’évaluation, mais elle est encore renforcée à cause des conditions d’accueil qui sont quasi- inexistantes, ou en tout en cas, mal organisées. »

Quand un MNA arrive à Paris, il va être directement évalué et pour nous la complexité est là. 

D’après les ONG, certains jeunes sont même orientés dans des hôtels, alors qu’ils devraient être présumés mineurs. « Mon accueil en France s’est mal passé. J’ai fait une demande d’évaluation à Molisson. Là-bas,on m’a dit que j’allais être transféré à Nanterre. J’y suis resté pendant 4 mois dans un hôtel, mais je ne me sentais pas bien.», relate Aboubacar avec amertume.

Livré à lui-même et ne connaissant personne, Aboubacar se retrouve complètement isolé dans un pays qu’il ne connaît pas. A l’image de nombreux MNA sur le sol français, il erre dans les rues, notamment Porte de la Chapelle ou Porte d’Aubervilliers à Paris, depuis des mois. « Ils ont quasiment tous connu des périodes d’insécurité, ou il se sont retrouvés à la rue. Ils repèrent les quartiers, vont à Couronne, là où ils pourront avoir un peu d’enseignement, des repas », rapporte Daniel Bréhier, psychiatre à Médecins du Monde.

Les associations et les ONG estiment qu’il y en aurait des milliers dans cette situation extrêmement précaire en France, mais pourtant aucune statistique officielle n’existe sur le sujet. Le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur et inquiète particulièrement les ONG depuis plusieurs années. Selon le ministère de la Justice, les MNA pris en charge par l’ASE ont été estimés à 8 054 en 2016 et 17 022 en 2018. Le Centre MSF de Pantin a ainsi produit  un rapport sur la situation des MNA en France. Et les jeunes exilés étrangers rejetés de l’ASE comptent plus que jamais sur le soutien des ONG, de la population et des collectifs citoyens qui se mobilisent.

Le cas d’Aboubacar n’est pas isolé. De nombreux témoignages similaires émanant des différentes organisations et associations en font l’écho. Malik, 17 ans, vient quant à lui du Mali. Il est arrivé en France en Février 2019 :

« J’ai eu un entretien où ils m’ont dit que je n’étais pas mineur. J’ai été convoqué au tribunal avec mon avocat. Ils m’ont dit que mes papiers étaient faux. Je prévois de faire un recours, mais il me faut d’autres documents. Quand je ne suis pas à MSF, je dors dans une tente à Porte de la Chapelle. »

Un autre MNA qui accompagne Aboubacar nous confie ce qu’il vit au quotidien dans la rue: « Il y a un endroit à Colonel Fabien où je peux manger. Je suis allé au centre MSF de Pantin, où ils m’ont donné des vêtements, du savon et une tente pour dormir. Ce n’est pas facile. Avant le résultat de l’évaluation, je pensais que j’allais être accepté par l’ASE. A MSF, on m’a dit que je pouvais attendre un à deux mois. Ça dépend. »

Chaque jour, je suis inquiet et la nuit je ne dors pas. Tu réfléchis tout le temps. 

Les ONG fustigent le fait que les papiers présentés par les MNA soient de plus en plus souvent considérés comme faux. Ce qui arrive, mais Priscillia de Corson de MSF, évoque le fonctionnement de la police aux frontières (PAF) pour contrôler les papiers : « Ils vont souvent regarder l’état des documents. Il y a des services spécialisés dans le contrôle de la conformité des documents, qui se trouvent au sein des préfectures et dépendent de la direction de la police aux frontières. Le contrôle de documents se fait en référence à ‘des documents- type’ supposés montrer ce à quoi ressemble un document authentique. Il n’y a pas de véritable base de données ».

Puis, elle affirme que ce procédé présente des limites : « Les connaissances des agents de la direction de la police aux frontières, en charge de ces analyses documentaires sont parfois parcellaires ou ne sont plus à jour ».   

L’action vitale des associations et des collectifs citoyens

À Paris, les ONG et les collectifs citoyens portent assistance aux adolescents étrangers afin de pallier les manquements criants de l’Etat sur le terrain. Aboubacar et les nombreux autres MNA peuvent  justement être accompagnés par le centre MSF de Pantin, pour leur recours juridique auprès du juge des enfants.

Cette démarche peut durer de 6 mois à un an, période durant laquelle les MNA se retrouvent souvent à la rue. Le centre MSF de Pantin a justement été créé pour remédier à cette anomalie.Toutefois ce n’est qu’un accueil de jour, la nuit, ils sont à nouveau à la rue.

Maia Courageux explique comment l’association porte secours aux MNA au quotidien : « On fait des maraudes le soir à Porte d’Aubervilliers pour équiper tous les jeunes qui ont été refusés au centre du Demie. On leur donne des sac de couchage, tentes et produits d’hygiène, indique-t-elle. Le soir, deux situations peuvent se présenter : il y a des jeunes qui ont été rejetés du Demie alors que d’autres sont des primo-arrivants, c’est-à dire qu’ils viennent d’arriver et qu’ils n’ont effectué aucune démarche ».

Elle poursuit et décrit comment l’association gère la situation de ces primo-arrivants qui viennent le soir, et qui devraient être considérés mineurs d’après l’État car par encore “évalués” : « Quand la Croix-rouge est fermée le soir, les primo-arrivants ne peuvent pas se faire évaluer avant le lendemain. On les amène au commissariat qui est censé saisir le parquet, afin de signaler les mineurs à la rue. Ils sont ensuite conduits dans un foyer pour passer la nuit, jusqu’à ce qu’ils soient accompagnés le lendemain au Demie ». 

Julie lavayssière, coordinatrice d’Utopia 56 nous confie son pessimisme sur la pérennité du  réseau “Accueillons”qui permet à des citoyens d’accueillir des exilés : « Il se développe mais s’essouffle en même temps. C’est-à dire qu’on a beaucoup d’hébergeurs citoyens depuis 3 ans, mais que finalement il y a une fatigue des réseaux. On a moins d’hébergeurs citoyens. On fait ça en espérant une issue et au final, il n’y en a pas qui se profile ». 

Le centre MSF de Pantin apporte un accompagnement pluridisciplinaire déployé sur trois plans : le social, le médical et le juridique. Frédéric Bertrand, coordinateur du centre, explique ce suivi : « Sur le plan juridique, nous aidons les jeunes à saisir le juge des enfants, mais après, ils seront accompagnés par un avocat de l’aide juridictionnelle. Au niveau social, on va s’appuyer sur les assistants sociaux des hôpitaux et d’autres structures pour essayer de faire avancer leurs droits, notamment en matière de couverture médicale et de domiciliation. »

Il souligne qu’au niveau médical, MSF s’inscrit dans une démarche pour faire fonctionner le droit commun. « On va les orienter, faire le suivi avec les infirmiers et les médecins. » Il revient aussi sur le dispositif « Accueillons », créé en partenariat avec Utopia 56, un réseau d’hébergement solidaire : « L’idée est que ces jeunes, tout au long de leur recours juridique auprès du juge des enfants, soient mis à l’abri dans un réseau de trois familles afin que celles-ci puissent être soulagées. Ce qui, à nos yeux, devrait être pris en charge par l’État ».

En effet, selon le décret du 24 juin 2016 relatif à l’accueil et aux conditions d’évaluation des MNA, une mise à l’abri provisoire d’urgence de cinq jours au minimum pendant l’évaluation doit être immédiate et inconditionnelle. Or cette disposition n’est régulièrement pas respectée, laissant des jeunes à la rue.

Solène Ducci fait référence à la procédure juridique : « Lorsque le jeune a eu une décision de refus de prise en charge du département, c’est à cette étape qu’il y a 80% de rejet, » note-elle. « On écrit alors au juge des enfants. C’est mieux si c’est le jeune qui le saisit puisque le juge est obligé de le recevoir en audience, et d’examiner à nouveau la question de sa minorité. »

Et précise le rôle du juge des enfants : « Le juge des enfants réexamine la question de la minorité du jeune en se basant sur les résultats des vérifications documentaires faites par la PAF, des expertises médicales (test osseux), de la décision du département et du rapport d’évaluation du service évaluateur. »Elle tient à faire remarquer: « En réalité, le passage par l’ASE n’est pas obligatoire, car le juge des enfants  pourrait être saisi directement. Mais les juges renvoient vers les dispositifs d’évaluation si le jeune n’y est pas encore allé. Et, parfois ça peut être plus rapide si le jeune bénéficie d’une évaluation positive ».

 La ville de Paris envoie des gens pour aller défendre devant un juge administratif qu’il faut laisser les gamins dehors. C’est un peu triste. 

Elle lâche un rire désabusé : « Pourtant Dominique Versini, maire-adjointe de Paris chargée des réfugiés, déclare régulièrement qu’il n’y a pas de mineurs isolés à la rue». Et cite d’ailleurs le cas d’une avocate membre du GISTI, qui a fait un référé devant le tribunal administratif de Paris contre la décision de retirer un MNA de l’ASE, le temps de la procédure en appel auprès du juge des enfants.

Julie Lavayssière témoigne de la même volonté de la mairie de Paris, de ne pas reconnaître la problématique des MNA à la rue : « Pour la mairie, les mineurs isolés qui n’ont pas été reconnus par le département ne sont pas mineurs, mais reconnus majeurs. Du coup, il n’y a pas de questions à se poser. C’est juste des majeurs parmi les autres. Ça dépend donc de la préfecture ».  

Dominique Versini réfute toute forme de déni: « Les associations sont dans un combat militant, ce qui est tout à fait respectable. Nous sommes ouverts au dialogue. D’ailleurs, nous discutons souvent avec eux. À Paris, nous sommes le département qui s’investit le plus en France pour les MNA et les associations le savent », insiste-t-elle. 

Pour les associations et les collectifs citoyens, il y a une volonté manifeste de non-accueil des MNA. Tous les acteurs se renvoient la balle. Sous prétexte, que les jeunes étrangers isolés n’ont pas été reconnus mineurs lors de l’évaluation, les départements considèrent qu’ils ne relèvent plus de leur responsabilité. Quant à l’Etat, celui-ci soutient que si tous les recours n’ont pas été épuisés et que le juge pour enfants n’a pas donné sa décision, ces enfants ne sont pas mineurs.

Les solutions aux manquements de l’État

Dominique Versini met en exergue l’inaction de L’Etat : « Nous faisons beaucoup de choses. À Paris, un budget de 80 millions d’euros est consacré aux MNA, dont 8,8 millions d’euros pour leur mise à l’abri. On veut accompagner l’Etat, mais on ne peut pas s’y substituer. Il doit s’investir beaucoup plus sur cette thématique ». 

Frédéric Molossi partage cette analyse pour la Seine-Saint-Denis : « L’Etat ne compense qu’à hauteur de 8% la totalité des dépenses consacrées à la prise en charge des MNA. De notre côté, nous avons dépassé les 60 millions d’euros. C’est un budget qui n’a cessé d’augmenter depuis au moins 4 ans, car dans le même temps le nombre de MNA a lui aussi crû de manière très importante, jusqu’à atteindre 1700 accueillis et pris en charge par l’ASE ». 

Avant de poursuivre : « L’Etat ne propose rien. Il est censé prendre à sa charge toute la période entre la mise à l’abri et l’évaluation. Sa participation ne permet même pas de couvrir ces dépenses qu’il devrait en principe assumer ! ». 

Afin de remédier au défaut de prise en charge des MNA, Dominique Versini souhaite engager un travail de réflexion sur la question de l’évaluation de la minorité de ces jeunes avec les associations, afin de l’améliorer.

Des réunions sont d’ailleurs prévues. Esther Benbassa, députée EELV de Paris, et membre de la Commission des lois avait posé une question sur le sujet au ministre de la Santé et des Solidarités, Olivier Véran, publiée le 17 juillet. Elle réclame notamment une modification de l’article R221-11 du Code de l’action sociale et des familles pour que les jeunes « en recours » puissent profiter de la présomption de minorité jusqu’à la décision définitive du juge.

Les associations et les départements réclament donc que L’Etat respecte ses engagements en matière de protection de l’enfance. Le Président du Conseil Départemental de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel a même saisi le comité des droits de l’enfant de l’ONU dans ce sens.

Du côté des associations, plusieurs solutions sont avancées pour remédier à la problématique des MNA rejetés par l’ASE. Certaines ONG comme, Médecins du Monde, Utopia 56 et le centre MSF de Pantin en préconisent quelques unes : considérer les jeunes comme d’abord enfants et non comme des étrangers, améliorer l’accueil et l’évaluation, mettre les enfants à l’abri pendant toute la durée de leur recours juridique, etc. Il appartient maintenant à l’Etat de prendre en compte ces recommandations et de les mettre en œuvre.

Photographie à la Une : © Banque des Territoires, A. Le Gall,  Haytham-Rea. 

Hervé Hinopay

Articles liés