À Nanterre, la vie semble avoir repris son cours. Des évènements de juin dernier, seules subsistent les marques d’incendies ancrées sur le béton. Mathys*, originaire de la ville, commente tristement. « Aujourd’hui, quand on marche à Nanterre, on voit écrit “Justice pour Nahel” sur plein de bâtiments. Ça veut dire que les jeunes, quand ils font leurs courses, quand ils vont au sport, ils voient ces tags tous les jours. Nahel reste dans la mémoire. Toute la ville reste meurtrie par ça. »

En effet, les mois sont passés, mais la mort de Nahel hante encore de nombreux.ses habitant.e.s. Naomie est étudiante et vit à Nanterre. Elle témoigne du traumatisme qu’a suscité ce drame. « Ça aurait pu arriver à un de mes proches, déjà qu’on se sent accablé, c’est un enfant de notre ville, mais si ça venait à être un homme de ma famille ou un de mes amis, je serais à bout », livre-t-elle.

Noreddine Iznasni, cofondateur du Mouvement immigration banlieue (MIB) et ancien du quartier des Pablo Picasso, soupire. « On a des ancêtres qui ont combattu pour ce pays et qui sont morts dans les champs de batailles pour avoir des policiers qui tuent nos enfants, puis nous insultent de nuisibles. » Noreddine fait, ici, référence au communiqué du syndicat de policiers, Alliance, publié le 30 juin.

Un passé marqué de tensions

La mort de Nahel s’inscrit dans une longue liste de victimes de violences policières et reflète un climat pour le moins détérioré entre les habitant.e.s des quartiers populaires et les forces de l’ordre. Du haut de sa vingtaine, Mathys parle d’un « long passif » pour définir les relations entre les jeunes et la police. Mamadou, co-fondateur de l’association Zy’va au Petit Nanterre, abonde. « Quand on parle de relation police-quartier, il faudrait déjà que la police soit en relation avec les habitants ou les acteurs associatifs du quartier. Ça fait 30 ans que je suis là, je n’ai jamais rencontré un policier du territoire. Je ne peux ni sortir un prénom, ni un nom ou un grade. »

Il y avait même des policiers qui nous traitaient de sales arabes, de sales bicots

Naomie, elle, témoigne de la méfiance suscitée par la présence policière dans la ville. « On est toujours à l’affut, on se demande ce qu’ils viennent chercher ? Qui ils vont venir embêter ou agresser ? C’est toujours comme ça. »  De son côté, Noreddine se remémore : « Nous, quand on était jeunes, les contrôles, on les subissait aussi. Ici, à la préfecture en 1984, ils nous ont arrêtés et nous ont gazé dans les cellules fermées. Ils nous ont asphyxié, il y avait même des policiers qui nous traitaient de sales arabes, de sales bicots. »

Une mort de plus et « toujours la même rengaine »

C’est dans ce contexte tendu que, Nahel meurt du tir d’un policier le 27 juin 2023. Un drame supplémentaire et « toujours la même rengaine, c’est comme Adama Traoré, c’est toujours pareil. J’ai l’impression qu’on ne retient pas les leçons », s’insurge Naomie. Au-delà d’Adama Traoré, Norddine évoque de nombreuses personnes décédées entre les mains de la police. « Il y en a ils sont morts par asphyxie progressive, Adama Traoré, il en est mort. Lamine Dieng, pareil, ils l’ont étouffé, Hakim Ajimi pareil. En revanche, nous, dans nos quartiers, il n’y a jamais eu un policier mort », s’empresse-t-il d’affirmer.

On n’a pas de peine pour ceux qui décèdent des mains de la police

Une liste de mort qui s’allonge avec les années, et pourtant, l’enjeu n’a jamais été pris au sérieux. « Je pense qu’il y a une opinion publique et même institutionnelle qui dit “il y a des gens qui méritent de crever”. On n’a pas de peine pour ceux qui décèdent des mains de la police, on n’a pas de compassion pour la mère qui va enterrer son gamin de 17 ans. Tout ça, c’est injuste », s’indigne Naomie.

Une colère justifiée ….

Suite à cette nouvelle tragédie, les quartiers de France s’embrasent. Pendant les révoltes urbaines, Norddine se rappelle : « Je me suis dit : si j’avais eu leur âge, j’aurais été avec eux, ils ont eu raison. Le fait qu’on puisse tirer sur un jeune après un refus d’obtempérer en argumentant que le mec est connu des services de police, ça ne légitime rien. Il y a eu combien d’affaires comme ça ? »

Il y avait une critique plus large derrière la colère des jeunes

Quant à Mathys, il reconnaît « avoir eu du mal à trouver les mots », il a participé à la marche blanche organisée le 29 juin en soutien à la famille de Nahel. « J’y ai assisté en ayant le cœur lourd, le cœur meurtri », confesse-t-il. Concernant les révoltes urbaines, il s’y oppose fermement et se revendique « contre la violence et contre les émeutes » même si, tout comme Naomie, il trouve que la colère des habitant.e.s était et reste légitime. D’ailleurs, il explique : « Il y avait une critique plus large derrière la colère des jeunes. La vie d’un jeune de quartier, elle n’est pas facile, les parents peuvent être dépassés, fatigués par leur travail et ils ont très peu de moyens. C’est un tout. » Norddine, lui, décrit une « densité de fragilité » : « Il y a de la souffrance, les gens galèrent à payer leur loyer, galèrent pour se soigner, se nourrir, tout ça prend le dessus. »

Et malgré ce contexte, dépité, Mamadou assure : « J’ai vu la baisse des subventions tous les ans. Il y a 15 ans, il y avait 12 salariés à Zy’va, aujourd’hui, il y en a trois. »

… et des conséquences rudes

Cette colère ne s’est pas arrêtée aux révoltes, le traitement médiatique l’a également nourri. « Ils ont essayé de noircir le passé de Nahel. Tout ça pour justifier les actes du policier. Ça ne m’a pas du tout plu », déclare amèrement Mathys. Avec le recul, Norddine complète : « Les trois quarts du temps, c’est toujours la même méthode. Ce n’est pas la première fois qu’on essaye de salir la victime ou l’entourage pour légitimer leurs faits. Malik Oussekine, il avait essayé de le salir, mais c’était un travailleur, un étudiant. »

Naomie pointe les violences policières qui ont eu lieu après la mort de Nahel et évoque le cas d’Hedi à Marseille ou encore les condamnations sévères des jeunes ayant participé aux révoltes. « Les premières sentences qui sont tombées, c’était horrible, les jeunes se sont retrouvés dans les rouages de la justice. Il y en a un qui s’est retrouvé en prison parce qu’il a volé une cannette de Redbull. Il y a carrément des familles qui ont été délogées de leur logement social. »

« Ce ne sera pas le dernier »

Un mort de plus, une révolte, et rien… toujours rien. Face à cette situation dramatique, les habitant.e.s proposent des pistes de réflexions, Mamadou parle de l’importance de l’articulation des acteurs associatifs et l’élaboration d’une politique de la ville plus réfléchie. Norddine aborde la nécessité de réformer l’IGPN, Mathys attend que « justice soit faite, même si rien ne remplace une vie humaine ».

Mais tous.tes l’affirment avec certitude, Nahel ne sera pas le dernier. « Le message concernant les violences policières n’a pas été entendu, nous ne sommes pas dans un pays qui souhaite que les drames cessent », croit Naomie. De son côté, Mamadou se montre aussi pessimiste. « Il y a eu d’autres événements avant la mort de Nahel. J’étais là en 2005, il s’est passé quelque chose depuis ? » À Nanterre, le constat est amer.

Clémence Schilder et Thidiane Louisfert

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