« Ne tuez pas la danse Hip-Hop avec un diplôme d’État. » Le message s’affiche en lettres capitales sur le compte Instagram “Non à la loi 1149”, administré par Ambre et d’autres professionnels de la danse.

En octobre dernier, ils ont lancé une pétition et publié une tribune pour alerter et mobiliser contre cette proposition de loi. Le projet de réforme du métier de professeur de danse urbaine et régionale n’en est pas à son premier essai. La dernière date de 2015 sous le format d’un DNSP (Diplôme National Supérieur Professionnel de danseur Hip-Hop)  proposé par le Ministère de la Culture. Après une mobilisation importante de la communauté Hip-Hop, il avait été abandonné.

Les principaux points de la proposition de loi 1149

Cette proposition de loi est présentée comme la continuité de la loi de 1989, relative à l’enseignement de la danse contemporaine, classique et jazz. « L’idée est d’ouvrir un diplôme d’État à TOUTES les danses pour assurer les enjeux de sécurité et de santé quand on est professeur de danse », explique Fabienne Colboc pour le podcast “Porté Danse”. Elle est l’une des députées à l’initiative de cette proposition de loi. Ainsi, il y aurait un diplôme d’État d’enseignement de la danse, unique et obligatoire, avec une mention pour les différentes danses.

À lire l’exposé des motifs de la proposition de loi, on pourrait croire que cette “professionnalisation” de l’enseignement des danses urbaines est l’événement le plus attendu par la profession ces dernières années. Mais en dehors de la commission mobilisée pour ce projet de loi, les voix qui se font entendre sont presque exclusivement hostiles à cette réforme. Ainsi, des réels Instagram et une pétition contre ce projet de loi connaissent un retentissement certain depuis plusieurs mois.

Quelques avantages éventuels qui n’éteignent pas le rejet de cette réforme

Éléonore, professeure diplômée de danse contemporaine, voit des avantages à ce type de réglementation. « Dans nos Diplômes d’État (DE), on apprend des choses primordiales pour la santé et la sécurité des élèves », indique-t-elle. « Et c’est pareil pour la pédagogie, tant que tu n’en as pas fait, tu penses que tu peux t’en passer, mais loin de là. » 

Elle insiste sur le fait que l’enseignement de la danse revient à placer entre les mains du professeur le corps d’amateurs, de débutants, et parfois d’enfants, qui peuvent être blessés durablement.

« Même si je pense que certains aspects de formation sont essentiels, je ne suis pas directement concernée, et les personnes ayant déposé cette proposition non plus d’ailleurs », pondère Éléonore. C’est là l’un des premiers points de friction avec la communauté des danses visés par le texte de loi.

Le Hip-Hop : une danse issue de la contre-culture

En effet, si certaines danses comme des formes de Hip-Hop sont déjà en partie institutionnalisées (enseigner dans certains conservatoires, représenter aux JO pour le break, etc.), elles restent à la base une contre-culture et un art contestataire. Beaucoup de danseurs s’interrogent aujourd’hui sur le sens de cette réforme qui vise un art initialement marginal et très critique des institutions. En particulier venant de députées de la majorité et de droite qui ne semblent pas avoir d’attache particulière avec les danses dites “urbaines”.

Il y a le risque que ça soit repris par une élite, alors qu’à la base le Hip-Hop est fait pour balayer ses stigmates

Jirayan*, lui-même titulaire d’un diplôme de danse Hip-Hop, n’est pas favorable à le rendre obligatoire. « Si d’un côté cela peut permettre d’ouvrir des portes dans un espace moins underground, il y a le risque que ça soit repris par une élite, alors qu’à la base le Hip-Hop est fait pour balayer ses stigmates. » Il fait aussi valoir le fait que la plupart des profs de danses dites urbaines n’ont pas de diplômes et que ça n’en fait pas pour autant des mauvais profs.

L’essence des danses urbaines en danger

Ces danses ont un rôle d’éducation populaire, nous explique Ambre, professeure de danse depuis 11 ans et chorégraphe de la Compagnie Afro des 100 danses.  « Un bon professeur est quelqu’un qui a atteint une maturité personnelle dans son art et qui est confronté au milieu », estime-t-elle. La professeure de danse souligne le danger que représente cette loi pour la survie de ces danses étrangères. Ce sont des danses vivantes, créatrices de nouveaux mouvements en permanence. « Les codifier, les lisser et les écrire au maximum, c’est le début de la fin. Le jazz, qui est une danse afro-descendante, a subi la loi de 1989, le niveau a été nivelé vers le bas et sa dynamique a disparu », compare Ambre.

La “valorisation” et la “reconnaissance” par l’État sont des arguments mis en avant par les rédactrices de la proposition de loi. Céline, danseuse amateur de Dancehall et mobilisée auprès d’Ambre affirme, elle, que le fait « d’imposer ce diplôme et de le présenter comme une valorisation déprécie toute la valeur de fonctionnement autonome de ces danses ». Et Ambre abonde : « On a déjà nos systèmes de reconnaissance ». Toutes deux sont membres du collectif “Non à la loi 1149/ le Moovement”.

Cette loi est punitive pour beaucoup d’acteurs essentiels du milieu

Dans le texte de loi, une sanction de 15 000 euros d’amende est prévue si le professeur ne possède pas de diplôme d’État. « Cette loi est punitive pour beaucoup d’acteurs essentiels du milieu », insiste Ambre. Dans un milieu déjà précaire, devoir passer un diplôme sur trois ans, interrompre son activité et payer des frais de scolarité est une charge supplémentaire.

Des modalités d’encadrement floues

Un autre point interroge vivement : les modalités de l’obligation. Aujourd’hui, pour pouvoir obtenir un diplôme d’État de classique, par exemple, il faut tout d’abord passer une “validation des acquis”. Cet examen permet d’attester un niveau technique suffisant pour prétendre à poursuivre des études. Or, si les danses précédemment citées sont très codifiées et largement connues, ce n’est pas le cas de beaucoup de déclinaisons du hip-hop et des danses urbaines.

En effet, rien que dans cette catégorie, on peut citer le break, le hip hop new style, la hype, le popping, le locking, le krump et quid du voguing, du waacking, du heels, du dancehall, de l’afro, de l’afro house, de l’amapiano, qui eux-mêmes se déclinent en sous-genres. Quel jury serait capable d’évaluer des danseurs de toutes ces catégories ?

La même question se pose pour ceux qui seraient dispensés de passer le diplôme. Qui sera apte à délivrer le diplôme directement et en se basant sur quels critères ? Ces danses sont aussi toutes évolutives et leur transmission est un aspect à part entière de la culture.

Un diplôme perçu comme un rapport de domination

En effet, pour beaucoup, cette proposition de loi apparaît comme une tentative de récupération par l’État, mais aussi par les élites, d’éléments des cultures racisées.

L’apprentissage de ces danses s’inscrit dans la réappropriation de leur histoire relativement récente des afro-descendants. « Avec ce diplôme d’État qui vient tout encadrer, on stoppe ce processus » et crée un rapport de domination, explique Ambre.

Ce rapport de domination inquiète, y compris les personnes qui ne sont pas foncièrement contre cette proposition de loi.

Ambre Couvin et Samira Goual

Photo ©MaickMaciel

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