« Vous venez souvent là, du coup ! », plaisante une professeure. « Vous aussi ! », réplique un des policiers, sans lui donner tort. Éclats de rire entre fonctionnaires.

Les mobilisations des personnels de l’Éducation nationale s’enchaînent en Seine-Saint-Denis depuis février pour demander un plan d’urgence. La veille, douze maires séquano-dionysiens ont mis l’État en demeure d’accéder à leur revendication. Mercredi 3 avril 2024, dans le hall de la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN) de Seine-Saint-Denis, cinq agents de police interviennent pour évacuer les enseignants et professeurs du collège Éric Tabarly, situé aux Pavillons-sous-Bois.

Il y a dix ans, les élèves malvoyants étaient dans des classes de 18. Aujourd’hui c’est 24. Avec la suppression, ce sera 28

Sept professeurs et trois mères d’élèves se sont rassemblées devant la DSDEN 93 à l’initiative de la FCPE et de l’équipe pédagogique. Quand ils arrivent sur place, la porte automatique ne s’ouvre plus. « C’était ouvert il y a cinq minutes, mais ils ont vu qu’on était là », observe Laure Alexandre, professeure d’espagnol et représentante de la section syndicale SNES-FSU. On déploie la banderole : « Non à la suppression de la classe de 5ᵉ ». Une professeure d’histoire-géo fait retentir son tambourin. Deux enseignants se bouchent les oreilles pour se protéger des coups de sifflets stridents d’une de leur collègue.

Car la suppression d’une classe pénaliserait considérablement certains élèves. Éric-Tabarly a la particularité d’accueillir des élèves malvoyants, dits déficients visuels. « DV » dans le jargon interne. Ils sont intégrés dans les classes avec les autres élèves. Or, qui dit classe supprimée dit augmentation des effectifs. Les DV seront les premiers à en pâtir.

« Plus de bruit, moins d’espace »

Il y a dix ans, les malvoyants étaient dans des classes de 18. Aujourd’hui c’est 24. Avec la suppression, ce sera 28, calculent les professeurs. « Plus d’élèves dans une classe, ça veut dire plus de bruit et moins d’espace », résume Laure Alexandre, sifflet à la main. Elle a six élèves DV au total dans ses classes. « Chaque élève a un ordinateur, un agrandisseur », détaille Mme Normenius, professeure d’histoire-géographie. « Et il y a une assistante de vie scolaire (AVS) qui les accompagne. Tout ça nécessite de l’espace. » « Pour travailler dans de bonnes conditions, il faudrait qu’ils soient 20 ou 22 grand maximum », estime Laure Alexandre.

Malgré les alertes des parents, de la direction, les lettres de la députée LFI ou du maire LR, l’équipe de Tabarly n’a jamais été reçue dans les bureaux des services de l’Éducation nationale. Pour espérer obtenir un entretien, il faut ruser gentiment. Un groupe de six manifestants suit une mère et sa fille qui viennent en rendez-vous. Ils parviennent à entrer par l’autre porte, de l’autre côté du Carré Plaza, l’immeuble où se situent les bureaux de la DSDEN 93. Un autre groupe se faufile dans le hall de l’entrée principale, selon le même mode opératoire. « C’est humiliant », grince un professeur.

Dans un des deux halls, Laure Alexandre parlemente avec le responsable de la sécurité. Apparemment, personne n’est là pour les accueillir. « De l’autre côté, on a dit à nos collègues que tout le monde était en réunion, il faudrait vous mettre d’accord ! », s’amuse-t-elle. La police finit par arriver. Les professeurs et parents d’élèves ne bougent pas et exigent que quelqu’un viennent leur dire en face qu’on refuse de les recevoir.

La dernière fois, on nous a reçus sur le trottoir, maintenant, c’est dans le hall. On progresse ! 

Finalement, Stéphane Pain, directeur de cabinet de la DSDEN 93, sort d’un ascenseur et s’excuse pour l’attente. La délégation de Tabarly ne sera pas reçue dans les bureaux aujourd’hui. « Il y a deux ans, le directeur de cabinet de l’époque, Benoît Burille, nous avait accueilli sur le trottoir », se souvient Laure. « Cette fois, on est dans le hall, on progresse ! », ironise-t-elle. La DSDEN a répondu à la direction de l’établissement le matin par mail, rassure Stéphane Pain. Le directeur de cabinet s’engage à recevoir le collège en juin.

Ce sera l’occasion d’évoquer les problématiques communes à tant d’établissements de Seine-Saint-Denis. « Ma fille n’a pas eu de cours de musique depuis novembre », témoigne Laetitia, mère FCPE d’Éric-Tabarly. « Et notre infirmière, partie en congés maternité, n’est toujours pas remplacée ».

Mobilisation terminée pour aujourd’hui. Une heure et huit minutes se sont écoulées entre le déploiement de la banderole et l’arrivée de Stéphane Pain. La prochaine fois que l’équipe de Tabarly viendra à la DSDEN 93, il n’y aura pas de policiers.

Hadrien Akanati-Urbanet

Articles liés