« Tout le monde, sortez et prenez vos affaires ! » Karamoko Naouata garde en tête l’intervention des forces de l’ordre dans son appartement aux fauvettes il y a trois mois. Cette mère de famille, ses deux enfants en bas âge, ainsi que son mari ont été expulsés sans ménagement. Sous le choc, elle s’est fracturée le pied en descendant les escaliers et sa fille de six ans s’est urinée dessus.

« J’étais tellement traumatisée et ma fille aussi. On a appelé le 115 une fois dehors, mais on a eu aucune réponse. Nous dormons dehors depuis notre expulsion », raconte d’une voix très douce cette Ivoirienne de 37 ans. À quelques mètres, son aîné chante sur la petite scène installée par l’association Maestra l’entêtante chanson de la Reine des neiges « libérée délivrée ».

Arrivée de Côte d’Ivoire il y a trois ans, la famille a effectué une demande d’asile, mais celle-ci a été déboutée. Ils se sont retrouvés à la rue lorsqu’un homme leur a proposé, en échange de 2000 euros, un logement dans la cité. Une fois la somme donnée et la fratrie installée dans l’appartement, Karamoko ne l’a plus jamais revu. Elle a été victime d’une escroquerie au bail.

Des habitants livrés à eux-mêmes

Dans ce quartier enclavé entre les voies de chemin de fer et la route nationale 1, les récits similaires à Karamoko se multiplient et les marchands de sommeil prolifèrent. L’agence nationale de la rénovation urbaine (Anru) a validé en 2020 le projet de démolition de cette résidence, une des copropriétés les plus dégradées en Île-de-France. 60 millions d’euros seront investis pour laisser place à un gymnase et à un centre social. Mais en attendant les relogements, les habitants ont appris tant bien que mal à survivre dans des conditions déplorables.

Les immeubles se dégradent forcément, la copro s’endette et les marchands de sommeil en profitent

Absence d’ascenseurs, murs fissurés, boîtes aux lettres ouvertes, insécurité, etc. Sur les 136 logements, il n’y a que 35 % de propriétaires occupants. Parmi eux, seuls 15 à 20 % payent leurs charges. La cité est totalement endettée et n’est plus entretenue. « On a fait miroiter l’accession à la propriété comme un dispositif génial à plusieurs personnes. Dès qu’il y a des travaux à faire alors que les charges sont très élevées pour les propriétaires, la plupart ne peuvent pas les financer. Les immeubles se dégradent forcément, la copro s’endette et les marchands de sommeil en profitent », détaille Marie Huiban, militante du DAL (association Droit au logement).

L’objectif du Dal est clair : que l’ensemble des habitants puissent être relogés et que personne ne se retrouve à la rue.

Dans l’une des tours au rez-de-chaussée, un lieu de restauration a pris place. « Tous les jours, je reçois des gens ici qui viennent manger et j’accueille d’autres personnes en bas du restaurant pour qu’elles dorment, car elles n’ont nulle part où aller », explique la dame qui gère le lieu.

En bas de cette tour, des jeunes réparent des trottinettes électriques et l’un d’entre eux, Dédé, indique avoir payé 800 euros à un marchand de sommeil avant d’être expulsé à son tour par la police. On retrouve quelques instants plus tard ce vendeur de cigarette à la sauvette sur la scène en train de rapper avec d’autres camarades à lui.

La dégradation continue de leurs logements

Vers 16 heures, le public se presse pour assister aux prises de parole et aux animations préparées par Maestra et d’autres associations présentes. Stand de crêpes, barbe à papa et sandwich sont pris d’assaut par les enfants qui courent dans tous les sens. « Je vis ici depuis toujours, ça se passe bien, on habite au 8ᵉ étage même si y’a pas d’ascenseur », relate la jeune fille de 13 ans. Les habitants se sont malheureusement habitués aux conditions de vie déplorables dans cette résidence. Bushra regrette « ces conditions de vie difficiles, je vis avec mes deux sœurs et ma mère et il n’y a pas de chauffage en hiver », indique l’adolescente. Sa famille a récemment visité un logement à Pierrefitte.

Depuis 2013, nous n’avons plus d’ascenseurs dans notre immeuble

Marc* vient de recevoir un coup de téléphone, il apprend qu’il va pouvoir être relogé en région parisienne. Un soulagement pour ce dernier puisqu’il souhaite quitter Pierrefitte depuis plusieurs années. Sa femme est considérée comme personne handicapée et lui souffre de problèmes aux genoux. « Je suis arrivé dans le quartier en 1988, il s’est détérioré dans les années 2010 et depuis 2013, nous n’avons plus d’ascenseurs dans notre immeuble », déplore-t-il.

Marc* est devenu propriétaire de son appartement dans les années 90. Puis Soreqa (une société publique locale d’aménagement chargée de lutter contre l’habitat indigne) lui l’a racheté pour une faible somme et ne lui a jamais proposé de logements dignes de ce nom.

Il y a quelques années, l’association Maestra s’est retrouvée mandatée par l’Anru et Plaine commune pour développer un projet culturel à la cité des Fauvettes. Mais les équipes se sont rendu compte qu’il y avait un indéniable travail social à mettre en place avec des publics et des profils différents. La somme allouée pour le faire est dérisoire tant le travail à mettre en place est grand : 90 000 euros pour quatre ans. Une salle polyvalente, un studio d’enregistrement, des ateliers bricolages, les fresques qui ornent les tours, etc. Plusieurs choses ont été réalisées par Maestra. Mais l’association se trouve désemparée face à l’abandon de ces habitants qui demandent simplement à s’en sortir et à vivre dignement.

Aïssata Soumaré

 

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