Leurs uniformes bleu nuit sont devenus omniprésents dans les transports publics. À l’approche de Jeux olympiques et paralympiques de Paris, le nombre d’agents de sécurité de la SNCF et de la RATP ne devrait faire qu’augmenter, de même que leurs prérogatives.

Ce mardi, le Sénat examine une proposition de loi visant à renforcer la sûreté dans les transports en commun franciliens. Cette proposition concerne les attributions de la SUGE (Surveillance Générale), le service de sécurité de la SNCF, et du GPSR (Groupe de Protection et de Sécurité des Réseaux), celui de la RATP.

Sénateur LR des Alpes-Maritimes, Philippe Tabarot, a bon espoir quant aux chances d’adoption de son texte de loi. Et pour cause, l’ancien ministre des Transports, Clément Beaune, s’est dit favorable à ses propositions, tout comme le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Dans un Sénat majoritairement à droite, le vote de ce texte a peu de chances d’être contrarié.

Effectifs et prérogatives augmentent

Cette proposition s’inscrit dans la continuité des 20 % d’augmentation des effectifs immédiats de la SUGE (SNCF) (et 50 % d’ici les Jeux Olympiques) annoncés par Clément Beaune, le 18 octobre dernier. Le GPSR veut lui augmenter de 10 % ses effectifs.

Ainsi, en plus d’une augmentation des effectifs, le Sénat veut accorder plus de pouvoir aux agents. Périmètre d’intervention élargi, plus grande facilité à procéder à des fouilles et palpations ou encore utilisation généralisée des caméras-piéton (actuellement en cours d’expérimentation)… Le texte prévoit également une possible “interdiction de paraître” dans les transports publics.

Continuité législative et constitutionnalité

Pour Olivier Cahn, maître de conférences en Droit privé et sciences criminelles à la faculté de Droit de Cergy, cette proposition résulte « d’un basculement » opéré, dès 2016, par la loi Savary. Et poursuivi par la loi sécurité globale en 2021.

« Il s’opère en 2016 un transfert de missions de police vers les agents assermentés, en particulier tout ce qui concerne le maintien de l’ordre », retrace Olivier Cahn. Ces agents peuvent désormais dresser des procès-verbaux à la police des chemins de fer, fouiller et palper, etc.

« Les pouvoirs ont tant été étendus qu’à mon sens, ils posent la question de leur constitutionnalité », soulève-t-il. En effet, pour le juriste, la loi de 2016 octroie aux agents des pouvoirs de police judiciaire. En parallèle, le Conseil constitutionnel a refusé ces pouvoirs à la police municipale, au motif qu’elle ne dépendait pas du procureur de Paris. Ni la Suge ni le GPSR n’en dépendent.

Mais ce qui a rendu tout cela possible, c’est l’adhésion du monde politique à la doctrine du continuum de sécurité.

Continuum de sécurité

Le principe de “continuum de sécurité” est une doctrine qui prend de plus en plus de place dans la gestion du maintien de l’ordre. L’idée est de brouiller les limites entre les différents organes de sécurité (aussi bien privés que publics) afin de couvrir tout l’espace public. Cette notion est notamment détaillée dans Le livre blanc de la sécurité intérieure de 2019 qui guide le gouvernement dans ses actions.

On peut y voir détaillé la volonté de décharger la police nationale d’un certain nombre d’activités. Police Municipale, agents ferroviaires, vigiles, agents de sécurité des HLM, sont donc intégrés à ce continuum.

Pour Nathalie Tehio, membre du bureau national de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), cela a un effet délétère sur les libertés individuelles. Cette dernière y voit une manière d’exercer une surveillance permanente. « On va mettre en avant l’objectif de sécurité pour restreindre les libertés », prévient-elle.

« Un modèle très viriliste qui se cale sur celui de la police nationale »

Pour la représentante de la LDH, il y a une porosité indéniable entre les modèles de la police et des organes de sécurité ferroviaire. « C’est un modèle très viriliste qui se cale sur celui de la police nationale », développe-t-elle. « On n’est pas devant une autorité naturelle, du fait du respect de la fonction, donc on cherche un respect induit par la peur. Une attitude qui pénalise toujours les mêmes. »

Le comportement des agents de la sûreté ferroviaires a déjà défrayé la chronique. En septembre 2022, un agent a été condamné pour violences volontaires aggravées lors de l’interpellation d’une femme enceinte à la gare RER d’Aulnay-sous-Bois.

Olivier Cahn, de son côté, porte un regard plus positif sur ces agents. « Je pense qu’ils sont quand même raisonnablement bien formés. Au niveau des textes, il y a une tolérance zéro au niveau des transports. En réalité, on n’a pas le droit de se balader dans les transports avec une valise par exemple, ni de mettre ses pieds sur un siège. Si les agents appliquaient toutes ces directives, ils seraient beaucoup plus sévères », selon lui.

Une étude documente les contrôles discriminatoires des agents de la sûreté ferroviaire

Fabien Jobard et René Levy ont réalisé une étude pour le Cesdip – Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) – qui dépend du ministère de la Justice.

Cette étude concernait les contrôles au faciès à Paris et a démontré que les contrôles d’identité à Gare du Nord ne se faisaient pas vis-à-vis de personnes avec de gros bagages, par exemple, ou autres situations qui pourraient avoir du sens au vu de la lutte contre les trafics ou le terrorisme.

En réalité, explique Nathalie Tehio, ce qui a été démontré, c’est qu’on y cible plutôt les jeunes hommes de banlieues, et plutôt Noirs ou Arabes. « C’est une façon d’instituer une frontière intérieure », souligne-t-elle.

Dès lors qu’on donne un pouvoir à des personnes, il faut les former aux biais discriminatoires

« Dans leur formation, il n’y a pas de réflexion sur les risques de discrimination », pointe Nathalie Tehio. Elle déplore à ce titre l’opacité de leur formation. « Dès lors qu’on donne un pouvoir à des personnes, il faut les former aux biais discriminatoires, sans cela, on ne peut pas s’attendre à des résultats différents de ce qui a été fait dans le passé. »

Un point d’attention qui ne trouve pas de traduction dans le texte examiné ce mardi au Sénat.

Ambre Couvin

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