C’est tout un quartier qui paie les pots cassés à cause de « quelques petits cons ». Ces mots sont ceux d’un habitant de la Courneuve, commune de 40 000 habitants, interrogé mardi soir devant l’un des bars-PMU de la cité des 4 000. Depuis quatre jours, plus aucun car ne traverse le quartier. Samedi soir, un bus a été incendié avec des bidons d’essence. Vers 21h30, trois jeunes cagoulés sont montés dans le 302 avant de forcer la conductrice et les deux passagers à descendre et de mettre le feu au véhicule. Conséquence : la RATP, qui a « fermement condamné cet acte et assuré à la conductrice son soutien », a décidé de dévier six lignes et de raccourcir le trajet de certains d’entre elles.

« Ça complique le moindre déplacement, lâche une mère de famille qui se promène avec son bébé en poussette. Je vais faire mes courses au Carrefour de Saint-Denis. Avec le bus, le trajet dure une dizaine de minutes. Là, je dois prendre le tram. C’est plus long et surtout plus difficile avec la poussette car il y a toujours beaucoup trop de monde. Tous ceux qui ne peuvent plus prendre le bus se rabattent sur le tram. C’est épuisant ». D’autres questionnent les motivations des auteurs de l’incendie. « Pourquoi ont-ils fait ça ? Ils ne pensent pas aux habitants et je ne parle même pas de ces chauffeurs de bus qui ne font que leur travail ». Une autre maman, accompagnée de ses deux garçons, regrette que « ceux qui ont fait ça mettent tout le monde dans l’embarras : les gens qui vont travailler, les parents, les habitants, et ces jeunes eux-mêmes ». Nombre d’entre eux ont dû se résoudre à prendre la voiture pour se déplacer, au grand dam de Nadine, infirmière libérale à La Courneuve, qui passe désormais davantage de temps dans les bouchons.

Ils nous foutent dans la merde

Dans le quartier, les riverains croisés ce mardi semblent surtout résignés et loin d’être surpris par la violence de l’attaque. « Que peut-on y faire ? Rien, alors on fait avec », explique un jeune homme qui vit à La Courneuve depuis 16 ans. « Ce n’est pas la première fois que ce genre de choses arrivent ici », ajoute-t-il. « C’est devenu infernal. Je ne me vois pas revenir habiter dans le quartier », affirme Nadine, l’infirmière, ancienne habitante de La Courneuve. Travaux de voiries interminables et problèmes d’insécurité l’ont convaincue de plier bagage. D’autres n’ont pas cette possibilité. « Si on en avait les moyens, on n’habiterait pas ici », se lamente une habitante des 4 000. Un retraité ne reconnaît même plus son quartier : « Ils nous foutent dans la merde, ils foutent leurs parents dans la merde. La situation s’aggrave d’année en année. Il y a de plus en plus d’incivilités. On laisse faire la délinquance ». En juillet dernier, quatre policiers ont été blessés dans une embuscade. Une trentaine d’individus ont tiré des mortiers d’artifice en direction des fonctionnaires de police. Le même mois, une vingtaine de voitures de service et minibus de la mairie ont été incendiés.

Pour le maire communiste de la ville, Gilles Poux, également vice-président de Plaine Commune « trop, c’est trop ! », s’indigne-t-il dans un communiqué où il qualifie l’attaque d’ »acte lâche et sans fondement« .« En s’attaquant à nos équipements, à nos agents, c’est à la population qu’on s’attaque (…). On laisse nos territoires abandonnés face à des agissements criminels et mafieux de quelques-uns qui pourrissent la vie des habitants », poursuit-il. Il réclame de toute urgence « des forces de police statiques dans les quartiers dits sensibles ».

Ce type d’attaques n’est pas propre à La Courneuve. Fin juillet, un bus de la RATP avait été incendié à Saint-Denis, dans la cité du Franc-Moisin. Un groupe d’individus avait fait descendre les cinq passagers et le conducteur avant de lancer des bouteilles à l’intérieur du bus et de prendre la fuite. « Ça commence à devenir une petite mode », juge un habitant du quartier. « Ce que je constate, c’est que moi tout comme la RATP nous représentons l’État à leurs yeux, explique Ali Celik, responsable d’une pépinière d’entreprises installée depuis 2005 au cœur de la cité des 4 000. Pour ces délinquants, un bus qui roule c’est l’incarnation de l’État, c’est l’État qui circule. »

Ces jeunes se tirent une balle dans le pied

Dans une ville où 40% des moins de 24 ans sont au chômage, c’est la double peine pour les jeunes. « Ces agressions renforcent l’idée que c’est dur de créer de l’activité économique sur ce territoire. Les entrepreneurs se disent de manière très égoïste : s’ils brûlent un bus, ils peuvent très bien brûler mon local’, explique Ali Celik qui comprend que ce sentiment de peur puisse exister. « Ces jeunes se tirent une balle dans le pied. En agissant ainsi, ils n’aident pas à redorer l’image des banlieues. Alors que mon principal argument pour attirer les start-up, c’est justement l’image de la commune« .

« Bien sûr qu’il y a du chômage dans ces territoires mais c’est aussi un manque de volonté des personnes dans cette situation, estime pour sa part, Nadine l’infirmière. Dans mon cabinet, on cherche toujours une remplaçante mais on ne trouve pas. J’ai aussi une cousine qui travaille dans la restauration à Aubervilliers, elle a besoin de cinq personnes mais ne reçoit pas de candidatures« . Ali Celik, lui, relativise. Actuellement, sa pépinière compte 52 emplois. 30% d’entre eux sont issus du territoire local. « On est dans des quartiers où les gens qui réussissent leurs études quittent le secteur, alors on a du mal à trouver certaines compétences. Il est plus facile, par exemple, d’embaucher un manutentionnaire qu’un développeur informatique », constate le chef d’entreprise. Ce dernier ne veut toutefois pas baisser les bras. Tout n’est pas tout noir, selon lui. Il croit en la force de frappe de la pépinière. Il en est convaincu. « Ici, on peut faire autre chose que de la délinquance, cette idée sera toujours mon cheval de bataille ».

Leïla KHOUIEL et Kozi PASTAKIA

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