Du jamais vu à Cergy. C’est ce que les habitants ont confié au Bondy Blog lors du rassemblement du 31 mai devant le restaurant le Brasco à Cergy (Val d’Oise). Quelques heures plus tôt, dans la nuit du 30 au 31 mai, Joseph, un livreur Uber Eats a subi une violente agression physique et verbale, dans le fast-food de Cergy. Des coups qui ont été précédés d’insultes à caractère négrophobe : “sale esclave, retourne dans ton pays”, peut-on entendre sur la vidéo enregistrée par une témoin, elle aussi prise à partie par l’agresseur.

Parmi les quatre jeunes sortant du restaurant, un homme se revendiquant d’origine algérienne a été filmé par la jeune femme, Vitalina, qui habite au dessus de l’établissement. Elle devient par la suite la cible d’insultes sexistes et négrophobes, sans que le personnel du restaurant n’intervienne. Les vidéos de Vitalina se répandent comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, après qu’elle ait diffusé les images sur son compte Instagram.

Un rassemblement spontané et tendu devant l’établissement

Le lendemain, une centaine de personnes, habitants ou non, ont décidé de se réunir devant le restaurant, à l’initiative notamment de plusieurs collectifs d’afro-descendants, afin de montrer leur soutien au livreur et aussi tenter de retrouver l’homme à l’origine des insultes, notamment la Brigade Anti-Négrophobie (BAN). L’individu a finalement été interpellé le premier juin à Paris par la police.

“J’ai 39 ans, et en 35 ans à Cergy c’est la première fois que j’entends ça”, constate Babali*, présent dans la foule. Pour lui, il reste inadmissible de “parler de cette manière aussi librement à Cergy, defoncer un livreur sous prétexte qu’il est noir, parce qu’on ne va pas dire que c’est autre chose.”

Stéphane qui accompagne son ami Babali ne comprend toujours pas : “Cergy c’est cosmopolite”. Lors de la conversation,  un jeune d’origine marocaine de 18 ans interfère en dénonçant le racisme. Stéphane répond “ Oui c’est comme ça ici,  toi t’apprends de moi, moi j’apprends de toi”.

Une centaine de personnes se sont réunies devant l’établissement pour exiger des explications.

“Je suis venue, pour soutenir le livreur, la dame et dire que non, à Cergy, on ne veut pas de ça. C’est vraiment une ville solidaire ”, atteste Aïssetou*. “Ce n’est pas en tant que personne noire que je dis ça, mais en tant que Cergyssoise. Il y a de tout aujourd’hui, tout le monde s’est senti visé”, conclut-elle.

Un homme se tenant debout non loin d’elle déclare : “En tant qu’homme blanc haibitant à Cergy, je trouve ça juste inadmissible. Après le Brasco, je n’y suis jamais allé et j’irai jamais. Cette misogynie, ce racisme, et tout ce qui va avec…” Des propos tenus par beaucoup et qui laissent envisager une volonté de boycott du restaurant. Présent face à la foule, le gérant a tenté d’expliquer aux manifestants que l’homme à l’origine de l’agression, n’était pas l’un de ses employés. Le discours de sourds s’installe sur la dalle, tandis que la place se remplit.

Demande de la fermeture du restaurant et des mesures pénales

“On a décidé de faire un boycott du restaurant”, affirme calmement Aïssetou*. “On n’accepte pas ça sur Cergy. C’est une ville multiculturelle, on n’a jamais eu ça. C’est pour ça que les gens aujourd’hui sont tellement énervés et révoltés”, explique la jeune femme face à la tension et l’émotion palpables lors du rassemblement.

Ce qui s’est passé hier est inacceptable. Je suis présent aujourd’hui pour dénoncer et demander que l’agresseur soit puni. Il s’est revendiqué Algérien mais on ne veut pas d’amalgames ”, assure le trentenaire Yaya*. “On veut la fermeture définitive du restaurant.

On nous tue, on nous piétine, le préfet ne se déplace même pas.

Michel, éducateur à la Sauvegarde 95, originaire de Pontoise s’est spécialement déplacé. “C’est vraiment honteux”, introduit le franco-algérien. “Il se dit Algérien, mais ce qu’il a dit c’est sale. Ici on vit tous ensemble. Heureusement qu’il y a eu cette mobilisation aujourd’hui, sinon ça serait passé normalement.” Pour l’éducateur, le comportement du gérant du Brasco est presque aussi grave. “Il ne sort même pas pour dire que ça se passe devant chez lui et dire [à l’agresseur] t’insultes une daronne. Tout ce qu’il a gagné c’est qu’à mon avis son restaurant est tricard”, termine Michel.

Dans la foule, Michael John, collaborateur parlementaire du député Aurélien Tâché (de la dixième circonscription du Val d’Oise) prend la température. Une plainte d’Aurélien Taché a été déposée contre X auprès d’Eric Corbaux, procureur de la République de Pontoise. Une fermeture préfectorale immédiate a été imputée au restaurateur jusqu’à ce que l’enquête ouverte par la police identifie l’agresseur et son éventuel lien avec le restaurant.

Plus tard dans la journée, on apprendra que le livreur est finalement sain et sauf, malgré une blessure au front, et qu’il a porté plainte à son tour. De son côté le président de la Ligue de Défense Noire Africaine (LDNA), Egountchi Behanzin, a déclaré avoir été reçu par l’équipe de la mairie de Cergy.

L’autodéfense c’est la seule chose qu’il nous reste.

La LDNA qui a participé à motiver le rassemblement a su trouver un auditoire. “Si avant 18 heures, on n’annonce pas quelque chose, nous dire qu’il y a une personne en garde à vue, nous allons aider la police à retrouver l’auteur. Nous avons la capacité de le faire”, clame haut et fort Egountchi Behanzin, leader de la LDNA, face à un agent de police. “Et on va bien aider”, lâche d’un ton déterminé, un autre jeune, à ce même fonctionnaire.

Quelques jours plus tôt, Yusufa, un jeune père de famille noir de 26 ans, a été poignardé à mort à Saint-Etienne, après une rixe violente. Trois Arméniens ont été écroués. Sur les réseaux comme sur la dalle de Cergy, on évoque la négrophobie ravivée par ces deux drames.

Ce genre de personne, il n’y a que par la violence qu’elles comprennent.

“L’autodéfense, c’est la seule chose qu’il nous reste, monsieur. On nous tue, on nous piétine, le préfet ne se déplace même pas. On est des humains. Et si à 18 heures, personne n’est en garde à vue, nous allons faire le travail à votre place”, tonne Behanzin. Les cris d’approbation d’un groupe autour de l’orateur confirment la tension sur place et le sentiment d’injustice chez beaucoup. “ Quand c’est pour rattraper les gens qui vendent  dix barrettes de shit pour dix euros, vous les rattrapez en deux secondes”,  s’insurge t-il.

Dans l’auditoire, une partie des personnes rassemblées, en mixité sociale et ethnique, ne cache pas sa volonté de punir physiquement l’agresseur. “ Ce genre de personne, il n’y a que par la violence qu’elles comprennent”, lance un jeune. “Il y a des personnes qui ont différents états d’esprit aujourd’hui. Quand Egountchi envoie son message, il est national : où sont nos institutions ?”, répond Bilal Mokono, à un jeune homme venu le questionner.

“Moi je fais confiance à la justice, il faudra prendre des mesures légales sur ce qu’il s’est passé. L’objectif des mouvements c’est une avancée de l’institution en créant une nouvelle loi [reconnaissant le caractère négrophobe]”, répond l’homme venu calmer les tensions.

La guerre intercommunautaire n’aura pas lieu

Trônant sur son fauteuil, Bilal Mokono, blessé et rescapé des attentats du 13 novembre 2015, préfère calmer les tensions. Présent pour maintenir une force de tranquillité publique”, il s’adresse à plusieurs jeunes venus lui faire part de leurs ressentis. “Est-ce que tu penses qu’il soit normal qu’on doive faire appel à des associations pour faire valoir nos droits? ” lui lance plus tôt un jeune habitant. “ La négrophobie tue. On est des citoyens français de seconde zone. Mais comme ils ne reconnaissent pas la négrophobie ici, ils parlent de racisme”, lâche un autre qui veut entrer en dialogue avec Bilal.

Calme, l’homme est là pour “passer le message à tous les petits frères ici” et favoriser l’apaisement. Bilal illustre :“A Cergy ici on vit en fraternité transgénérationnelle. Moi je suis un grand frère pour eux. Je viens montrer qu’on est contre ce comportement, mais aussi contester le fait que certains soient venus avec une intention qui n’est pas bonne”. Car derrière l’indignation et la colère, se joue un jeu dangereux entre les jeunes d’origine maghrébine et subsaharienne.

Il y a plus de 110 ethnies à Cergy et elles ont toujours vécu ensemble. Certains essayent d’exploiter ça…

“L’autre, il a dit qu’il faut que tous les Maghrébins parlent sinon ça veut dire qu’ils sont d’accord. C’est n’importe quoi”, soupire une passante. Les comportements négrophobes, qui peuvent avoir lieu chez certaines familles maghrébines, sont aussi pointés du doigt, à l’aune de l’agression. Auprès du Bondy Blog, les Cergyssois ont plus d’une fois témoigner leur rejet du racisme, et du racisme intercommunautaire en voulant favoriser le vivre ensemble, comme s’il n’y avait pas d’autres options envisageables.

En 43 ans de vie à Cergy, Bilal, figure de Cergy, met en garde la récupération idéologique de cette agression inouïe. “Il y a plus de 110 ethnies à Cergy et elles ont toujours vécu ensemble. Certains essayent d’exploiter ça et de laisser dire que c’est tous les  Maghrébins qui se comportent ainsi. Ce n’est pas vrai. Il prend la communauté algérienne en otage en disant que les Algériens pensent ça. C’est l’acte isolé d’un fou qui pense qu’on peut traiter les gens de sous-hommes.”

En  s’adressant à un jeune venu échanger il pointe du doigt un autre, préadolescent. “Il faut faire attention, si on agit comme les Bassem et les autres qui montent la tête aux gens. Tu vas avoir des petits de sa génération qui vont penser que s’installe  dans nos populations une guerre de communauté, et ce n’est pas vrai.”

*Les prénoms ont été modifiés

Amina Lahmar

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