Jeudi 9 mars, accusé et partie civile ont été entendus dans le procès en appel de Damien Saboundjian, policier qui a abattu Amine Bentounsi d’une balle dans le dos en 2012. Les auditions ont levé un coin de rideau sur la personnalité des deux protagonistes du drame.

Il joue gros. Elle attend ce moment depuis longtemps. A la barre de la cour d’assises de Paris, Damien Saboundjian se prépare à son interrogatoire ce jeudi 9 mars. Amal Bentounsi sera auditionnée dans l’après-midi. Il est policier et en 2012, il a tué Amine Bentounsi d’une balle dans le dos, lors d’une course-poursuite à Noisy-le-Sec. Légitime défense, plaide-t-il, il occupe pourtant à nouveau la place de l’accusé et risque 20 ans de prison en appel. Elle affirme le contraire et depuis cinq ans, elle se bat pour que l’agent soit condamné pour la mort de son petit frère. Le procès s’est ouvert lundi. Il doit prendre fin ce vendredi.

« Il était comme mon fils »

Absente au moment des faits, Amal Bentounsi s’avance à la barre pour raconter Amine. « Nos parents, agents d’entretien, étaient très occupés. Alors je me suis beaucoup occupé de mon frère. Il était comme mon fils ». Turbulent dès sa prime jeunesse, il met le feu à une poubelle, ce qui provoque l’incendie d’une école. « Ils l’ont mis en prison, à 13 ans ». Une incarcération qui fera de lui le plus jeune détenu de France. Sa gorge se noue, sa voix s’éteint. Elle marque une longue pause. Puis Amal raconte la prison, comment elle brise son frère, les déboires de ce dernier avec la police. Au commissariat du coin, il aurait été forcé à signer des aveux affirmant qu’il était payé pour brûler des voitures par Jean-François Copé, maire de Meaux, ville de Seine-et-Marne où ils habitent.

« Nous ne sommes pas là pour faire le procès de la police, coupe le président du tribunal, Régis de Jorna. Rendez-nous votre frère humain ». Elle reste muette un moment, statique derrière la barre. Elle reprend, la voix enrouée par les sanglots qu’elle retient. « Il adorait le chanteur Renaud. Il avait appris les paroles à tous ses potes du quartier. Je lui disais : ‘c’est quoi cette musique de beauf ? », il rétorquait  »écoute les paroles' ». Depuis, elle a appris à aimer les chansons de Renaud. Son ton se durcit lorsqu’elle prononce ses derniers mots à l’encontre du policier accusé, sans même le regarder : « Vous avez tué mon frère. Oui, Monsieur Saboundjian, vous êtes un meurtrier ».

« Nous avons souvent des délinquants ici. Ils se plaignent de la police. Vous tenez le même langage »

Plus tôt dans la journée, l’accusé occupait précisément la même place qu’Amal Bentounsi. Son imposante carrure n’y fait rien. Il semble petit face à la cour, en contre-haut, derrière sa table de bois. Il commence à bafouiller d’une voix fluette. Le président l’arrête. « Si un délinquant fait usage de son arme et blesse un policier, que faites-vous ? », demande Régis de Jorna. Saboundjian se crispe, il n’apprécie pas être « bombardé » de questions. En 2012, déjà, l’accusé critiquait « le ton » de l’enquête de la police des polices et « les questions à la con » de l’IGS. Il considère qu’un policier n’a pas à se justifier. « Nous avons souvent des délinquants ici. Ils se plaignent de la police. Vous tenez le même langage », assène celui qui dirige l’audience.

Le gardien de la paix s’agite. Finie l’attitude gauche de l’élève face au proviseur. Celle du premier jour. Il répond avec aplomb, ce qui agace le président. À travers la lecture d’extraits d’écoutes téléphoniques, c’est l’image d’un homme qui supporte mal la contradiction qui apparaît. Dans l’une d’entre elles, il se vante d’avoir l’appui du préfet et du ministre de l’Intérieur. Il affirme n’avoir qu’à « claquer des doigts » pour obtenir le poste qu’il veut. « Comme un sentiment de toute puissance », suggère le président. Dans une autre écoute, on entend Saboudjian déclarer : « Non seulement ils ont touché à un flic, mais en plus à un syndicaliste. Le truc qu’il ne faut jamais faire ». Plus tôt dans les débats, des pressions syndicales sur les enquêteurs avaient été évoquées. Nouvelle écoute. Son interlocuteur parle de la victime comme d’une « chiure », sans que l’agent ne s’en émeuve. « Vous avez vu beaucoup de gens dire du bien de quelqu’un qui a essayé de les tuer ? », se justifie-t-il.

« Il est persuadé de n’avoir pas eu d’autre choix »

Aucun témoin ne corrobore sa version, celle de la légitime défense. Le seul qui allait dans son sens a finalement avoué avoir menti. « Et alors ? répond Damien Saboudjian. Les témoins se trompent. (…) C’est quand même moi qui sais le mieux ce que j’ai fait ! ». Le président ne le ménage pas : « Il y a une chose sur laquelle tous les témoins sont d’accord avec vous. Vous étiez livide au moment des faits. Vous aviez conscience d’avoir fait quelque chose de grave ». Il insiste, mais depuis quelques minutes déjà, il fixe un point que lui seul semble voir, en haut, à droite… Des sanglots convulsifs éclatent soudain au micro. « Depuis, je vis avec un mort sur la conscience », avait-il déjà regretté, lundi.

« Il est persuadé de n’avoir pas eu d’autre choix », analyse Elisabeth Cédile, la psychologue chargée de l’expertise du policier en 2012. Pour elle, Damien Saboundjian est une personne peu connectée à ses émotions, qui peut s’effondrer en cas de décharge émotionnelle trop intense. Dans le feu de l’action, il se voyait déjà mort. « L’image de la mort ne peut être gérée par un être humain normal ». Aurait-il pu reconstruire la scène dans sa mémoire, comme le suggère le président ? « C’est possible ». Verdict ce vendredi.

Alban ELKAÏM

Crédit photo : Frédéric BERGEAU

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