Pendant une semaine, le Bondy Blog a pris ses quartiers d’été à Avignon dans le cadre du Festival et a animé des « Ateliers de la pensée » sur le site Louis Pasteur. Le dernier débat, organisé en partenariat avec Mediapart et La Revue Du Crieur, était consacré à la retranscription des drames du quotidien. Un exercice pour reconstruire de la dignité.
Sur scène, ce vendredi 15 juillet, on lit un extrait de la pièce Delta Charlie Delta, parue aux éditions Espace 34. Un texte vif, puissant, retraçant la tragédie de Zyed et Bouna. Un silence entrecoupé par le souffle du mistral salue la fin du texte, avant que ne retentissent quelques applaudissements. Et Nordine Nabili, le directeur du Bondy Blog, de lancer le débat. Un jour après le drame de Nice, quels mots mettre sur ce qui vient de se passer ? Une question à laquelle répond Michel Simonot, l’auteur de Delta Charlie Delta. Il dissocie le « travail de journaliste qui est à chaud » et le travail artistique qui a cette « capacité de distance et de recul, de décalage et de décentrement » vis-à-vis des évènements.
L’occasion pour lui de parler de la genèse de la pièce Delta Charlie Delta qui s’inscrit dans ce questionnement : comment rendre compte du drame ? « Tout a commencé en 2005 avec l’extraordinaire tranquillité des choses », dit-il en parlant des révoltes de 2005 vécues, notamment, par les habitants de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Et l’auteur de raconter tout ce travail entrepris avec les riverains afin qu’ils inventent la narration de leur quartier. Il s’agissait de les faire écrire, de les faire parler du quartier tout en retraçant l’histoire de Zyed et Bouna, deux jeunes de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) morts en 2005.
Maîtriser sa propre histoire
Nordine Nabili questionne ensuite Mickaël Wright, directeur du centre social La Croix des oiseaux à Avignon, au sujet de son travail d’écoute, de mise en valeur de la parole des quartiers et sur la difficulté de la démarche de leur faire réapproprier leur histoire. « Il ne faut pas voir les gens comme une matière inerte, il y a des parcours », commence Mickaël Wright. « Au centre social, on a un comité de rédaction citoyen. On laisse les habitant dans une autonomie » qui permet de redonner la parole, la maîtrise de leur histoire aux habitants. Cette emprise sur le réel dont ils ont été dépossédés par les institutions notamment. Mickaël Wright poursuit en décrivant le volet « relations institutionnelles » de son travail où il passe son « temps à faire des dossiers qui ne sont pas lus, ni décryptés » par les décideurs.
La réflexion tourne ensuite autour des médias, Nordine Nabili interrogeant Clément Chassot. Le journaliste du Ravi établit d’emblée une distinction entre « grands médias et médias pas pareils » car « le journalisme, c’est avant tout des choix et ça revient à cette question : comment avoir un regard sur ces quartiers ? ». Un traitement des quartiers qui passe également par un long processus. Il ne s’agit pas juste d’y « poser ses valises ». Il faut surtout donner la parole afin que ces populations puissent défendre leurs intérêts.
Mickaël Wright emboîte le pas au journaliste en évoquant les « média lab » mis en place dans le quartier de la Croix des oiseaux. Cette interrogation au sujet de la médiatisation, de la reprise de la parole médiatique par les riverains à travers notamment les outils d’éducation populaire, se poursuit avec Michel Simonot qui questionne les municipalités qui « nous mettent sur les dos des attentes comme si c’était nous qui allions résoudre tous les problèmes ».
Le choix des mots
À la suite de la lecture d’un second extrait de Delta Charlie Delta, Nordine Nabili s’interroge au sujet du choix des mots utilisés pour décrire les quartiers. Concernant 2005 doit-on parler de « révoltes » ou « d’émeutes » ? Michel Simonot, lui, décrit son cheminement. « Au départ, je disais émeutes parce qu’on était dedans. Tout le monde en parlait. Maintenant, je dis révoltes et puis avec le temps, avec ce qu’il s’est passé, ce qu’il se passe en ce moment, il est clair que c’est de la révolte », explique l’auteur de Delta Charlie Delta.
Mickaël Wright poursuit la réflexion. « L’essentiel de mon travail est de transformer en actions concrètes des cahiers des charges qui ont été décidés par une stratégie politique ». Il dénonce « une classe technocratique qui fait des diagnostiques dans son bureau et qui vient vers nous pour nous donner l’aumône. Et l’on se retrouve face à des injonctions de faire qui sont tellement déconnectées de la réalité ». Le directeur du centre social La Croix des oiseaux déplore sa position où il se retrouve à réfléchir sur « la manière la plus élégante de mentir pour faire rentrer les bonnes croix dans les bonnes cases ». Et en évoquant le langage, la langue, Mickaël Wright parle des expressions déterminant les publics que le centre reçoit, telles que « des jeunes avec moins d’opportunités ». Mickaël Wright se demande alors « comment nous allons changer ça ? ». Le journaliste du Ravi, Clément Chassot, conclut le débat sur quelques pistes, quelques solutions, qui seraient par exemple « de rapprocher les gens » car « il y a un monde monde entre différentes strates de la population ».
Ahmed Slama

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