Mise à jour du 26 avril 2022 : Le Conseil d’État a finalement rejeté le recours du Ministère de l’Intérieur ce mardi 26 avril. La mosquée de Pessac restera ouverte et n’aura finalement jamais été fermée, malgré l’arrêté de la Préfecture de Gironde du mois de mars et le recours du Ministère de l’Intérieur. L’État accusait la mosquée de promouvoir un islam radical entre autres.

« Je suis présenté comme un ennemi de la République. C’est une souffrance insoutenable quand j’entends ce qui est dit sur moi. A chaque fois qu’il y a eu des attentats je les ai condamnés. En 2015, j’ai écrit une lettre à la France où je dis tout mon amour pour ce pays et la Nation française » s’exclame avec émotion, Ridouane Abdourahmane, président du Rassemblement des Musulmans de Pessac, devant la salle silencieuse du Conseil d’Etat, après presque deux heures d’audience.

Ridouane Abdourahmane, président du Rassemblent des Musulmans de Pessac prend la parole au rassemblement de soutien.

La Préfecture de Gironde avait ordonné le 14 mars dernier la fermeture pour une durée de 6 mois de la mosquée Al-Farouk, à Pessac. Gérée par l’association « Rassemblement des musulmans de Pessac », le lieu de culte est accusé de promouvoir un « islam radical », d’inciter « à ne pas respecter les lois de la République », ainsi que de diffuser des « publications haineuses à l’encontre d’Israël » sur les réseaux sociaux.

Le 23 mars, le tribunal administratif de Bordeaux, saisi par l’association, a suspendu la décision préfectorale qu’il a considéré comme « disproportionnée » et portant « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte ». Une délivrance pour les fidèles juste avant le début du Ramadan, qui fut de courte durée car le ministère de l’Intérieur a décidé de faire appel de cette décision devant le Conseil d’Etat.

Ce mercredi 13 avril, à 10 heures 30 une centaine de fidèles de la mosquée de Pessac sont arrivés devant le Conseil d’Etat en bus pour assister à l’audience. Rejoints par quelques soutiens parisiens, ils ont attendu le verdict pendant près de trois heures, aux abords du conseil d’État, encadrés par un dispositif policier.

 

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De nombreux fidèles girondins ont fait le déplacement jusqu’à Paris devant le Conseil d’État. 

Une audience à l’épreuve des faits

Durant plusieurs heures, l’avocat de l’association, Maître Guez Guez, et la directrice des libertés publiques qui représente le Ministère de l’intérieur argumentent, dans un silence de plomb. Les accusations du ministère de l’Intérieur s’appuient sur des captures d’écrans de commentaires, de posts sur les réseaux sociaux, publiés par le président de l’association ou des personnes membres du groupe du « Rassemblement des musulmans de Pessac ». Des propos qui inciteraient à la violence et feraient « le terreau du terrorisme » selon la défense du Ministère de l’intérieur.

Si on légitime la thèse qu’il y a une islamophobie d’État, si on accrédite que tous les musulmans sont malheureux, ça incite au passage à l’acte.

Après avoir cité de nombreux cas de fermetures de mosquées, la représentante précise : « évidemment c’est subliminal. Vous n’allez pas trouver des phrases qui disent : ‘Passez à l’acte, posez des bombes !’ Mais si on légitime la thèse qu’il y a une islamophobie d’État, si on accrédite que tous les musulmans sont malheureux et que toutes les décisions de l’Etat n’ont qu’un but c’est d’être contre les musulmans, ça incite au passage à l’acte. Ils accréditent l’idée que c’est normal qu’ils se rebellent, y compris par des actions violentes ».

Banderole au rassemblement de soutien à quelques mètres du Conseil d’Etat.

Maître Guez Guez, avocat de l’association, rappelle que « les commentaires problématiques ont été supprimés, et que de nouveaux modérateurs et animateurs du groupe ont été nommés. Il n’y a pas de trouble à l’ordre public qui justifie cette fermeture ».

L’avocat de l’association revient aussi sur la nature de certaines publications mises en cause, qu’il juge interprétées avec « mauvaise foi ». « Une publication qui rappelle la situation à Gaza, une citation de Nelson Mandela sur la Palestine, ou encore la mention du mot effort dans une citation, il nous est dit que ce mot en arabe signifie ‘jihad’ donc de manière implicite ils inciteraient au jihad. Il faudrait dire aux musulmans de retirer le terme effort de leur vocabulaire ? », s’insurge l’avocat.

Le parallèle dangereux entre la mosquée de Pessac et l’extrême-droite

Cette demande de fermeture de mosquée de la part du ministère de l’Intérieur révèle une sémantique particulière utilisée par la réprésentante du ministère de l’intérieur. Elle compare les dissolutions d’associations de culte à celle du collectif d’extrême droite, Générations identitaires, en mars 2021. « Pas de jaloux » lance-t-elle, « de manière subliminale, ils incitaient à des actions violentes contre les étrangers » appuie-t-elle la comparaison.

Pourtant, le palmarès de ce collectif ne se compte pas en posts sur Facebook : Actions xénophobes dans la jungle de Calais en 2016, intrusion dans les locaux de SOS Méditerranées en 2018, ou encore « Mission Pyrénées » en 2021 contre les exilés, le groupe est habitué à des méthodes d’actions directes et violentes. Elle rappelle aussi la dissolution du CCIF en septembre 2021 (validée par ce même Conseil d’État) et regrette le soutien que l’association de Pessac aurait apporté à cette dernière.

Une volonté du ministère de ne pas perdre la face au cœur de la campagne présidentielle.

« La LDH, et le syndicat des avocats de France aussi ont soutenu le CCIF, est ce qu’on va dire qu’ils incitent à des actes terroristes ? », rétorque l’avocat de la mosquée de Pessac. Maître Guez Guez déplore « une volonté du ministère de ne pas perdre la face au cœur de la campagne présidentielle. » Il raconte aussi avoir demandé un dialogue avec la préfecture de Gironde, qui n’aurait jamais accordé de réponse : « En Corse ils ont eu le droit à un entretien avec le ministre, alors qu’ils brûlent des bâtiments publics ».

Face à ces argumentaires, la juge a préféré remettre à la semaine suivante son délibéré, et a demandé de part et d’autres de nouvelles preuves. Une décision contestée par le ministère de l’intérieur, prenant la parole sans y avoir été invité : « dès que l’audience sera terminée, le naturel reviendra au galop. L’association a choisi de passer discrètement sous les radars le temps de la procédure. Mais si vous avez un site internet c’est bien pour publier votre idéologie ».

Un espoir intact pour les fidèles de Pessac

Sur ces échanges, et la levée de l’audience, la salle se vide rapidement, toujours dans le même calme. Les fidèles de la mosquée présents remercient leur président d’association ainsi que leur avocat et ressortent avec le sourire. Un « sentiment positif » pour M’hemed, 51 ans, père de trois enfants. « Je suis content de voir que les fidèles se sont mobilisés pour défendre leur mosquée. Je pense que l’Etat va nous donner gain de cause », espère-t-il, en descendant les marches du Conseil d’Etat.

La mosquée c’est un lieu de culte mais ce n’est pas que ça. Chaque soir on distribue des repas gratuitement. Donc ça ne touche pas que les musulmans.

Les prises de paroles de fidèles et de soutiens parisiens se succèdent sous les applaudissements.

Le rassemblement de soutien est à quelques mètres du Conseil d’Etat, encerclé par 5 cars de CRS, « ils sont plus nombreux que nous », blague Ridouane Abdourahmane, qui se dirige vers le groupe. Il annonce les résultats de l’audience et remercie les fidèles de la mosquée et les soutiens parisiens présents, « le cœur rempli d’émotion ».

Nous n’avons rien avoir avec le terrorisme, rien avoir avec le radicalisme, rien avoir avec l’antisémitisme.

« Nous ne sommes pas une menace mais une contribution. Nous n’avons rien avoir avec le terrorisme, rien avoir avec le radicalisme, rien avoir avec l’antisémitisme » doit-il rappeler, micro à la main. Sous les parapluies, femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, aux visages souriants et soulagés écoutent attentivement les prises de paroles qui se succèdent.

Vers 13 heures, les fidèles de la mosquée de Pessac regagnent les bus.

« La mosquée c’est un lieu de culte mais ce n’est pas que ça. Chaque soir on distribue des repas gratuitement. Donc ça ne touche pas que les musulmans », explique Janna, étudiante de 19 ans à Bordeaux qui participe aux distributions alimentaires dans cette mosquée.

Après plusieurs heures sous la pluie, la place se vide pour regagner les bus et se préparer au long trajet pour regagner la Gironde. Malgré la volonté de l’Etat de fermer leur mosquée, les cinquantenaires Baracha et Ramdan, « gardent espoir dans la justice française ».

Anissa Rami

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