Pour lutter contre les contrôles au faciès, vous proposez la mise en place d’un nouveau dispositif,  le procès verbal de contrôle. De quoi s’agit-il exactement ?

Il s’agit d’une attestation de contrôle d’identité. Lors de chaque interpellation, les fonctionnaires de police devraient remplir un formulaire dont la personne contrôlée conserverait un exemplaire. Celui-ci stipulerait entre autres le contexte du contrôle, ses motifs et ses résultats. C’est une mesure symbolique pour rétablir une relation de confiance entre les citoyens, en particulier les jeunes, et la police. Il y a deux ans, l’Open Society Justice Initiative révélait qu’un Noir et un Arabe avaient respectivement 6 et 7,8 fois plus de chance qu’un Blanc d’être contrôlé par un policier. L’idée de l’attestation de contrôle d’identité est partie de là.

Vous espérez que cette proposition sera reprise par le candidat PS à l’élection présidentielle ?

Nous avons d’abord fait une campagne de terrain pour s’assurer de la manière dont notre proposition serait reçue dans la population. Lorsqu’on va dans les lycées, dans les universités, dans les quartiers populaires ou dans les centres-villes, on se rend compte que tous les jeunes sont concernés de près ou de loin par cette question. Soit ils ont déjà été contrôlés de manière abusive, soit ils ont des potes d’une couleur différente qui ont déjà été contrôlés.  A présent, il s’agit de faire du lobby, de convaincre la famille socialiste et en particulier les candidats aux primaires d’aborder cette question. C’est une question qui touche des milliers de jeunes et qui concerne  toute la société.  Pourtant, dans le champ politique personne n’en parle. Jusqu’à présent personne n’a osé dire que les contrôle au faciès gangrènent notre société et diffusent un climat malsain entre les citoyens et la police française.

Pour l’instant, comment cette proposition est-elle accueillie ?

La proposition figure déjà dans le projet socialiste en tant qu’expérimentation. C’est un très bon début. C’est comme ça qu’a débuté la mise en place du dispositif dans les pays qui l’ont déjà mis en œuvre comme l’Espagne ou l’Angleterre. A chaque fois, la mesure a été généralisée sur l’ensemble du  territoire. D’après les entrevus que j’ai pu avoir avec les différents candidats, ils sont plutôt favorable à cette mesure. Mais il y a une différence entre être favorable à une mesure et avoir le courage de la porter. Il faut qu’on passe une étape.

Pourquoi les candidats hésitent-ils à passer cette étape ?

Je ne sais pas. Ça ne fait pas parti de leurs priorités pour le moment. Mais on va faire en sorte que ça change…

L’origine ethnique de la personne contrôlée  sera-t-elle mentionnée sur ce procès verbal ? N’est-ce pas la porte ouverte aux statistiques ethniques ?

Non, l’origine ethnique n’apparaîtra pas sur le procès verbal. Je ne souhaite pas que notre proposition d’attestation de contrôle d’identité soit un levier pour relancer le débat sur les statistiques ethniques. C’est deux sujets différents qu’il faut éviter de mélanger. C’est vrai que dans certains pays où cette attestation existe, notamment aux Etats-Unis, l’origine ethnique est mentionnée. Mais nous avons des cultures différentes, une histoire différente. En France, un policier peut faire un contrôle d’identité sans devoir  se justifier, ce qui n’existe pas dans les autres pays.

Le risque n’est-il pas de ralentir le travail des policiers qui se plaignent déjà d’être noyés sous la paperasse ?

Non, au contraire, je crois que ça renforce leur efficacité, comme on peut le voir dans les pays où la mesure a été mise en place. Par exemple, en Espagne, les contrôles de police ont diminué, mais le nombre d’interpellations a augmenté. C’est aussi un outil pour les policiers, un moyen de remettre en cause leur pratique et de faire des contrôles sur des critères objectifs. C’est aussi un moyen de donner plus de transparence sur la manière dont la police utilise ses pouvoirs de contrôle. Cet outil constitue “une trace”.

En Angleterre comme aux Etats-Unis, l’existence d’un dispositif similaire n’a pas empêché les émeutes …

Ce n’est pas un dispositif miracle. Ces dernières années on a eu un peu trop tendance à faire beaucoup de communication sur  les questions de discrimination. Ce n’est pas l’idée. Nous voulons ouvrir le débat sur les relations entre les citoyens et la police. Pour que notre police puisse remplir sa mission efficacement et protéger les citoyens, il faut d’abord qu’elle soit perçue comme légitime, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement. Il faut donc qu’elle rende des comptes, qu’elle agisse de manière transparente. Il faut aussi privilégier le dialogue.

Pour entretenir la confiance entre les policiers et les citoyens ne vaudrait-il pas mieux améliorer la formation des policiers ?

C’est plus que nécessaire. Il faut repenser la formation des policiers. Il faut leur apprendre à prendre des décisions dans un contexte donné, sur un territoire donné. Le métier doit également être revalorisé et devenir un symbole de la méritocratie républicaine. Enfin, les critères d’évaluation doivent changer. La culture des chiffres, encouragée par le gouvernement, entraîne un certain nombre de dérives car les policiers travaillent sous la pression.

Lorsqu’ Eric Zemmour affirme  « la plupart des trafiquants sont des Noirs et des Arabes » n’est ce pas lié à la ghettoïsation de certains quartiers où ceux-ci  sont surreprésentés ?

Je ne  suis pas d’accord avec cette analyse d’Eric Zemmour. Forcément, lorsque ceux que l’on contrôle le plus sont noirs ou d’origine magrébine, cela amène à penser qu’il y a plus de délinquants dans ces communautés. Il n’y a rien qui le prouve. C’est facile de montrer du doigt les Noirs et les Magrébins, comme le fait Eric Zemmour, si dès le début on recherche plus la faute chez ces personnes là que chez les Blancs.

Le meilleur moyen de lutter contre la stigmatisation n’est-il pas  d’abord de casser les ghettos ? D’agir en amont plutôt qu’en aval…

C’est vrai qu’on a des difficultés sociales très importantes dans certains quartiers populaires. Pour autant, ce n’est pas pour ça que tous les gens qui habitent dans ces quartiers sont des délinquants en puissance. Mais il faut aussi avoir le courage de dire que l’on a dans ces quartiers, un problème d’économie souterraine. Cette économie structure le territoire. Il y a même des armes à feu, c’est aussi la réalité. Il est effectivement de la responsabilité de l’Etat de démanteler ces trafics. Mais il faut le faire par le haut et pas par le bas. Ça ne sert à rien de s’en prendre au gamin qui fait le guet…

Le problème des relations police-quartier est complexe. J’étais à Clichy-sous-Bois la semaine dernière. De nombreux jeunes pestent contre l’ouverture du commissariat et la multiplication des contrôles qu’ils considèrent comme de la provocation. Mais d’autres jeunes ainsi que la majorité des adultes avouent qu’ils se sentent plus en sécurité. Ils se réjouissent de pouvoir rentrer chez eux à n’importe quelle heure, ce qui n’était pas le cas  avant…

Je ne suis pas naïve sur les questions de sécurité. On ne dit pas qu’il faut l’attestation de contrôle d’identité pour montrer du doigt le travail des policiers. Ce n’est pas la manière dont on veut rentrer dans ce débat. Tout le monde a le droit de vivre en sécurité, y compris les habitants des quartiers populaires. Je trouve ça bien qu’un commissariat ouvre ses portes à Clichy-sous-Bois. Je suis pour plus de sécurité, mieux de sécurité, plus de policiers mieux formés. Je conçois que ce n’est pas facile d’être policier aujourd’hui. Lorsque l’on sort de l’école de police et que l’on est envoyé dans les quartiers difficiles, c’est normal d’avoir la peur au ventre. Mais par ailleurs, le contrôle au faciès est une discrimination intolérable que rien ne peut excuser.

En parlant avec les jeunes des quartiers populaires, on constate que la fracture avec le PS est consommée. Ils considèrent que le PS s’est embourgeoisé et est totalement coupé de leur réalité.

Moi je suis payé au SMIC, donc je n’ai pas l’impression d’être embourgeoisée…

Et quand Terra Nova (thinkthank proche du PS) dit qu’il faut abandonner l’électorat populaire…

Terra Nova ce n’est pas le Parti Socialiste et heureusement. Si on écoutait tous les rapports de Terra Nova, on ne devrait plus parler aux classes populaires, on devrait augmenter les frais d’inscription à l’Université. Si c’était vraiment la ligne du PS, je ne me sentirai pas bien dans ce parti. Terra Nova est un groupe qui fonctionne de manière très autonome et dont on reprend seulement les bonnes idées.

Les jeunes des quartiers regrettent  aussi que les principaux candidats aux primaires ne soient pas plus venus en banlieue,  à part pour des visites de docteurs…

J’ai tout de même l’impression qu’ils se sont déplacés. Mais la campagne des primaires est extrêmement courte.  Elle n’a duré que quatre semaines. Durant la campagne  présidentielle, il faudra y retourner. Mais il ne faudra pas se contenter de visites de politesse. Il faudra aussi laisser de la place et donc du pouvoir à ceux qui ont grandi dans ces quartiers et qui y vivent. Ils connaissent les quartiers et sont donc les plus légitimes pour les représenter.

D’un autre côté, ces jeunes se méfient également d’une certaine instrumentalisation. Ils reprochent notamment à la droite comme à la gauche de trop raisonner en terme ethnique. Quelqu’un comme Harlem Désir est ainsi perçu comme une « caution diversité »

C’est normal de craindre l’instrumentalisation. Mais je crois que pour gagner l‘élection présidentielle, la gauche devra laisser de la place à toute la société. Le parti socialiste a du retard sur la société dans laquelle on vit. La société dans laquelle je vis est de toutes les couleurs. Elle est  diverse. Il y a des hommes qui s’aiment, des femmes qui s’aiment. Le Parti socialiste doit incarner la société telle qu’elle est aujourd’hui.

Mais le risque pour le PS n’est-il pas d’abandonner le combat pour « l’égalité » au profit du combat plus médiatique et plus flou pour « la diversité » ?

On est dans une ambiguïté profonde car on est mal à l’aise dans la parole avec ces questions là. La République française est une et indivisible et en même temps on est influencé culturellement par le modèle américain. Le problème c’est que nos histoires nationales sont très différentes. Mais, on ne peut pas dire d’un côté, « on veut parler d’égalité », et de l’autre, « on ne comprend pas pourquoi il n’y a personne de la diversité dans les équipes de campagne pour nous représenter ». La seule manière de s’en sortir sur ces questions là, c’est d’arrêter les discours et de passer aux actes en ouvrant les portes.

Cela passe d’abord par le non cumul des mandats…

Le principe de non cumul des mandats figure dans le projet socialiste et il faudra faire des gestes forts dès les prochaines législatives.

En tant que principale représentante des jeunes socialistes, quelle est votre perception de la réalité du terrain et comment allez vous faire pour vous adresser aux jeunes des quartiers ?

Personnellement, je viens de Saint-Nazaire qui est une ville ouvrière, même si c’est au bord de la mer. J’ai une histoire populaire. J’ai commencé par être animatrice. Tous les étés je partais en colo avec des jeunes venant d’horizons sociaux très différents. Mon engagement est aussi né d’un travail associatif. Je suis vice-présidente de Léo Lagrange, une fédération d’éducation populaire qui intervient dans les lycées de France sur  la question des préjugés. Ça m’aide à garder prise. En outre, j’ai travaillé dans les quartiers populaires pendant deux ans avant d’être présidente des jeunes socialistes. J’ai travaillé à Epinay sous Sénart (Essonne) où j’étais chef de projet politique. Enfin, je crois que les émeutes de 2005 ont marqué mon engagement politique.  On a aussi été à l’initiative de Cités en Mouvement dont le but est de promouvoir l’expression politique des jeunes des quartiers populaires. Mais, je n’ai pas la science infuse. Je ne vais pas dire ici que je connais tous  les quartiers. C’est vrai que c’est difficile pour nous de réussir à communiquer comme il faut…  Souvent les jeunes des quartiers ont l’impression qu’il n’y a pas de place pour eux dans les structures traditionnelles comme les partis politiques. Il faut commencer pas leur dire que les portes sont grandes ouvertes. Toutes les initiatives, les idées, sont les bienvenues.

propos recueillis par Alexandre Devecchio

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