Quatrième et avant dernier jour de procès (retrouvez le live tweet en direct) de Damien Saboundjian, le policier poursuivi pour avoir tué d’une balle dans le dos Amine Bentounsi le 21 avril 2012 à Noisy-le-Sec (93).
C’était l’une des journées les plus passionnantes de ce procès. Après avoir entendu plusieurs experts les jours précédents, et les témoins mercredi, c’était au tour de l’accusé Damien Saboundjian, d’être entendu ce jeudi. À la veille d’un verdict très attendu, la tension est montée d’un cran. À la barre, un policier très émotif, tantôt arrogant, tantôt s’effondrant bruyamment en sanglots. Mais toujours très mécontent de se retrouver face à des jurés, place qu’il estime normalement réservée « aux criminels » ou « aux assassins ».
Toute la journée, le policier martèle qu’il a agi en parfaite légitime défense puisque selon lui Amine Bentounsi l’a braqué à deux reprises. Problème, la légitime défense ne se présume pas, elle doit être prouvée et jusqu’ici aucun témoin n’étaye sa thèse. Au contraire, plusieurs témoins affirment avoir vu Amine Bentounsi fuir le policier et tomber au moment du tir « face contre terre ».
Ce que l’on sait avec certitude pour le moment c’est qu’il y a eu des mensonges du côté des collègues de l’accusé. Ghislain Boursier, présent au moment des faits avait à l’époque déclaré sous serment qu’il avait vu « Amine Bentounsi bien campé sur ses jambes braquer Damien Saboundjian ». Or il est revenu sur son témoignage pendant l’enquête de l’IGS et admet à la barre qu’il avait menti. Fait sur lequel Maître Konitz insiste depuis le début du procès puisque le policier ayant menti sous serment « n’a pas été sanctionné, et peut toujours signer des procès-verbaux aujourd’hui » puisqu’il est toujours en service.
Autre élément fâcheux pour la défense du policier, on apprend au cours de l’audition des témoins que le commissariat de Noisy-le-Sec n’a pas souhaité recueillir leur déposition. « J’ai appelé le commissariat de Noisy-le-Sec, je leur ai dit que j’avais vu toute la scène ils m’ont répondu que c’était très grave ce qu’il s’est passé et m’ont conseillé de raccrocher », explique le témoin (une des quatre passagères présente dans la voiture au moment des faits). Manque de chance ou hasard du destin, dans cette voiture se trouvaient une avocate, une juriste et une élève avocate. Les témoins rappellent un commissariat parisien qui les oriente vers l’IGS. Autre fait grave, la scène de crime a été modifiée.
« Quatre témoins c’est tout de même un problème… »
La voiture conduite par l’accusé a été déplacée avant l’arrivée des enquêteurs et les douilles relevées au sol se situent à plus de quinze mètres du lieu où cinq témoins situent la scène. Ce qui laisse planer le doute sur l’emplacement exact du policier au moment des faits. Durant son interrogatoire, il tentera d’ailleurs de décrédibiliser les témoignages sur ce fait-là estimant que les témoins ne le « situe pas au bon endroit ». Mais au-delà de la défense du policier qui plaide bec et ongle, la légitime défense, les questions de la partie civile étaient orientées vers la personnalité – qui ressort instable – du policier. Lors de l’enquête de l’IGS, le téléphone du policier a été mis sur écoute. L’occasion pour les avocats de faire état d’un florilège de propos insultants, racistes, accablants pour le policier :
Damien Saboundjian : « tu te rappelles la Clio que j’ai revendue ? Je l’ai croisé avec deux Arabes dedans »
Son ami : « Ah, on aurait dû mettre y une bombe »
Après lecture de cet échange, l’avocat interroge le prévenu sur la gravité des propos racistes tenus ce qui déplaît fortement à l’intéressé estimant qu’il n’était « pas le médiateur des convictions raciales ». D’autres extraits des écoutes téléphoniques sont lus tour à tour les magistrats y sont qualifiés de « bâtard » ou « d’enculés », la victime Amine Bentounsi y est traitée de « chiure ». À chaque lecture l’accusé nie ou accorde très peu d’importance aux propos rapportés. L’un des extraits lus par l’avocate fait froid dans le dos. Damien Saboundjian y discute avec l’un de ses collèges et réagit sur une marche blanche qui avait été organisée par la famille d’Amine Bentounsi pour dénoncer sa mort :
Damien Saboundjian : « j’aurais pas dû regarder la vidéo sur youtube, ça m’a excité »
Très longuement interrogé sur la scène de tir, il martèle les mêmes réponses encore et encore expliquant que s’il mentait il ne répéterait pas la même chose. Leçon bien apprise, mais peu crédible pour les avocats des parties civiles et l’avocat général qui mettent sans grande difficulté ses incohérences en avant :
Avocat général : « Aucun témoin ne confirme qu’Amine Bentounsi s’est retourné, au contraire, ils évoquent une attitude de fuite et une chute sur le ventre » Damien Saboundjian : « Donc, je mens c’est ça ? Eux disent la vérité et moi je mens ? »
Avocat général : « Quatre témoins c’est tout de même un problème… »
Durant une longue partie de l’audience, on est bien loin de l’homme sanglotant de la veille, le policier ayant revêtu sa posture de colosse d’1m90 et de plus de 100 kg au ton péremptoire, tantôt méprisant, tantôt ironique. Ce qui ne l’empêchera pas de s’effondrer à plusieurs reprises dans la journée. Plusieurs experts se sont succédé pour apporter des éléments sur la personnalité du policier. L’un d’entre eux s’étonne de son absence d’empathie « j’ai noté qu’il n’y avait aucune empathie à l’égard de la famille, je parle d’empathie pas de sympathie ». À plusieurs reprises on lui reprochera son absence totale de remords. Les experts expliquent qu’il s’agit d’une personne « qui a beaucoup de mal à se confronter à ses propres difficultés, qui veut montrer une image valorisante de lui ». On retiendra alors cet échange limpide entre l’avocat général et Damien Saboundjian :
Damien Saboundjian : « J’en veux beaucoup au monde entier depuis ce qui m’est arrivé »
Avocat général : « Que pensez-vous du fait que les experts disent que vous avez un faible regard critique sur vous-même ? Vous avez des difficultés à reconnaître vos erreurs ? »
Damien Saboundjian : « Quelle erreur ? »
« A ton avis ils me laisseront tranquille après ça ? »
C’est ensuite au tour d’Amal Bentounsi, la sœur d’Amine Bentounsi de prendre la parole. Très difficile pour elle, pendant quelques longues secondes, un silence envahit la salle. Plusieurs familles de victimes de violences policières étaient venues la soutenir. Siakha Traoré, le frère de Bouna Traoré était présent. Emue la grande sœur d’Amine Bentounsi revient sur le parcours dramatique de son petit frère qu’elle aime « comme son fils ». Incarcéré à 13 ans pour un incendie criminel, Amine était alors le plus jeune détenu de France. « Mon frère a été tué deux fois pour moi, une fois quand on le met en prison à 13 ans et le 21 avril 2012 quand on lui met une balle dans le dos ». Mère de quatre enfants, elle raconte comment sa vie de rêve a basculé dans un cauchemar. Elle raconte comment la vie de son petit frère a été gâchée, « Mon frère avait décidé de franciser son nom pour essayer de s’en sorti et d’échapper au racisme. Il m’avait dit “à ton avis ils me laisseront tranquille après ça ?” Il s’était fait appeler Jean-Pierre Bentounsi » elle montre à la Cour un papier attestant de ce changement de prénom.
Depuis la mort de son frère, Amal Bentounsi raconte comment elle « est devenue quelqu’un d’autre », elle a créé un collectif « urgence notre police assassine » pour y dénoncer les crimes et bavures policières. Elle explique aux jurés comment elle est devenue militante « Ce combat que je mène, c’est ma thérapie. Monsieur Saboundjian a pu bénéficier de psychologues, moi c’est ce combat ma seule thérapie ». Des larmes s’écoulent lorsqu’elle parle de son frère, elle raconte comment les images de l’autopsie de son frère « découpé en morceaux » resteront à jamais gravées dans sa mémoire. « L’injustice crée des monstres, je ne demande que la justice. Les jeunes vous regardent et eux ne croient plus en la justice. J’ai envie de croire en la justice ».
Widad Ketfi

Articles liés