Tué par balle par un agent de la BAC, samedi 26 mars à Sevran, Jean-Paul, 32 ans, laisse derrière lui une famille, des enfants, et tout un quartier en deuil. Même deux à vrai dire : le quartier de son enfance aux Beaudottes à Sevran (Seine-Saint-Denis), et celui du Gros-Saule à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). « Tout le monde le connaissait, tout le monde avait une anecdote à raconter avec lui, et tout le monde l’appréciait » confie son ami d’enfance.

De leurs 6 ans à leurs 26 ans, ils ont grandi dans le même immeuble à Sevran, jusqu’à ce qu’il déménage avec sa compagne à Aulnay-sous-Bois, à seulement 5 minutes en voiture du quartier où il a grandi. « Je l’ai appris à un mariage.  La première chose que l’on a su c’est la course poursuite. Ensuite on nous a dit qu’il était décédé suite à deux arrêts cardiaques à cause d’un tir », se remémore le jeune homme de 31 ans.

Un tir fatal dont on ne comprend pas encore les raisons

Livreur de colis, Jean-Paul est décrit comme « un peu foufou, mais super gentil, super proche de sa famille. Il a un casier, mais pour des bêtises du passé. Maintenant il travaille, il a des enfants, c’était fini. »

D’après les informations du Parisien et de l’AFP, les faits se seraient déroulés aux alentours de 12h30 ce samedi-là, alors que le vol d’une camionnette a été signalée à la police. À un feu rouge, situé à la jonction de Sevran et d’Aulnay, le conducteur est alors contrôlé par l’un des agents de la bac qui descend du véhicule pour l’appréhender.

Même ma mère qui connaît très bien sa mère parce qu’on a grandi ensemble, elle dit maintenant que la police tue les gens au hasard.

Les circonstances restent floues sur la suite des événements. L’agent de la BAC fait usage de son arme, et l’utilitaire de la victime percute des véhicules garés dans la rue. L’homme de 32 ans succombera finalement à ses blessures après avoir été transporté à l’hôpital. Le policier à l’origine du tir, a été lui, hospitalisé, après un «choc » psychologique, d’après le Parquet de Bobigny. L’IGPN a ainsi été saisi.

Mais aux Beaudottes, c’est l’incompréhension qui règne devant le caractère dérisoire des circonstances invoquées pour l’heure après la mort du père de famille. « De là à se faire tirer dessus ! En sachant qu’il n’a pas d’arme, c’est quelque chose qui est pour nous incompréhensible, enchaîne son ami d’enfance encore sous le choc. « On se dit pourquoi ? Il y avait d’autres solutions. Même ma mère qui connaît très bien sa mère parce qu’on a grandi ensemble, elle dit maintenant que la police tue les gens au hasard. »

La tension face aux relations police et habitants

De la gare de RER Sevran-Beaudottes aux petits commerces de la commune, le décès brutal de ce père de famille est dans toutes les têtes et toutes les bouches. « C’est les gens à la gare qui me l’ont dit », rapporte une vendeuse de vêtements à la sauvette. Entre vendeurs et acheteurs, les rumeurs, les oui-dires battent leur plein sur le marché de Sevran.

Les violences qui ont suivi suscitent les débats. Depuis ce weekend, les images de véhicules et poubelles en feu, ou d’affrontement entre forces de police et habitant font la Une des chaînes d’information en continue. Des images habituelles, sur lesquelles se sont jetés avec opportunisme les candidats d’extrême-droite, mais pas que.  «Il n’y a pas de violence que l’on pourrait excuser, justifier (…). Cette violence n’est pas acceptable et elle fait plus de mal à ceux qui vivent dans ces quartiers», a déclaré le candidat PCF, Fabien Roussel sur Cnews.

Vous nous dérangez, on est en deuil !

À Sevran, on oscille entre la compréhension d’une colère que l’on ne connaît que trop bien face au drame des violences policières et l’émotion d’une volonté d’apaisement après le drame. « Ça sert à rien de casser des choses, ça ne va pas le ramener. Il faut prier pour qu’il parte en paix. »

Il y a déjà une version qui est sortie, alors que les journalistes ne savent rien.

Au cœur du quartier des Beaudottes, plusieurs groupes de jeunes entre 20 et 30 ans sont réunis, les visages serrés. Après la parution de plusieurs articles pour couvrir le drame qui a eu lieu ce week-end et les révoltes qui ont suivi, ils sont méfiants. Une couverture médiatique retranscrivant la version policière, mettant en avant la camionnette volée et les images d’un bus en feu qui participe à tendre les esprits à la vue de journalistes : « Vous nous dérangez, on est en deuil ! » lance l’un d’eux.

Quelques mètres plus loin, deux hommes discutent. Eux aussi méfiants répondent : « Il y a déjà une version qui est sortie, alors que les journalistes ne savent rien. Mais n’importe quelle version qui sort on s’en fout. Il est mort, il est mort. Ça ne sert à rien de donner la nôtre. »

À la maison de quartier Marcel Paul de Sevran, les employés redoutent les nuits de révoltes à venir, et préfèrent appeler à leur droit de retrait et redirigent vers la mairie. La mairie de Sevran, quant à elle, n’a pas répondu à nos sollicitations. L’édile de la commune, Stéphane Blanchet a réagi rapidement via un communiqué après la mort de Jean-Paul : « Nous portons avec la famille, l’exigence de la vérité sur ce qui s’est passé samedi à Sevran (…). Je veux aussi partager notre exigence de vérité pour la mémoire du défunt. Cette exigence est valable dans les médias comme dans nos quartiers ». 

Un deuil porté par toutes les générations

C’est à quelques mètres du collège Evariste Galois de Sevran et au cœur de la cité des Beaudottes que s’est déroulé le drame sous les yeux des habitant·e·s.

« Le jour où c’est arrivé on a entendu du bruit. Ma mère m’a dit de ne pas aller vers la fenêtre au cas où il y aurait une balle, et elle m’a dit de ne plus sortir le soir », raconte l’une des deux élèves de 5ème au collège Galois, bonbons à la main et téléphone dans l’autre, assises devant leur immeuble.

« La cité c’est comme une famille. C’est comme s’ils avaient perdu leur grand frère », déplore un assistant d’éducation du collège Galois. « Ils nous en parlent toute la journée. T’es au collège et tu parles d’un meurtre, ce n’est pas normal. C’est choquant, ils ne peuvent pas être concentrés quand ils viennent à l’école le matin. Il y a un élève qui arrive tous les jours avec le sourire d’habitude, et là il était mal. »

Les voitures de police qui tournent toute la journée alors qu’il y a un mort tué par la police, c’est normal ?

C’est la fin de la journée au collège, tous les élèves sont sur le chemin pour rentrer chez eux. En entendant des camions de police se diriger vers le quartier, un AED se demande : « Les voitures de police qui tournent toute la journée alors qu’il y a un mort tué par la police, c’est normal ? »

« Les élèves sont remontés, ils ont comme envie de se venger. On les comprend d’une certaine manière mais on leur dit de laisser la police faire son travail et qu’eux ils continuent à travailler à l’école. Mais la violence c’est la seule manière qu’ils ont trouvé pour exprimer leur ressenti, regrette-il, ce n’est pas terminé. Ça va refaire 2005, comme les révoltes pour Zyed et Bouna.»

Ce mardi matin c’est le candidat d’extrême droite à la Présidentielle, Eric Zemmour, qui est accueilli au commissariat de Sevran. Une visite politique qui risque de remettre de l’huile sur le feu, dans un quartier encore sous le choc.

Anissa Rami

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