Cédric Chouviat, Claude Jean-Pierre, Gaye Camara, Allan Lambin, Wissam El Yamni. Tous sont décédés suite ou durant une interpellation policière. Derrière ces noms, il y a le combat de familles pour la vérité et la justice. Elles sont le sujet du dernier documentaire d’Inès Belgacem, « Violences policières, le combat des familles », en collaboration avec France TV Slash.

Depuis 2017, la journaliste et rédactrice en chef adjointe de StreetPress couvre les violences policières. À travers ce documentaire sur le combat des familles, elle met en lumière les épreuves communes que vivent les proches des défunts et les obstacles institutionnels auxquels elles font face. Interview. 

Depuis combien de temps travailles-tu sur le sujet des violences policières ?

Je suis arrivée à StreetPress en 2016. C’était un sujet qui était déjà présent à la rédaction. Mais à partir de 2017, durant l’affaire Théo, je me suis davantage penchée sur ces questions, notamment en me rendant à Aulnay-sous-Bois où j’ai été frappée de voir tout ce qui avait été intériorisé par les gens.

Quand on voit la détresse des familles, il est difficile de passer à autre chose. J’ai voulu documenter leur combat qui pointe un certain nombre de dysfonctionnements.

Pourquoi choisir le documentaire ?

Je me suis rendue compte de deux choses : la liste des victimes s’allongeait et les parcours de leurs familles se ressemblaient. J’enchaînais les rencontres avec les familles de victimes et je me rendais compte qu’il y avait des similitudes entre toutes ces histoires. J’ai trouvé cela utile de mettre cinq familles et de montrer les ressemblances qu’il y avait entre leur histoire.

Quelles étaient ces similitudes ?

La sidération. La police est censée te protéger. Ici, la police peut devenir un danger. Ensuite, il a l’aspect de la criminalisation. C’est-à-dire que, souvent, les familles sont encore à l’hôpital et elles s’aperçoivent qu’un article ou un communiqué de la préfecture sont sortis : un récit qui raconte la version de la police. Systématiquement, dans la version de la police, on incrimine la victime ou on affirme que c’était un accident, comme pour le cas de Claude Jean-Pierre.

« On n’a rien fait, il s’est effondré », ont dit les policiers. Mais les vidéos ont montré que ça ne s’est pas passé comme ça. Il y a eu de la violence, une extraction violente du véhicule. Il y a une question qui rapproche toutes ses familles : la volonté de comprendre comment le proche est mort. Marwa, la sœur de Wissam, jeune homme mort à Clermont, explique dans le documentaire qu’ils ont dû devenir des enquêteurs.

Elle et son frère Farid se sont rendus à la cité pour enquêter. Ce sont les familles qui ont trouvé les témoins. C’est aussi le cas pour les Chouviat. Ils ont trouvé des témoins très vite. Cédric Chouviat a été contrôlé au niveau du quai Branly en matinée, il y avait de la circulation. Ils ont trouvé des témoins et des vidéos, ce sont eux qui ont dû aller chercher les preuves.

La police freine-t-elle l’accès aux preuves ?

Pour le cas d’Alan Lambin, qui a trouvé la mort dans la cellule d’un commissariat, il y avait une caméra dans cette cellule. La famille a mis un an à récupérer la vidéo. Mais un an pour une famille, c’est extrêmement douloureux et compliqué.

Comment as-tu travaillé pour construire ton documentaire ?

Il y a eu une période d’écriture et de pré-enquête. C’est un sujet que j’avais déjà documenté. Je connaissais déjà certaines familles, mais il en y a que je n’avais jamais rencontrées, comme les Chouviat. J’ai récupéré des dossiers d’instruction de chaque affaire et tiré ce qui me semblait nécessaire selon chaque cas. Il s’agissait de rester très factuel. Dans le documentaire, il n’y a pas de voix Off. Les familles prennent la parole, elles sont les meilleures personnes pour le faire. On sent beaucoup d’émotion et de détresse face à l’absence de justice et de réponses. Mon travail de journaliste est de leur donner la parole et en même temps de ne pas publier de fausses informations.

Les familles ont accepté de participer tout de suite ?

J’ai l’impression que oui. J’avais à cœur d’être une oreille bienveillante pour les familles, tout en étant transparente sur mon métier. Mon métier est de rapporter des faits. J’ai expliqué aux familles la manière dont j’allais procéder pour raconter la spécificité de chaque affaire. Je pense que ma transparence les a convaincus.

Tu as rencontré des difficultés dans la construction de ton documentaire ?

Tout d’abord, c’était mon premier documentaire seule. L’autre difficulté était que je n’ai jamais la version des policiers. Dans les affaires de Cédric Chouviat et Claude Jean-Pierre, les vidéos montrent que la version policière est fausse. Il y a un contradictoire à faire, mais lorsque je tente d’avoir la version des policiers, je me heurte à des refus. Si tu souhaites contacter des policiers, tu dois solliciter le ministère de l’Intérieur. J’ai pris contact avec un ministère. On m’a répondu que les policiers n’avaient pas à s’exprimer. C’est donc la parole d’un ministère contre celle d’une famille.

Que souhaitais-tu montrer à travers ce documentaire ?

Le combat de ces familles pointe des dysfonctionnements certes, mais il faut balayer devant sa porte. Je fais référence aux journalistes. Il y a des dysfonctionnements dans les médias. Le fait que les journalistes prennent pour argent comptant les dires de la préfecture interroge sur la manière dont ils couvrent les affaires de violences policières. On se doit de comprendre ce qu’il s’est passé, de confronter les éléments, pointer les dysfonctionnements comme les pratiques de la police : le contrôle au faciès, le plaquage ventral.

Contredire aussi le gouvernement : est-ce normal d’entendre le ministre de l’Intérieur dire « lorsque j’entends parler de violences policières, je m’étouffe ». Ne pouvons-nous pas dire simplement que les violences policières existent et tenter d’améliorer la situation pour tout le monde ? Et le dernier dysfonctionnement, c’est la justice : il y a très peu de condamnations.

Propos recueillis par Lucie Leïla Mamouni

Articles liés