Le soleil perce timidement les nuages quand les manifestants commencent à affluer vers la Place d’Italie sur les coups de 13 heures. Thérèse, 62 ans, porte fièrement chasuble et casquette rouge du syndicat Force Ouvrière (FO). « Elle doit être annulée cette réforme, complètement ! » assène cette gouvernante hôtelière.

Qu’ils viennent travailler un jour dans nos métiers de nettoyage et ils comprendront

Depuis plus de 37 ans, elle nettoie les chambres d’hôtels parisiens. « On nous oblige à faire 120 chambres par jour et par personne, explique-t-elle. Après 60 ans, ce n’est vraiment plus possible. »  Alors pas question de laisser le gouvernement promulguer sa réforme sans se battre. « Qu’ils viennent travailler un jour dans nos métiers de nettoyage et ils comprendront. Nous, on doit s’occuper des enfants en rentrant. Eux, ils ont des domestiques ! »

Ce mardi 31 janvier, comme Thérèse, des centaines de milliers de manifestants sont attendus à Paris pour cette deuxième journée de mobilisation intersyndicale contre la réforme des retraites. À Paris, la mobilisation a atteint 87 000 personnes contre 80 000 le 19 janvier, selon les chiffres du ministère. La CGT revendique, elle, une participation de 2,8 millions de personnes pour la manifestation de ce mardi. Tous les syndicats, CFDT comprise, sont au diapason pour marquer le coup.

À l’entrée de l’avenue des Gobelins, les ballons des syndicats de Force Ouvrière sont en ordre de marche, déjà dirigés vers les Invalides, la destination du jour de la manifestation. Une fois les fouilles passées, à côté du camion de FO FEETS, nous retrouvons le groupe de travailleuses et travailleurs de la propreté.

Les employés de la propreté peinent à atteindre une retraite à taux plein

Sur la banderole, en lettres rouges et noires : « Nettoyage, Propreté, Force Ouvrière. » Juste en dessous, Malamine réajuste son écharpe pour se protéger du courant d’air qui s’engouffre dans l’avenue. « Seulement 40% des travailleurs de la propreté, environ, arrivent à avoir une retraite à taux plein », lâche le secrétaire général de FO propreté Île-de-France. Le constat est accablant, et le report de l’âge de départ à la retraite « ne peut qu’aggraver les choses ».

Notre corps de métier est une branche qui emploie environ 80% de populations issues de l’immigration

La réforme, que le gouvernement Macron tente de faire passer en force dans son projet de loi, prévoit de reculer l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Pour les travailleuses et travailleurs de la propreté, la pilule passe mal.

« Notre corps de métier est une branche qui emploie environ 80% de populations issues de l’immigration, détaille Malamine. Ces populations qui viennent d’ailleurs, d’Afrique et d’Asie notamment, sont touchées de plein fouet par cette réforme. » Les facteurs sont multiples. Déjà, les travailleurs du secteur « commencent à travailler en moyenne à 35 ans ».

Alors, difficile d’espérer obtenir une retraite à taux plein en commençant à travailler si tard. Surtout quand la réforme prévoit d’accélérer le passage à 43 années de cotisations, une mesure déjà prévue par la réforme Touraine en 2014. Initialement planifiée à l’horizon 2030, le gouvernement prévoit de rendre la mesure effective dès 2027.

Des travailleur.euses précaires, souvent à temps partiel

Dans les métiers de la propreté, la précarité est la norme. Si le secteur recrute assez massivement en CDI, plus de 65% des employés sont en contrat à temps partiel. Ils mettent donc plus de temps à cotiser des années pleines.

« Ils travaillent entre 3h et 7h par jour. C’est la volonté du marché », déplore Malamine. Bien souvent, ils commencent très tôt le matin, font une coupure la journée sur les horaires de bureaux et reprennent le soir. « Beaucoup de salariés sont multi-employés, ils sont contraints de cumuler plusieurs contrats pour travailler suffisamment pour gagner leur vie », ajoute Malamine. Ces salariés sont fréquemment obligés de faire plusieurs trajets dans la journée pour se rendre sur leurs différents lieux de travail.

Une pénibilité plus importante dans le secteur de la propreté

À la précarité s’ajoute la grande pénibilité des métiers du nettoyage. Christelle, 51 ans, est technicienne de surface en magasin. « Nous, on travaille dans le froid. Nous sommes déjà cassés à 50 ans. Notre corps n’en peut plus. On ne pourra pas profiter de notre retraite en bonne santé », lance-t-elle.

Que ce soit dans les hôtels, les magasins ou les bureaux, les cadences sont infernales. « Aujourd’hui, une personne nettoie 500 m² de bureaux à l’heure, décrit Malamine. On dit qu’ils sont3 en 1”. La même personne vide les poubelles, nettoie les bureaux et passe l’aspirateur. Avant, c’était trois personnes différentes. C’est en grande partie à cause de la sous-traitance. »

Actuellement, sur les 570 000 employés de la propreté en France, presque tous travaillent pour des entreprises sous-traitantes. La profession est soumise à la loi du marché, de la concurrence et du profit. « Il y a environ 20 000 entreprises de nettoyage dans le pays », confirme le secrétaire général de FO propreté IDF.

 « La plupart des gens finissent avec une incapacité de travailler »

Quelques mètres plus loin, Najib, 51 ans, tient la banderole du syndicat. Sous sa casquette qui retombe sur ses yeux, il abonde dans le sens de Malamine. « Les entreprises sont là pour faire des chiffres et ne forment pas les salariés sur les gestes qui sauvent et la manipulation des produits toxiques. » Alors les accidents du travail sont monnaie courante. « Les travailleurs font les mêmes mouvements toute la journée, sans connaître les précautions à prendre. Ils finissent blessés, au dos, aux genoux, aux épaules. »

Malamine explique que les accidents sont aussi souvent liés à des chutes depuis des échelles ou des escabeaux. « La plupart des gens finissent avec une incapacité de travailler », ajoute Najib. Des corps meurtris, qui, fréquemment, entraînent des licenciements avant l’âge de la retraite.

Gouvernante en hôtellerie, Thérèse marche contre la réforme des retraites / ©NévilGagnepain

 

Les femmes surreprésentées dans la profession

La manifestation se met lentement en branle un peu avant 15 heures. À côté de son amie Marie, Thérèse explique avoir eu l’avantage de commencer à travailler jeune et d’avoir eu un emploi en continu. « Pour moi, la retraite à taux plein, ce sera à 65 ans et c’est déjà beaucoup trop, déplore la gouvernante. C’est parce que j’ai eu 3 enfants sinon ça aurait été 67 ans. Et ça aussi ça risque de changer. »

L’étude d’impact de la réforme, commandée par le gouvernement et publiée le lundi 23 janvier, met en avant des conséquences plus lourdes pour les femmes. L’âge moyen de départ à la retraite pour celles nées après 1980 augmentera de huit mois, contre quatre mois seulement pour les hommes. Comme Thérèse, les femmes sont aussi plus nombreuses à avoir eu des carrières hachées, notamment du fait de grossesses.

Selon l’INSEE, 64% des salariés étaient des femmes en 2019 dans le secteur de la propreté. Pour les simples employées, le chiffre monte même à 75%. Les hommes étant de plus en plus représentés dans les métiers qualifiés. « Dans les hôtels, la plupart sont des femmes, étaye Marie. Les femmes de chambre travaillent dans des conditions abominables, le dos cassé. »

Une nouvelle journée pleine pour le mouvement social

« On est là parce qu’on en a marre des discriminations, de la maltraitance, on demande juste à être considérés comme tout le monde, lance Najib. Aujourd’hui, on devrait être en train de parler de la pénibilité de nos boulots, pas de reculer l’âge de départ à la retraite. » Najib et ses camarades comptent bien se faire entendre et sont prêts à manifester et à faire grève tant qu’il le faudra. « On a l’habitude des grosses mobilisations dans notre secteur. On se mobilisera le temps qu’il faudra pour que cette réforme ne passe pas. »

La petite troupe se met en marche direction les Invalides, à quelques pas de l’Assemblée nationale où le projet de loi est en discussion depuis lundi. Une détermination partagée par beaucoup de Français. Au milieu de l’après-midi, la CGT avançait déjà le nombre de 500 000 manifestants dans la capitale, plus que le 19 janvier donc.

Lucie Leila Mamouni et Névil Gagnepain

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