Ce soir à minuit, Radio Gazelle, média associatif marseillais s’adressant en priorité à un auditoire maghrébin, aura cessé d’émettre. Et ce, au profit de France-Maghreb 2, une radio commerciale dont les studios sont à Paris. Un Beur remplace un Beur, de quoi vous plaignez-vous ? C’est grosso modo le discours du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), l’autorité attribuant les fréquences, pour justifier sa décision auprès des auditeurs marseillais. Car pour le reste, on ignore ses motivations.

Les dirigeants de Radio Gazelle, qui tentent le tout pour le tout pour sauver leur fréquence de diffusion (98MHz), ont porté un référé liberté devant le Conseil d’Etat, qui devrait statuer jeudi sur l’affaire. A moins que d’ici là, et il reste peu d’heures, le CSA revienne totalement ou en partie sur sa décision d’attribuer la fréquence à France-Maghreb 2.

Une délégation de Radio Gazelle venue plaider sa cause, a rencontré trois membres du CSA (Rachid Arab, Alain Méar et Christian Dutoit) mercredi en fin d’après-midi à Paris. La réunion ne s’est pas bien passée, selon Jacques Soncin, journaliste et porte-parole du comité de soutien à Radio Gazelle. « Les membres du CSA nous ont paru énervés ; visiblement, cette entrevue avec nous leur avait été imposée. » Par qui ? C’est là que tout commence.

La partie qui se joue est politique. Elle n’a rien d’un classique gauche-droite. Elle se tient plutôt à l’intérieur de la droite, ou, pour être plus précis, entre l’UMP pure souche et des protégés du président de la République, appelés aussi personnalités d’ouverture. Parmi celles-ci, Georges-Marc Benhamou, l’ancien proche de François Mitterrand devenu le conseiller culture et médias de Nicolas Sarkozy, qui aurait pris fait et cause pour Radio Gazelle.

C’est Abderrahmane Dahmane, ex-sympathisant PS, secrétaire national de l’UMP chargé de la diversité, conseiller sur ce même thème à l’Elysée, qui aurait alerté Benhamou. Dahmane et l’actuel directeur de France-Maghreb 2, Tarek Mami, se détestent. Ils se sont connus dans les années 80 à la naissance des grands mouvements associatifs de défense de ce qu’on n’appelait pas encore la diversité, tel Génération 2001, constitués face à la menace Le Pen.

Abderrahmane Dahmane est le fondateur à cette époque de la radio associative France-Maghreb, qui se veut une arme médiatique contre les idées du Front national. Il y travaille avec Tareq Mami. Mais celui-ci a apparemment des appétits de pouvoir. « En 1987, affirme Dahmane, Mami a fait un coup d’Etat à France-Maghreb. Il s’est emparé de la radio. » Les anciens associés se livrent alors une bataille juridique qui durera une dizaine d’années.

Tarek Mami est toujours à la tête de France-Maghreb, qui va prendre le nom de France-Maghreb 2, devenant ainsi « radio nationale », avec un réseau de fréquences un peu partout : Marseille, Dijon, Reims, Clermont-Ferrand et ensuite peut-être Lille et d’autres villes encore. Actuellement, France-Maghreb partage sa fréquence avec un radio arménienne. Ensuite, elle deviendra « une grande », si le CSA maintient sa décision favorable au plan d’expansion de Tareq Mami.

A Marseille, les dirigeants de Radio Gazelle semblaient ignorer jusqu’à peu l’existence du différend opposant Dahmane à Mami. « Pour moi, dit Jacques Soncin, Abderrahmane Dahmane est le fondateur de France-Maghreb. » Les Marseillais imaginaient donc que le conseiller « diversité » à l’Elysée soutenait de près sinon de loin le dossier France-Maghreb 2 soumis au CSA par Mami. Et cette version de la réalité convenait à ce dernier. Seulement, quand Dahmane a appris que son nom circulait au CSA, qui plus est dans un sens arrangeant les affaires de son ennemi, son sang n’a fait qu’un tour. C’est du moins ce qu’il affirme aujourd’hui. « Mami est un usurpateur », tonne le conseiller de l’Elysée.

Le directeur du projet France-Maghreb 2 aurait bénéficié du soutien de l’UMP, qui aurait fait pression sur le CSA, dont les 9 membres ont été nommés par des élus de droite, dont l’ancien président de la République, à une époque où l’on ne pratiquait pas encore systématiquement « l’ouverture à gauche »… « C’est faux, rétorque Tarek Mami, l’UMP n’est pour rien dans la décision du CSA. » La piste UMP est évoquée en raison de l’appartenance supposée de Tarek Mami, Français d’origine tunisienne, au RCD, le parti du président tout-puissant Ben Ali.

« Faux encore, assure l’intéressé. Je ne suis pas membre du RCD. Et j’affirme que c’est là du racisme à l’envers pratiqué par M. Jacques Soncin, qui m’accuse de cette appartenance partisane. Ainsi, il y aurait différentes catégories de Français. Ceux qui, comme lui, de soi-disant pure souche, aurait le droit de prendre fait et cause pour une radio qui s’adresse aux Maghrébins, et moi qui n’aurait pas ce droit parce que je suis d’origine étrangère et par-dessus le marché, ce qui est faux, membre du RCD. Mais sait-on que M. Soncin est d’extrême-gauche ? »

Etes-vous membre de la LCR ? Etes-vous trotskyste ? Nous avons posé ces questions à Jacques Soncin. Ses réponses : « Non, je ne suis membre d’aucun parti. » « Hier, raconte Soncin, l’un de nos hôtes du CSA m’a reproché d’avoir écrit des articles dans lesquels je rappelais que les membres du Conseil supérieur de l’audiovisuel avaient été désignés par des personnalités de droite, ce qui, écrivais-je encore, pouvait expliquer leur décision de confier la fréquence de Radio Gazelle à France-Maghreb 2. Ces mêmes membres ont eu par ailleurs des paroles particulièrement choquantes en faisant allusion à propos d’un employé de Radio Gazelle actuellement en grève de la faim, Mustapha Zergour, au vieux leader du Hamas éliminé par Israël, cheikh Yacine. »

De son côté, Tarek Mami prévient : « J’intenterai un procès à toute personne qui se permet des propos diffamatoires à mon encontre. Vous pouvez l’écrire. » Le directeur de France-Maghreb 2 répond ici à une rumeur, forcément malveillante, selon laquelle il aurait emmené en voyage en Tunisie dans les meilleures hôtels des membres du comité technique du CSA, chargés d’examiner les dossiers de candidatures avant l’attribution des fréquences. « Penser que moi j’ai pu corrompre des gens du comité technique, mais c’est grotesque. »

Antenne créée en 1981, Radio Gazelle emploie environ 7 personnes à Marseille. « Ce ne sont pas des CDI, mais nous comptons bien créer de l’emploi durable », affirme Jacques Soncin. Tarek Mami, lui, n’a pas prévu d’installer dans l’immédiat un studio à Marseille. France-Maghreb émettra depuis ses studios parisiens, dont le directeur refuse de communiquer l’adresse exacte. « Mais à terme, assure-t-il, nous aurons un studio à Marseille et France-Maghreb 2 y créera des emplois. »

Au plus tard demain, les parties devraient être fixées sur leur avenir. La période des municipales complique la donne, à moins qu’elle ne la simplifie. La suppression de Radio Gazelle pourrait en effet ternir l’image du candidat-maire Jean-Claude Gaudin auprès des Marseillais d’origine maghrébine, un cinquième de l’électorat local, plutôt attaché, par conviction ou par solidarité, à cette gazelle radiophonique.

Antoine Menusier

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