Les mégaphones résonnent Place d’Italie avant le début de la manifestation. Des milliers de personnes se réunissent petit à petit entre l’odeur des saucisses et merguez grillées, les chants de la CGT et les pancartes. Allumant sa cigarette, Inès, 23 ans, est venue pour soutenir ses aînés, mais pas que. « On est fatigués : entre le 49.3, l’inflation, le prix du carburant et maintenant cette réforme, comment on est censé construire notre avenir tranquillement ? »

La jeune femme travaille à la protection de l’enfance à Bobigny où le chauffage a récemment été coupé dans un bâtiment pour cause de sobriété énergétique. « On accueille les familles dans ce bâtiment, mais dans un tel froid… Ce ne sont pas des conditions respectables. » Au travail comme dans sa vie personnelle, Inès se sent « frustrée » et porte « un regard pessimiste sur l’avenir ».

On se dit que le gouvernement choisit de faire payer les plus précaires

Ouly et Naya, lycéennes de 17 ans, partagent le même sentiment. « Il y a tellement d’alternatives possibles à cette réforme, et quand on regarde le rapport d’Oxfam, on se dit que le gouvernement choisit de faire payer les plus précaires. » Les deux amies parlent d’effondrement presque inévitable. « Moi, je suis franco-russe, je connais très bien les inégalités et elles sont de plus en plus présentes en France, souffle Ouly. On construit notre avenir dans un système de plus en plus inégal. »

Ce mardi, la mobilisation est plus importante que lors de la première manifestation du 19 janvier. À Paris, 87 000 personnes ont battu le pavé contre 80 000 mardi dernier, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. En France, ce sont 1,2 million de personnes qui se sont mobilisées, toujours selon le ministère alors que la CGT parle de 2,8 millions.

Une mobilisation qui fait résonner plusieurs luttes

Des éclaircies accompagnent le début de la marche, tandis que des centaines de personnes continuent d’arriver. Une partie de la foule scande : « La retraite on s’est battu pour la gagner et on se battra pour la garder. » Renaud, paysan-maraîcher de 30 ans, arbore fièrement son drapeau jaune Confédération Paysanne. Venu exprès de la Meuse, il considère cette réforme injuste. « Je ne pense pas qu’on soit fait pour travailler aussi longtemps. » Depuis ses 25 ans, l’homme ne parvient pas à se verser un SMIC entier par mois, malgré des conditions de travail souvent pénibles.

Notre avenir va être fait de luttes et de combats et on ne lâchera rien

« J’ai des collègues qui approchent de 60 ans et qui emploient des plus jeunes, car ils sont exténués, on peut pas travailler jusqu’à 64 ans. » Le jeune actif défend des modes de vie et de travail respectueux de l’environnement et de l’humain, pas un système « d’hyper-production, de pesticides et de robotisation ». Comme beaucoup dans la manifestation, il sait que le gouvernement ne pliera pas si facilement. « Notre avenir va être fait de luttes et de combats et on ne lâchera rien », prédit-il, bravache.

Une jeunesse contre la réforme et pour un monde plus juste

Cette manifestation fait apparaître la forte mobilisation de la jeunesse. Dévine, jeune de 21 ans, se réjouit de voir de plus en plus de monde dans les cortèges. « Je suis très content que de plus en plus de gens se sentent concernés, il y a tellement de personnes différentes qui se mobilisent et ça, c’est déjà une victoire. » Après une classe préparatoire en économie, le jeune homme a remis toute sa vision de la société en question. « Il y a une telle déconnexion entre le gouvernement et les citoyens, on ne va pas pouvoir tenir ce rythme encore bien longtemps. Aujourd’hui montre que les mouvements sociaux peuvent faire changer les choses », veut-il croire.

Quelques mètres plus loin, les jeunes du cortège queer balancent dans les airs des drapeaux LGBTQIA+. Parmi eux, Sylvio (personne non-binaire), 25 ans, doctorant.e en physique. « Je marche pour défendre une retraite digne, un meilleur système qu’aujourd’hui et surtout pas le contraire. » Accompagné.e de sa pancarte « retraite à 60 ans », Sylvio aspire aussi à une société bien plus égalitaire en termes de genre.

« Les grandes perdantes de cette réforme sont les femmes, car il n’y a toujours pas d’égalité salariale ni domestique. Elles portent la majorité des charges et si on arrive à atteindre l’égalité, on pourra peut-être sortir enfin du clivage des genres. » Iel manifeste en essayant de ne pas trop réfléchir au futur, par angoisse entre réchauffement climatique et montée de l’extrême droite.

Rodrigue, 20 ans, marche contre la réforme des retraites / ©DouniaDimou

« On est dans la rue, pleins d’espoir »

Au fil de la manifestation, des cortèges divers et variés de jeunes s’alignent : lycéens, syndicats étudiants et partis politiques. Tous et toutes en colère, mais toutes et tous mobilisés comme Rodrigue, 20 ans, en service civique. « Je suis ici par solidarité, mais aussi par ras-le-bol de la politique de Macron. » Le jeune homme travaille dans une association qui étudie la mortalité des personnes sans-abris. Le gouvernement a déposé un projet de loi pour punir plus sévèrement les squatteurs fin 2022 et ce mardi 31 janvier, le Sénat l’examine. « Ce projet de loi ne sert à rien, à part taper sur les précaires, c’est dégueulasse, mais surtout représentatif de la politique du gouvernement. »

Pour le droit à une vie et à une retraite digne, des milliers d’autres jeunes foulent les rues de Paris jusqu’aux Invalides. Dans cette foule, les personnes racisées sont très peu présentes. Ils et elles chantent, dansent et protestent pour tenter de faire reculer le gouvernement sur cette réforme et plus largement, pour construire une société plus juste. « Il va falloir se battre, mais on ne baissera pas les bras, si on est là aujourd’hui c’est pour ça, glisse Rodrigue en rejoignant ses amis, on est dans la rue, pleins d’espoir. »

Dounia Dimou

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