Calme et souriant, Ayoub donne l’impression que le Ramadan et la chaleur ne l’atteignent pas. Il explique que « le corps prend ses habitudes, à partir du deuxième jour, cela ce passe bien. » Il commande deux cafés (tous les deux pour la journaliste) et, sous la canicule de Paris, nous fait voyager jusqu’à Rabat, sa ville natale. « Je suis le frère aîné de ma famille. Nous sommes sept en tout. » Ayoub a grandi au Maroc, mais à l’âge de 18 ans, il a décidé de rejoindre sa mère en France, dans le quartier des Pyramides. « Quand je suis arrivé elle m’a accueilli à bras ouverts. Elle m’a assisté et soutenu dans mes démarches pour intégrer une grande école. Elle ne voulait pas que je reste trop longtemps dans le quartier. Je pense que sans ma mère, j’aurais pris un chemin complètement différent. J’aurais fréquenté des dealers par exemple, et je ne serais pas parvenu à être l’homme que je suis aujourd’hui. »

La vie dans la cité n’est pas facile pour les nouveaux arrivants, comme en témoigne Ayoub : « Dans le quartier, chacun a son territoire. J’ai pas mal de fois été victime de tentatives d’agression. Ils voulaient un peu me titiller. J’ai été obligé de me battre pour m’imposer. » Heureusement Ayoub a apporté avec lui des idées bien claires. « Il ne faut pas se laisser faire dans la cité. Pour être respecté, il ne faut pas avoir peur. » À titre d’exemple, il nous raconte un jour s’être fait « agressé par un mec qui voulait mon portable. Je lui ai répondu que c’était hors de question et que je n’hésiterai pas à me battre. C’est ce qui s’est passé et c’est ce qu’il fallait pour qu’il me respecte. » Visiblement régie par la loi du plus fort, la cité ne laisse aucune place à la faiblesse.

S’il y a quelque chose à ne pas remettre en doute dans la vie d’Ayoub, c’est le soutien inconditionnel de sa mère. « Elle a été toujours là, m’a beaucoup conseillé au moment de choisir ma filière. » Dans sa famille, Ayoub essaie de donner l’exemple. « J’ai cinq frères et une sœur, la plus jeune. Les trois plus grands sont ici et font des études. » Ayoub se sent concerné par l’avenir de la jeunesse dans un contexte aussi difficile, « en France, ce sont les diplômes qui comptent. C’est pour cela que j’encourage mes frères à suivre une formation intéressante » précise le jeune homme.

En parlant de la banlieue, on est obligé de lui demander son avis sur les récentes émeutes en Angleterre, « ce sont des réactions à des problèmes très profonds. Là-bas, il y a un problème lié aux relations ethniques. Cela a crée une rupture entre la population et la police. C’est la même chose qui se passe dans les banlieues françaises. Les gens des quartiers ont pris conscience que le gouvernement n’assumait pas ses responsabilités face à certaines questions : chômage, injustice sociale, discriminations… Le gouvernement essaie de démontrer que c’est un problème de sécurité. Mais il n’y a pas assez de lois pour maîtriser réellement ces violences. Du coup, les vrais problèmes de société ne sont pas traités. Ensuite quand les élections approchent, les politiciens font campagne pour la sécurité. Les gens de la cité le prennent pour eux et cela accentue encore davantage le sentiment d’incompréhension et de haine. D’où le fait que la violence ne recule pas. »

Ayoub n’hésite pas à faire un bilan tranché de la banlieue parisienne. Pour lui, la situation ne s’améliore pas. Il est convaincu qu’ « on n’est pas loin de voir éclater de nouvelles émeutes un jour ou l’autre, parce que désormais il y a des problèmes plus graves : la crise financière arrivée et a laissé beaucoup de dégâts : elle a augmenté le taux de chômage (surtout dans les quartiers), encouragé la baisse des effectifs au sein de la police. »

La police justement, lui rappelle de mauvais souvenirs. Ayoub confie s’être fait contrôlé pas mal de fois, sans raison valable,  « ils n’ont jamais rien trouvé contre moi. Ils ont le droit de fouiller, je ne dis pas le contraire. Mais un jour, lors d’une arrestation, j’ai été insulté et je n’ai pas réagi. Ils ont pris note de mon identité, ce qui est illégal (je le sais parce que j’essaie de connaître au maximum mes droits et mes obligations). Le lendemain je suis allé à la préfecture avec ma mère pour me plaindre auprès du commissaire. On a fait un scandale là-bas. On lui a raconté ce qui s’était passé et il nous a présenté ses excuses. Sans ses excuses, nous aurions été jusqu’à poursuivre ces personnes en justice. Moi, je suis toujours contre la violence et pour le droit. »

Malgré les problèmes du quartier, Ayoub a réussi à surmonter les obstacles. Ayant choisi de passer par une grande école malgré les frais de scolarité élevés, il a été obligé de se frotter à la case débrouille. « J’ai fait de tout : préparer des commandes, agent de sécurité, faire le ménage… Parfois je travaillais la nuit et je filais directement en cours après deux ou trois cafés. » Ses notes à l’école n’en ont pas pâti. Au contraire, il est aujourd’hui convaincu que cette galère l’a rendu plus fort et l’a poussé à toujours aller de l’avant, « en BTS, j’étais le premier de ma promotion ! » note-t-il non sans fierté.

Son BTS en poche, Ayoub intègre une école de commerce après avoir réussi le concours avec brio. « À la sortie de l’école, j’ai trouvé un travail dans une banque d’affaires, j’ai été conseiller en gestion du patrimoine. Je conseillais les clients sur leurs investissements, mais cela ne me plaisait pas. » Il prend alors la décision de relever un défi. Créer de sa propre entreprise. L’idée est simple. Donner l’opportunité aux entrepreneurs de promouvoir leurs activités à un prix raisonnable, un euro par jour. Méthode employée : sur un distributeur installé dans un espace public, les consommateurs peuvent trouver les cartes de visites des annonceurs participants. « Le projet est né de la constatation qu’il y a beaucoup d’entreprises qui disparaissent car elles n’ont pas les moyens de se faire connaître. » Il baptise presque naturellement son entreprise le Com’Eco, comme communication économique. En plus d’être économique, son système est écologique. Selon lui, « le Com’Eco évite le gaspillage : chaque personne ne prend que les cartes qui l’intéressent, donc le message arrive toujours aux destinataires. »

Ces distributeurs se trouvent dans des magasins partenaires. Boulangeries, cafés : tous les secteurs peuvent héberger le Com’Eco. Seule condition : que le distributeur soit placé dans un endroit du magasin bien visible et fréquenté. À ses yeux, son entreprise est plus qu’un simple instrument d’échange et de diffusion, « nous mettons à disposition du client la possibilité de créer tout une stratégie de publicité : dessin des cartes de visite, création des logos, web sites, etc. Tout cela à un prix raisonnable défiant toute concurrence. » Pour le moment, Ayoub est seul à travailler sur son projet. « Mais lorsqu’il commencera à prendre du galon, j’aimerais bien employer des stagiaires. Des jeunes de la banlieue, comme moi. »

Beatriz Alonso

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