« J’ai galéré à trouver mon stage de troisième. J’ai reçu beaucoup de refus. Pourtant j’ai essayé dans toutes les villes, à Sarcelles, à Gonesse, Cergy, Saint-Denis, même à Paris, tout, tout, tout ».  

Mercredi 8h30 au collège Anatole France de Sarcelles, Jonas décrit sa longue démarche jusqu’à l’obtention de son stage. En face de lui, ses camarades acquiescent. Ce jour-là, l’association Viens voir mon taf est attendue pour animer un atelier sur leur stage de troisième.

Selon l’Éducation Nationale, le stage de 3ème représente « l’occasion de découvrir le monde du travail, partager le quotidien de professionnels et bénéficier d’une expérience concrète. Il est aussi l’occasion pour les élèves de gagner en autonomie, de prendre confiance dans un nouvel environnement et de permettre, éventuellement, de confirmer un projet d’orientation ».

Une inégalité des chances

En réalité, pour de nombreux élèves, cet objectif est difficile à atteindre. Charlotte Lainé et Benjamin Awazi le vivent au quotidien. En tant que chargé d’accompagnement pédagogique au sein de l’association Viens voir mon taf, ils se rendent dans les collèges REP et REP+ pour aider les élèves de 3ème à trouver un stage.

L’association était déjà intervenue dans leur collège en octobre : « En début d’année on leur a présenté notre plateforme. Nos entreprises partenaires diffusent dessus des offres de stage très diverses pour leur donner l’opportunité de faire un stage qui leur plaît vraiment » explique Charlotte en insistant sur le dernier mot. 

« On part du constat que 75 % des jeunes en REP et REP+ ont des parents qui sont soit ouvriers soit sans emploi. Dans ce cas-là, les élèves n’ont aucun réseau professionnel. Notre plateforme est donc là pour tenter de leur en apporter un. »

« Pour qu’ils découvrent des secteurs d’activité qu’ils pensaient inaccessibles »

Benjamin poursuit le discours de sa collègue : « En plus de vouloir leur apporter un réseau professionnel, on voudrait les aider à revoir leurs orientations à la hausse, pour qu’ils découvrent des secteurs d’activité qu’ils pensaient inaccessibles. Le stage ouvre énormément d’horizons. Un élève qui va faire son stage dans un cabinet d’avocat, va peut-être se dire que c’est vraiment possible de devenir avocat… »

L’atelier commence, les élèves vont devoir travailler sur les codes à avoir dans le monde professionnel. Mais avant de commencer, les deux intervenants demandent aux élèves de lever la main s’ils ont trouvé leur stage grâce à leur association.

C’était impossible que je fasse mon stage avec mes parents :  Ma mère fait des ménages et mon père travaille à la cantine

C’est le cas de Cyrille. Il est un peu timide, mais dès qu’on évoque son stage, une fierté l’anime. « Je voulais faire un stage dans l’informatique parce que c’est un domaine qui me plaît. Au collège, on m’a dit d’aller sur le site de Viens voir mon taf. Et je suis content, car j’ai été accepté dans une entreprise à la Défense ! ». En face de lui, Jemisha raconte à son tour : « C’était impossible que je fasse mon stage avec mes parents :  Ma mère fait des ménages et mon père travaille à la cantine. Alors, moi aussi, je suis allée m’inscrire sur le site de Viens voir mon taf. J’ai vu qu’il y avait un stage à la banque de Sarcelles, j’ai postulé et ça a fonctionné. Ils m’ont répondu très vite ! »

À une semaine du début de leur stage, la plupart des élèves en ont trouvé un. Charlotte et Benjamin passent rapidement d’élèves en élèves pour savoir où ils iront. Les mains enfouies dans son sweat rouge, Emna est encore dans l’incertitude : « J’ai postulé dans énormément d’hôpitaux, de laboratoires et de maisons de retraite. Personne ne m’a rappelé. J’aime bien le secteur médical parce que ça fait longtemps que j’aide ma voisine qui est âgée. » Charlotte vérifie sur la plateforme de l’association : « On attend encore une réponse, mais je crois qu’on a un contact pour elle. »

Chaque année, le même défi

Assis à son bureau, le professeur Yvan Le Rohellec observe l’atelier en souriant. « Selon les années, il arrive qu’il y ait des élèves qui ne trouvent pas du tout de stage, alors on leur dit qu’ils iront au collège faire des travaux d’intérêts généraux. À ce moment-là, on passe à côté de l’intérêt du stage », déplore-t-il. 

Ça leur ouvre l’esprit sur ce qu’il y a à l’extérieur de Sarcelles

« On a aussi beaucoup de stages en pharmacie, c’est à proximité, ils recrutent facilement, mais ce n’est pas intéressant. Les élèves trient les cartons, ils font les tâches que personne ne veut faire. Avec l’association, ils ont accès à des entreprises qui sortent un peu du lot. Je me souviens que j’étais allé rendre visite à un élève à Paris, sur la place Vendôme. Ça leur ouvre l’esprit sur ce qu’il y a à l’extérieur de Sarcelles. »

La sonnerie retentit, les élèves s’en vont bruyamment. Le petit temps de latence avant l’arrivée d’une autre classe permet à Charlotte et Benjamin de faire un point sur la matinée. Ils déplorent la situation des professeurs principaux, responsables des stages des élèves de 3ème. « C’est un peu le stress de l’année pour eux. Il faut que tous les élèves de leur classe trouvent un stage. Ceux avec qui on bosse sont hyper engagés et parfois ils mobilisent leur propre réseau personnel pour aider. »

Pour aider les élèves à trouver des stages, le collège Anatole France travaille aussi avec le ministère de l’Éducation Nationale. Si tous les partenaires sont les bienvenus, ils affirment qu’ils ont moins eu besoin de solliciter leurs ressources internes depuis leur collaboration avec Viens voir mon taf.

L’impact de l’origine social dans leurs futurs emplois

Quelle que soit la future carrière professionnelle des élèves, le stage de 3ème sera la première chose qu’ils vont inscrire sur leur CV. Le choix du stage peut donc être décisif. Les critères perçus comme les plus importants lors de l’examen d’un CV sont les lieux où ont été effectuées les études et ceux où ont été réalisés les stages et les expériences professionnelles.

Ce sont les conclusions de l’étude menée par l’association À compétence égale, engagée dans la promotion de l’égalité et de la diversité dans l’accès à l’emploi, en partenariat avec Monster, un site qui diffuse des offres d’emploi. L’étude montre aussi l’impact de l’origine sociale dans l’emploi et illustre bien le plafond de verre qui s’érige au-dessus de la tête des élèves des collèges REP et REP+.

À la fin de l’atelier, avant de quitter le collège Anatole France, Benjamin évoque l’avenir de leur association. « L’équipe n’est pas super grande en termes de salariés. Sur le long terme, ça peut poser problème parce que beaucoup d’autres établissements font appel à nous. Ça nous arrive même de décliner des demandes. Mais même si nos moyens humains sont limités, ça grandit au fur et à mesure, on développe des financements. Il y a un vrai besoin d’accompagnement à l’orientation dans les quartiers populaires. »

Emma Garboud-Lorenzoni

Articles liés