« Aujourd’hui, on revient sur le chantier pour dire à Bouygues qu’ils doivent respecter l’accord du 17 octobre. » A. Badiaga fait partie de la quinzaine de grévistes qui se sont mobilisés mi-octobre sur le chantier du site olympique de l’Arena Porte de la Chapelle. Suite à une grève et une occupation du chantier qui aura durée toute la journée, les collectifs de sans-papiers mobilisés et le syndicat de la CNT-So avaient signé un protocole d’accord avec les entreprises sous-traitantes de Bouygues immobilier, en charge du chantier, en la présence des représentants du groupe et de la mairie de Paris.

À l’entrée du chantier, ils m’ont demandé une pièce d’identité avec mon badge, alors que d’habitude ce dernier suffit

Après avoir obtenu satisfaction, les travailleurs ont mis fin à leur grève pour retourner travailler dès le lendemain. Mais en arrivant sur son lieu de travail, une mauvaise surprise attend A. Badiaga. « À l’entrée du chantier, ils m’ont demandé une pièce d’identité avec mon badge, alors que d’habitude ce dernier suffit », relate-t-il. En situation irrégulière, il n’est pas en mesure de présenter des papiers en règle et donc d’entrer sur son lieu de travail. « Ça a été pareil pour tous les gars du chantier dans la même situation », poursuit-il.

C’est pourquoi, ce vendredi, vers 11 heures du matin, une poignée de travailleurs grévistes syndiqués, accompagnés par une soixantaine de soutiens, ont une nouvelle fois fait irruption sur le chantier de l’Arena sous les regards médusés des ouvriers présents sur place. Malgré un premier face à face tendu avec la sécurité et les responsables du chantier, la tension est vite redescendue et de nouvelles négociations ont pu être entamées avec Bouygues et la mairie de Paris.

Les responsables des chantiers se dédouanent sur leurs sous-traitants

« Nous avions signé le 17, en présence de trois entreprises sous-traitantes, de la mairie de Paris et de Bouygues, un protocole d’accord prévoyant la remise des documents pour déposer les dossiers à la préfecture par les entreprises concernées, ainsi que le maintien des salariés en poste », détaille Etienne Deschamps, ancien juriste et syndicaliste à la CNT-SO. « Ce qui s’est passé ensuite, ce n’est pas possible. La circulaire Valls dit expressément que les contrats de travail peuvent se poursuivre durant l’instruction des dossiers par les préfectures. C’est pourquoi, aujourd’hui, on vient faire une piqure de rappel à Bouygues. »

Et les procédures de régularisations ont bien été entamées. Deux des trois entreprises concernées ont tenu parole et transmis les documents nécessaires à la reconnaissance de leurs travailleurs sans papiers, qui ont donc le droit de conserver leur emploi le temps de l’instruction. Bouygues parait considérer que ces derniers ont le droit de conserver leur emploi, mais pas sur ses chantiers. Le géant du BTP se dédouane en rejetant l’entière responsabilité sur ses sous-traitants.

La Solideo affirme que la circulaire Valls, permettant la régularisation des travailleurs sans papiers, ne s’applique pas sur ses chantiers

Une position que semble partager la Solideo (société de livraison des ouvrages olympiques). L’établissement public chargé de superviser les chantiers des JO a en effet reçu une délégation de la CNT-SO sur un chantier de Saint-Denis courant novembre. Une rencontre qui a tourné au vinaigre. Dans la foulée, les Gilets Noirs, également présents, ont exprimé leur mécontentement dans un communiqué. « La Solideo, entre mépris et dénis, affirme que la circulaire Valls, circulaire d’application permettant la régularisation des travailleurs sans papiers, ne s’applique pas sur ses chantiers. »

La Solideo, que nous avons contactée, dément avoir tenu cette position et affirme que la circulaire Valls s’applique sur ses chantiers comme partout ailleurs. Mais elle explique que « toutefois, ce que requiert la circulaire Valls, à savoir le maintien en poste le temps de la procédure de régularisation, ne nous parait pas pouvoir être appliqué de manière généralisée à tous les cas de figure. Nous sommes en faveur d’une étude au cas par cas, notamment pour faire la différence entre les entreprises qui fraudent de manière quasiment systématique, voire systémique – qui n’ont clairement pas leur place sur nos chantiers et que nous souhaitons écarter le plus rapidement possible… »

Les protestations se multiplient et s’accélèrent sur les chantiers des JO

L’organisme public et les entreprises du BTP semblent à la fois fuir leurs responsabilités et minimiser le recours aux travailleurs sans-papiers sur leurs chantiers. La colère monte du côté des ouvriers. En mars, selon le journal l’Humanité, dix travailleurs ayant exercé sur les chantiers des JO assignaient déjà en justice Vinci, Eiffage, Spie Batignolles et GCC ainsi que huit sociétés sous-traitantes dans une requête déposée aux prud’hommes. Ils dénonçaient du travail non déclaré, l’absence de feuilles de paie, l’absence de congés payés, le non-respect des salaires conventionnels et l’absence de présentation à la médecine du travail ni de complémentaire santé.

Déterminés à poursuivre la lutte contre la machine à exploiter

Face à ces situations trop répandues et au déni des pouvoirs publics, les organisateurs de l’action de vendredi sur le chantier de l’Arena se disent « déterminés à poursuivre la lutte contre la machine à exploiter et à ne pas lâcher les donneurs d’ordres qui cherchent par tous les moyens à se laver les mains ». Ils promettent d’autres actions dans les semaines à venir.

Névil Gagnepain

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