« Un coup d’État ne peut justifier la suspension des visas », juge Alphonse, 20 ans, actuellement étudiant à Sciences Po Paris. Allemand et Burkinabè, l’étudiant est sidéré par la décision de la France de suspendre les visas étudiants pour le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Un choc pour les étudiant.es qui s’apprêtaient à rejoindre les universités hexagonales à la rentrée, après avoir passé toutes les barrières administratives et financières.

Le quai d’Orsay avance le « contexte sécuritaire » de ces trois pays dirigés par des juntes militaires pour justifier cette décision. Mais l’incompréhension règne. Au pays de Thomas de Sankara, plus de 115 étudiants acceptés dans des établissements français sont dans l’attente d’un visa, selon le Collectif des étudiants burkinabè.

Alphonse, comme les autres étudiants des pays sahéliens qui ont déjà entamé leurs études en France, sont épargnés. De surcroît, Alphonse possède aussi la nationalité allemande. Selon les chiffres de Campus France, 3 000 étudiants maliens, 2 500 Burkinabés et 1 200 Nigériens inscrits dans l’enseignement supérieur, pour l’année 2022-2023.

La dépendance africaine à l’éducation française est un vestige de la colonisation 

« Le système universitaire au Burkina Faso n’est pas développé comme il aurait dû », regrette Alphonse. Poursuivre ses études en France représente donc une opportunité pour de nombreux Burkinabè. « Les élites, les hauts fonctionnaires, les militaires, tous sont passés par Paris. La dépendance africaine à l’éducation française est problématique. C’est un vestige de la colonisation », affirme-t-il.

Victimes collatérales et déconstruction des mentalités

« C’est la génération qui vient d’avoir le bac qui sera pénalisé. La plupart allaient partir en France et là, elle se retrouve bloquée », déplore Ousmane*, 21 ans, lui aussi étudiant à Sciences Po Paris. Une situation dont pâtissent les frères et sœurs de ses amis coincés à Niamey (Niger). De nationalité nigérienne, angolaise et canadienne, Ousmane trouve injuste que, pour des raisons diplomatiques, il ne leur soit plus possible de poursuivre leurs études à Paris où « les opportunités sont relativement meilleures ».

Face à cette situation, Ousmane considère « la génération du bac » comme les victimes collatérales d’un conflit qui les dépasse. « Peut-être qu’il y aura moins de fuite des cerveaux vers la France. Il y a pleins d’autres opportunités universitaires au Sénégal, au Maroc, au Kenya, en Afrique du Sud, au Ghana », souligne-t-il. Cet étudiant mise ainsi sur une déconstruction des mentalités. « Ce contexte pourrait renforcer l’esprit panafricain des jeunes Nigériens en questionnant l’image fantasmée de la France », veut-il croire.

Anissa*, 21 ans, nigérienne et étudiante à l’ESSEC Paris, voit les choses autrement. « Au vu de tout ce qu’on a subi en tant que pays ouest-africain anciennement colonisé par la France, on peut se permettre d’aller en France, cultiver des compétences et des expériences », estime-t-elle. Cette ancienne du lycée français de Niamey envisage de retourner au Niger à l’issue de ses études. « J’ai toujours été dans cette optique-là. C’est à notre génération de développer nos pays ».

Représailles politiques et géopolitiques

Cette décision advient dans un contexte particulier. L’armée française intervient dans ces trois pays depuis une dizaine d’années dans le cadre de l’opération Barkhane contre les troupes djihadistes. Selon Rémi Carayol, journaliste indépendant spécialisé sur l’Afrique, auteur du livre “Le mirage sahélien”, (Eds. La Découverte, 2023), cette décision « ressemble plus à une forme de représailles politiques et géopolitiques » à l’encontre des juntes qui dirigent ces pays. En effet, une fois au pouvoir, les putschistes ont exigé l’expulsion de l’armée française et une rupture diplomatique. Paris n’a pas attendu longtemps avant de suspendre l’aide bilatérale avec ces pays et geler l’ensemble de la coopération.

Pourquoi l’arrêt des visas étudiants n’a pas touché la Guinée Conakry et le Gabon, deux pays également dirigés par des putschistes ? « Ces pays n’ont pas rompu militairement et diplomatiquement avec la France », répond Rémi Carayol. « Le Mali, le Burkina et le Niger ont décidé de s’émanciper de la tutelle française en matière de sécurité. Et, pour certains, de se rapprocher de l’ennemi considéré comme suprême, la Russie », explique-t-il. En effet, quand Bamako a fait appel à la société russe de sécurité privée Wagner. Ouagadougou et Niamey sont, eux, restés plus timorés sur une possible collaboration avec le groupe paramilitaire russe.

« Un orgueil mal placé d’Emmanuel Macron »

« Aujourd’hui, tout est décidé à partir de l’Élysée. Le ministère des Affaires étrangères n’a pas vraiment son mot à dire », affirme le journaliste indépendant. La suspension des visas étudiants est perçue par Rémi Carayol comme « une forme d’orgueil mal placé de la part d’un Président qui n’accepte pas de voir les pays qui ont longtemps été considérés comme relevant de son “pré-carré” puissent regarder ailleurs que vers Paris ».

En suspendant les visas étudiants de ces pays sahéliens, « la France, plutôt que d’essayer de freiner la rupture voulue par les dirigeants et aussi une partie des populations de ces pays, l’accélère », observe Rémi Carayol.

Une évolution lente, mais certaine, de perte d’influence et de lien avec ces pays

Paris semble ainsi se couper de ce qui représente une des forces entre l’Afrique et la France : ces flux d’étudiants. Et les obstacles s’accumulent. En 2019, le gouvernement avait décidé d’augmenter les frais de scolarité pour les étudiants extra-européens. S’ajoute à celle-là la difficulté d’obtention d’un visa pour la France pour les étudiants africains. Une enquête d’Afrique XXI révèle, en effet, qu’il y a deux fois plus de refus de visas sur le continent africain que sur les autres continents. En prenant cette décision, Rémi Carayol considère que « le gouvernement français ne fait que précipiter une évolution lente, mais certaine, de perte d’influence et de lien avec ces pays-là ».  

Victor Avendaño

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