« L’enfant a droit à une alimentation, à un logement, à des loisirs et à des soins médicaux adéquats. » Dans le 19ème arrondissement de Paris, rue de l’Ourcq, on peut lire ce texte de la déclarations des droits de l’enfant complété par ces mots : « Ces principes n’étant pas que des mots, le 1er décembre, nous, communauté éducative de l’école Ourcq B, n’avons eu d’autre choix que d’occuper l’école cette nuit ».

Le 1er décembre dernier, les enseignants de l’établissement apprennent que Luisa*, mère d’un élève scolarisé en classe de CP, n’a pas d’hébergement pour la nuit. Ils décident unanimement de l’accueillir au sein des murs de l’école. « Les parents d’élèves se sont également emparés du problème », relate Amandine, institutrice chez les CM1 et CM2. Luisa, et ses quatre enfants en bas âge y passeront la nuit.

La décision d’occuper l’école a été prise collectivement par les 14 instituteurs de l’établissement.

Une mobilisation collective qui paye

La mobilisation de l’équipe éducative a porté ses fruits. Le lendemain, la mairie du 19ème arrondissement est alertée et débloque un fonds d’urgence afin de financer des nuits passées en auberge de jeunesse. Une solution d’hébergement qui devait cesser jeudi 8 décembre.

Selon le personnel de l’école, la mairie aurait agrandi l’enveloppe attribuée à cette famille pour quelques nuits à l’abri de plus. Contactée, la mairie d’arrondissement n’a pas répondu à nos sollicitations.

Luisa, une Brésilienne arrivée en France en février 2022, vivait jusqu’alors dans un Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) de la capitale, en attendant le traitement de sa demande d’asile. Elle a reçu une réponse négative, le 16 novembre dernier. « Ici, en France, on m’a dit que ma situation de victime de violences conjugales n’était pas une priorité de la protection internationale », raconte la mère de famille dans un parfait français.

En dépit du droit d’asile, une famille mise à la rue

Une dizaine de jours après le refus de sa demande d’asile, « le CADA a loué un taxi pour m’accompagner à l’hôtel », raconte Luisa. Un déménagement précipité alors que les centres d’accueil de demandeurs d’asile doivent proposer un hébergement pendant un mois à compter de la réception de la réponse de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) afin de préparer la sortie des exilés.

Prise en charge par le 115, cette mère de quatre enfants, âgés de 8 mois à 6 ans, passe une semaine en hôtel de petite couronne. Mais le 30 novembre, la famille doit quitter les lieux, le Samu social n’ayant pas renouvelé son hébergement. « Une des collègues l’a vu raccrocher au téléphone en pleurant devant les portes de l’école. C’est comme cela que nous avons été mis au courant », se remémore Amandine.

« J’ai à mon tour tenté de joindre le 115 pour obtenir un hébergement d’urgence », explique Nadine, institutrice à l’école Ourcq B. « Je pense que j’ai dû les appeler au moins 1 000 fois », glisse l’enseignante.

Un réseau de solidarité spontané

Pour ce premier soir, une enseignante de l’école met la main à la poche et finance d’elle-même une chambre d’hôtel pour parer à l’urgence. Et le lendemain, l’équipe éducative cherche une solution plus pérenne.

« Un parent d’élève qui travaille au 115 du 92 nous a même proposé son aide. Problème : l’hébergement d’urgence est départementalisé », souffle une institutrice croisée dans un couloir. Le 1er décembre, parents et enseignants devaient se réunir pour un programme du « café-parents » autour de l’exposition aux écrans.

« On a vraiment eu de la veine que le café-parent tombe ce soir-là », exposent les institutrices. Rassemblés et ainsi prévenus, les parents dégainent à leur tour leur téléphone : réseaux militants, députés Nupes et mairie d’arrondissement sont à leur tour informés du sort de Luisa et de ses enfants.

D’autres établissements qui vivent des situations similaires ont d’ores et déjà apporté leur soutien aux enseignants de l’école Ourcq B, en adressant des courriers à l’Académie de Paris. C’est le cas de l’école Colette Magny ou encore l’École polyvalente publique Macdonald, toutes deux situées dans le 19ème arrondissement de Paris.

Une situation toujours incertaine pour la mère de famille

Malgré la réaction de la mairie, la situation reste critique pour Luisa. « J’ai toujours le reçu de ma demande d’asile qui est valable jusqu’au 23 décembre », fait-elle remarquer. « Mais après cette date, je n’aurais pas de moyen pour rester légalement », poursuit-elle.

« Je vais travailler », prédit-elle. Au Brésil, Luisa était réceptionniste. En France, elle « rêve de travailler dans un bureau, mais en attendant tout travail serait le bienvenu », jure-t-elle.

C’est un peu difficile d’avoir des projets pour l’après quand on n’a pas de toit sur la tête

Entre les aller-retours pour emmener ses enfants à l’école et les portes à portes aux associations d’entraide, Luisa tente de garder un semblant de normalité devant ses petits : « Ma première responsabilité, en tant que maman, c’est de nourrir et de prendre soin de mes enfants ».

« Je verrais comment me rétablir en tant que femme plus tard. C’est un peu difficile d’avoir des projets pour l’après quand on n’a pas de toit sur la tête », souligne-t-elle.

« Les enfants de Luisa n’ont jamais manqué un jour d’école. Elle ne l’accepterait pas », remarquent les institutrices. Le petit de Luisa, 6 ans, partage son temps d’école entre classe de CP et Unité Pédagogique pour Elèves Allophones Arrivants (UPE2A) pour rattraper son retard en français. « Ces unités n’existent pas partout. Certains enfants, à cause des déménagements incessants, se voient refuser leur accès aux UPE2A, ce qui est pourtant leur droit », indique Olga, une institutrice du 19ème.

Droit au logement et à l’éducation liés

L’école élémentaire Ourcq B accueille une quinzaine d’élèves en UPE2A, peu importe leur niveau scolaire. Les situations administratives critiques de certains parents peuvent briser la continuité pédagogique. Fin septembre, un petit a quitté l’établissement après un mois de cours.

« L’école peut être un puissant moyen pour oublier ce qui se passe à la maison », observe Amandine. Dans le cas de Gabi, le petit de Luisa, la nuit passée à l’école restera un bon souvenir. « Le lendemain, il était assez bravache et a raconté à plusieurs camarades qu’il avait fait dodo à l’école. Ses camarades l’ont pris pour un fou », sourient les institutrices.

L’occupation du 1er décembre a rapidement fait le tour parmi les écoliers. « Pour éviter les fausses rumeurs, j’en ai parlé le matin sans citer de noms », témoigne une institutrice chez les grands. Même son de cloche chez ses collègues.

« Notre école est située dans un quartier dur, dans une époque où les services sociaux sont à bout de souffle. Mais l’équipe est trop cool », détaille Amandine en guise d’explication. « Plusieurs enseignants sont d’anciens animateurs, travailleurs sociaux ou ont travaillé en prison », poursuit-elle. « On est conscient de ce qui se passe à l’extérieur de l’école, on ne peut pas accueillir des enfants sans en tenir compte. »

Un appel de l’Académie de Paris qui passe mal

Suite à la mobilisation de l’équipe éducative, plusieurs institutrices assurent que l’Académie a appelé la direction de l’école afin de « déterminer qui a passé la nuit en compagnie de Luisa ».

Une initiative qui passe mal auprès de certaines institutrices. « Le plus grave que l’on risque, c’est que l’on soit convoqué pour un rappel au règlement, pense Amandine. De toute façon, on ne se sent pas seuls. Même les parents coopèrent. Chacun s’est vraiment saisi de la situation. »

Amandine voit là un exemple de « l’atmosphère de défiance entre équipes éducatives et hiérarchie, et de répression syndicale » au sein de l’Education Nationale. De son côté, l’Académie nous affirme qu’aucune sanction n’est prévue à l’encontre du personnel de l’école Ourcq B.

« Les directeurs et directrices d’école, appuyés par les personnels sociaux en fonction dans les structures scolaires, ont un rôle majeur dans le repérage et l’accompagnement social » des familles en difficulté, rappelle l’Académie de Paris. « Le service social du rectorat développe par ailleurs un travail partenarial important pour les hébergements d’urgence », informe son service communication.

Plusieurs collègues nous parlent de leurs propres situations dans les écoles

Du côté des profs, la mobilisation continue. « Un courrier intersyndical doit arriver pour élargir le sujet et pour dire que tous les syndicats soutiennent les collègues qui mettent à l’abri des familles », prévient Amandine.

À l’école Ourcq B d’ailleurs, une autre famille est dans une situation instable. « Depuis l’affaire, plusieurs collègues nous parlent de leurs propres situations dans les écoles », témoigne Amandine, et d’indiquer que « beaucoup de famille sont à la rue en ce moment ».

Méline Escrihuela

*Tous les prénoms ont été modifiés

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