« Au planning, on sait que des hommes aussi peuvent être enceints. » Il a suffi d’une affiche représentant un homme trans enceint pour que la polémique s’emballe. Cette affiche, publiée en août par le planning familial, a déclenché une déferlante transphobe d’une violence inouïe. Aux voix d’extrême-droite, se sont mêlées celles de militantes prétendument féministes.
Très vocales, les militantes anti-trans, Marguerite Stern et Dora Moutot, ont été les figures de proue de cette vague de haine. Elles sont qualifiées de TERFs dans les milieux militants. L’acronyme TERFS désignant les féministes radicales excluant les personnes trans, en anglais : Trans-exclusionary radical feminist. Notons par ailleurs que leur proximité idéologique avec les médias et milieux d’extrême-droite n’est plus à démontrer. Libération et Arrêt sur images ont écrit des articles édifiants à ce sujet.
Derrière une prétendue évidence…
Dans une tribune pour Marianne, elles écrivaient que « le planning familial (faisait) désormais passer la biologie au second plan ». Selon elles, « seules les femmes, c’est-à-dire les femelles adultes humaines peuvent être enceintes. Un homme, c’est-à-dire un mâle, ne pourra jamais l’être ».
Elles s’érigent comme les défenseuses du naturalisme. Marguerite Stern et Dora Moutot prétendent de ce fait que défendre le biologique revient à défendre les femmes. Ces militantes transphobes, qui se revendiquent féministes, valident l’idée selon laquelle la frontière entre les hommes et les femmes serait une frontière naturelle, évidente, et non pas une frontière sociale, et donc arbitraire.
…un discours de haine
Selon ces définitions tautologiques, une femme serait une « femelle adulte humaine », et un homme un « mâle adulte humain ». Une version qui se veut plus sophistiquée que l’habituel : « Un homme est un homme », ou « une femme est une femme ».
Rappelons, puisqu’il le faut, cette phrase de Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe : « On ne naît pas femme, on le devient », paru en 1949. Un slogan inaugurant des décennies de réflexions sur la manière dont les femmes sont socialement construites en tant que femmes, à rebours de tout naturalisme. Un naturalisme que, précisément, les mouvements féministes n’ont cessé de combattre.
Masculin/féminin sont les catégories qui servent à dissimuler le fait que les différences sociales relèvent toujours d’un ordre économique, politique et idéologique
Dans son livre « La pensée straight » paru en 1992, l’intellectuelle lesbienne Monique Wittig, l’une des fondatrices du MLF (Mouvement de Libération des Femmes créé en 1970), démontait déjà cette théorie. « L’idéologie de la différence des sexes opère dans notre culture comme une censure, en ce qu’elle masque l’opposition qui existe sur le plan social entre les hommes et les femmes en lui donnant la nature pour cause », écrivait Monique Wittig.
« Masculin/féminin, mâle/femelle sont les catégories qui servent à dissimuler le fait que les différences sociales relèvent toujours d’un ordre économique, politique et idéologique. Tout système de domination créé des divisions sur le plan matériel et sur le plan économique », enfonçait la théoricienne.
La différence des sexes : une rengaine réactionnaire
Le discours de la différence des sexes n’a rien de nouveau, il faut voir en Dora Moutot ou Marguerite Stern la résurgence du biologisme et de l’idéologie. Le mouvement féministe a été, et est encore, traversé par des « féministes » qui se font les porte-paroles du biologisme, plutôt que de la critique du patriarcat et des rapports de genre.
Marie-Jo Bonnet, qui fait moins parler que Stern et Moutot, cherche elle aussi à imposer cette vision biologisante. Malgré son passage au MLF, puis aux Gouines Rouges (mouvement féministe lesbien), Marie-Jo Bonnet est une de ces porte-paroles.
Dans une tribune au Figaro, cette dernière affirmait au sujet de l’affiche du Planning familial : « On a affaire ici à un détournement de la puissance maternelle des femmes au profit d’une idéologie de l’autodétermination de l’identité de genre ».
Biologisme, transphobie et homophobie
Déjà en 2014, Marie-Jo Bonnet annonçait la couleur. Dans son livre Adieu les rebelles !, elle regrettait l’ouverture au mariage aux couples de même sexe. « Il y a une différence entre le désir d’enfant chez les femmes, qui suppose la grossesse et l’accouchement (…) et le désir de paternité chez les hommes », soutenait-elle.
Plus loin, elle écrivait, au sujet d’une émission de 1996 sur l’histoire LGBT : « La dissymétrie gay-lesbiennes dans l’espace public ne va faire que s’accentuer. Je me souviens d’avoir été la seule femme invitée à l’émission de télévision de Laure Adler “Le Cercle de Minuit” ». Mais Marie-Jo Bonnet n’était pas la seule femme, il y avait aussi la militante et journaliste trans Hélène Hazera sur le plateau !
L’obsession transphobe de Marie-Jo Bonnet
La transphobie de Marie-Jo Bonnet confine à l’obsession. En 2021, elle écrivait, encore pour le Figaro, une tribune contre l’ouverture des compétitions féminines pour les femmes trans.
Malgré ses prises de positions, Marie-Jo Bonnet fait aujourd’hui partie du conseil scientifique « L’Observatoire de la petite sirène ». Une structure qui prétend être un lanceur d’alerte sur les mineurs trans. Cette organisation, en réalité, lutte contre les enfants et adolescents trans et pour le familialisme hétérosexuel. Mediapart a déjà mis en lumière les positions transphobes et réactionnaires de cet observatoire.
Toutes ses interventions n’empêchent pas Bonnet d’être perçue comme une féministe. En 2014, déjà, certains comme le sociologue Antoine Idier dénonçait ses positions profondément réactionnaires. Pour autant, elle avait eu le droit, en mars 2018, à une critique élogieuse de son livre Mon MLF dans Libération. Elle a, par ailleurs, été la première personne invitée pour participer au podcast Le feuilleton des luttes du Collectif Archives LGBTQI+, en février 2020. Enfin, on la retrouve dans une interview « #Toutesféministes » pour France Inter, en mars 2020.
Une panique morale
Le problème ne se résume pas à Marie-Jo Bonnet, Marguerite Stern ou Dora Moutet. Il est structurel. Dans « « Les obsédé·e·s de la race et du sexe » : penser les attaques anti-minoritaires avec Colette Guillaumin », un texte pour AOC, l’intellectuelle Sara Garbagnoli explique que « ces attaques ne sont ni nouvelles, ni surprenantes ».
Selon elle, la rhétorique diabolisant plus largement le concept de genre « est extraordinairement plastique et adaptable ». Il permet « de construire un ennemi unique et épouvantable (“le gender”), de fédérer un très large front de mobilisation contre un tel danger, tout en alimentant une vague de panique autour d’une grave menace “anthropologique” ».
De même, Sara Garbagnoli écrit : « Passer de « la nature » à la « naturalisation », (…) de « sexes » comme données de nature au « sexe » comme catégorie politique (…) passer de l’une à l’autre vision du monde, change le monde ». Et c’est précisément ce que ces « féministes » transphobes échouent à voir, et refusent de voir.
Miguel Shema