SAMEDI. Je suis adepte de la politique de l’autruche. En mai 1968, si j’avais été de De Gaulle, j’aurais commencé à agir en novembre. Cette propension à laisser traîner les choses me joue des tours. Cela fait quelques jours que je ressens des picotements dans la gorge. Le changement de temps, avec cette impression de vivre quatre saisons en une journée, m’a tuée. Les symptômes de la crève s’annonçaient mais j’ai fait comme si tout allait bien. Je me suis dit que mes ennemis avaient fomenté un complot contre moi. Une poupée vaudou à mon effigie et me voilà privée de ma voix, dont je fais un usage important (qui a dit abusif ?).

Comme la malchance me poursuit, cela tombe évidemment au moment le plus inopportun. Non pas que je n’aie pas toujours rêvé d’avoir une voix grave et sensuelle. La voix enrouée de Vito Corleone sied parfaitement à Marlon Brando. « Le Parrain » est certes l’un de mes films préférés mais je ne voulais pas pousser l’hommage à ce point. Sur moi, la voix d’un padrino siciliano ressemble plutôt à celle d’un travesti de 65 ans qui aurait fumé trois paquets par jour pendant 40 ans. Le hic c’est que j’ai absolument besoin de ma voix pour réaliser les passionnantes missions téléphoniques requises par mon nouveau petit job. J’étais tellement désespérée que j’ai failli accepter d’avaler le pire des remèdes de grand-mère à mes yeux: le lait chaud miel-citron. Cette trinité est un suicide alimentaire.

DIMANCHE. J’ai récemment vu un reportage montrant des personnes âgées vulnérables invitées sous un prétexte fallacieux à venir chercher un cadeau « exceptionnel » d’une valeur de cinq euros (tous les fantasmes sont permis). Une fois la proie ferrée, le vendeur à la morale discutable essaie de refourguer de l’argenterie à un prix faramineux à nos gentils petits vieux venus pétris de l’espoir de gagner le gros lot.

Aujourd’hui je suis tombée dans le même piège ou presque. Sauf que l’escroc en question est ma sœur. Elle a potassé le manuel du chantage affectif et connaît mes faiblesses pour me faire venir passer le week-end chez elle. Elle invoque en premier lieu son moral vacillant. Allez refuser de tendre la main après un laïus qui aurait fait pleurer les Thénardier ou Staline ! La technique de l’apitoiement ne suffisait pas. Elle a eu alors recours à la flatterie et évoqué son envie irrépressible de me voir car, pour résumer, je suis la meilleure sœur du monde.

Pas mal, comme je suis faible, j’ai accepté. Voilà comment mon séjour s’est transformé en « Vis ma vie de bagnard ». J’ai eu l’impression d’être transportée dans un kibboutz. Mademoiselle a décidé qu’il était temps de faire ressembler sa cuisine à un bloc chirurgical et que les placards avaient besoin d’être récurés de fond en comble. C’est pas comme si j’avais mieux à faire de mon dimanche.

Ma soeur non seulement m’a un peu exploitée mais a aussi tenté de susciter chez moi un syndrome de Stockholm. Elle m’a expliqué le plus sérieusement du monde qu’elle me rendait service en me permettant de, je cite, « mettre de l’ordre dans ta tête en mettant de l’ordre ici ». Elle n’hésite pas à jouer les psys des magazines de plage. Je trouve quand même du plaisir dans cette tâche ingrate.

Si Jean-Luc Delarue est accro à la cocaïne, moi c’est à l’eau de Javel, la meilleure invention après Internet. J’en mets partout, je suis fascinée par le fait que ça tue, d’après la notice, 99,99% des bactéries. Alors que je commettais mon génocide bactérien en toute impunité, j’ai commis une erreur de débutante. J’ai joué à la petite chimiste en mélangeant de l’eau de javel avec feu Monsieur Propre, qui a demandé une retraite anticipée après ce vaste chantier. Le Docteur Frankenstein tapi en moi a poussé le bouchon de lessive un peu trop loin, car le mélange des deux est toxique. Et m’a flingué les narines.

Le résultat est là, je n’ai plus d’odorat, plus de goût et la toux silicosée de mineur à la Etienne Lantier. Je me trouve héroïque de vivre cette privation sensorielle sans me plaindre (ou presque). En même temps, quand je lis dans les journaux qu’un homme sans bras ni jambes parvient à traverser la Manche à la nage je me dis qu’à côté je fais pâle figure.

LUNDI. La France a peur volume 35. On connaît tous la théorie de l’écran de fumée, toujours parfaite pour dissimuler la batterie de cuisine que traîne l’UMP. La fumée en question, il faut le croire, émane d’une bombe. Le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, qui n’a dans le nez ni cocaïne ni eau de javel, mais les Auvergnats, plus précisément ceux d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique, dit l’AQMI qui ne nous veut pas du bien, a décidé de nous faire légèrement trembloter.

C’est officiel, le risque d’attentat sur le sol français est élevé, proche de l’« écarlate ». Branle-bas de combat, il se peut que nous mourions tous dans d’atroces souffrances. Cela me rappelle vaguement quelque chose. L’année dernière à la même époque, on allait tous mourir de la grippe A. J’oubliais qu’il y a une tendance, même pour les morts collectives. La collection automne 2009, c’était l’épidémie. Pour l’automne 2010, on ressort les valeurs sûres, la « mortal week » des attentats de l’été 1995. Bizarrement cela ne me donne guère envie de suivre la mode.

MARDI. Grand jour, j’ai décidé de devenir une adulte responsable. C’est digne de la transfiguration. J’ai d’abord honoré un rendez-vous à la banque. Et pour preuve de ma bonne foi, je suis même arrivée à l’heure. J’aurais mieux fait pour être couleur locale d’arriver en retard et de mettre mes pieds sur le bureau, parce que la conseillère a décidé de prolonger les vacances et m’accueille lunettes de soleil sur le front. Pas n’importe quelles lunettes. Les mêmes que notre cher président.

J’ai envie de lui faire remarquer qu’il s’agit d’une précaution inutile, n’étant pas sûre que le néon de son bureau ou le soleil de 19 heures agressent les yeux à ce point. Si je ne ressemblais pas à rien et que j’étais totalement imbue de moi-même j’aurais pu penser que c’est ma beauté et mon intelligence qui l’ont éblouies. Peut-être s’agit-il d’un message politique et qu’elle affiche son soutien à l’UMP. Les Ray Ban ou le signe de ralliement des derniers supporters de Nicolas Sarkozy.

Je n’ai fait aucune de ces remarques. Je ne suis pas kamikaze, je ne souhaitais pas me retrouver avec un crédit, une assurance obsèques made in Bernard Maddoff, avec des taux d’intérêt mirifiques et une faillite à la Lehman Brothers à la clé. Alors que je m’étais préparée comme si j’avais une audience avec le parrain himself, j’ai un peu déchanté. J’avais même retrouvé ma voix, c’est dire.

La conseillère m’a expliqué qu’elle ne pouvait rien pour moi et qu’il fallait que je me renseigne sur Internet. Même son ordinateur m’a trahi et lui a interdit d’effectuer la moindre simulation. Lorsqu’elle m’a parlé de taux d’intérêt j’ai fait semblant de savoir compter les pourcentages. Mais je crois que même elle, elle ne savait pas vraiment de quoi on parlait. Mes questions sont restées sans réponse, et mieux, elle m’a invitée à aller voir la concurrence. Ce que ne sait pas ma conseillère désinvolte ou détendue selon le point de vue qu’on adopte, c’est qu’elle vient de déboulonner une idole, ma sœur. Je ne la croirai plus, elle qui fait sensiblement le même métier et évoque la lourde charge de travail qui lui incombe. La prochaine fois, c’est juré, je ne l’aide pas à ranger la vaisselle même si elle argue de sa fatigue aigüe.

MERCREDI. Comment avoir une vie sociale lorsqu’on a des heures de travail élastiques, soumises au Code du travail sino-pakistanais ? Je ne suis pas une couche-tôt mais j’ai quelques scrupules à proposer à mes amis de les voir à 21h30. Mais comme je suis vernie, un ami a accepté un rendez-vous dans une ruelle sombre à la nuit tombée. Je fais ma grande mais en réalité mon rapport à la nuit est un mélange d’attraction-répulsion. Je suis persuadée que dans mon quartier il y a des loups-garous ou une permission de sortie spéciale accordée aux gens particuliers, dirons-nous.

Alors que je l’attends, un homme qui titube et qui semble avoir consommé des substances réprouvées par la loi, me précise qu’il n’est pas « toxico » et me réclame de l’argent, un ticket restaurant ou les deux je ne sais plus. Si lui n’est pas toxico, moi je suis Carla Bruni Sarkozy. Après l’avoir gentiment rembarré, j’ai droit à des entreprises de drague éculée. Je survis. La soirée se déroule agréablement (avec mon rendez-vous, pas avec l’inconnu). Ma voix retrouvée, je bavarde et le tiens au courant des derniers développements de ma vie merveilleuse. Et vice et versa. Ce qui nous amène à nous quitter à 1h30 du matin. Je fais ma grande : « Non, non c’est bon, ne t’inquiète pas, je vais rentrer seule, ne t’embête pas à me raccompagner, je n’habite pas dans le Bronx quand même. » J’aime bien entretenir la légende de « la fille qui n’a besoin de personne en (pas de) Harley Davidson ».

La fille qui rentre tard le soir se doit d’être paranoïaque, instinct de survie oblige. Il suffit que quelqu’un, même s’il est tout à fait recommandable, soit dans la rue en train de sortir son chien pour qu’il devienne suspect. A chaque rencontre, j’imagine l’article qui me sera consacré dans les pages « Faits divers » du Parisien avec ce titre : « Une femme tuée par l’homme au chien, le plus grand psychopathe depuis Jack l’Eventreur »

Il y a les filles qui, pour se donner une contenance face au tueur potentiel, gardent leur iPod sur les oreilles. J’opte pour une autre technique. Celle de la bonne âme qui accepte de me tenir compagnie au téléphone. Mieux qu’un bouclier magique. Le problème est qu’à cette heure-ci, il se pourrait que les gens dorment. Heureusement, j’ai une merveilleuse amie qui ne dort pas et se dévoue. Je suis vernie ce soir puisque la batterie de mon téléphone provisoire a tendance à lâcher facilement (le précédent téléphone est décédé, il était devenu un hommage permanent à « Carré blanc sur fond blanc » de Malévitch). Mais là, ô miracle, elle a tenu jusqu’à ce que j’arrive chez moi. Entière.

JEUDI. La vie est faite d’anticipations diverses. J’aimerais vivre ma vie avant de l’avoir vécue. Et savoir où je serai dans cinq ans par exemple. C’est un comportement typiquement français. On aime bien, par exemple, parler de films qu’on a pas encore vus comme « Hors la loi », d’élections qui n’ont pas eu encore lieu, au hasard celles de 2012, de la défaite annoncée des Bleus à l’Eurofoot, de polémiques avant qu’elles n’enflent, de remaniement avant qu’il n’ait eu lieu. Bientôt l’Elysée, pour renflouer les caisses de l’Etat, va lancer un service de paris en ligne. Comme pour les courses de lévriers afghans, on pourra miser sur le futur premier ministre.

VENDREDI. Parfois un bonheur inattendu surgit dans ce monde de brutes. Nous n’avons pas parlé de l’événement pipolo-politique de la semaine. Le mariage d’Eric Besson avec sa jeune compagne. Pas de commentaires sur la différence d’âge, j’ai une certaine tolérance sur ce point. Il se murmure ici ou là que Bernard Kouchner aurait failli jeter du riz aux jeunes époux après la cérémonie. Le Parti socialiste, dans sa grandeur d’âme, aurait fait parvenir au vieux jeune marié une magnifique veste réversible et un CD de Jacques Dutronc « l’Opportuniste ». Pour couronner le tout, à ces gentils cadeaux dénués de tout sous-entendu, ils ont ajouté un week-end romantique dans une belle roulotte. Brice Hortefeux a envoyé une carte de félicitations et Eric Besson jure ne pas être au courant de son existence.

Liliane Bettencourt, elle, fait profil bas, et n’a pas proposé au couple de passer sa lune de miel sur son île d’Arros qui, il faut bien le dire, est un vrai boulet. Cette bulle de bonheur a été honteusement crevée par la presse qui accuse le ministre d’avoir fait financer un voyage de noces à Naples par l’Etat. Evidemment le ministre a démenti. Moi-même j’ai hésité à lui envoyer un cadeau mais le temps que je m’en occupe, il aurait déjà divorcé. Je vais peut-être lui faire livrer un bidon de cinq litres d’eau de javel. Ça blanchit tout ce qu’il y a à blanchir. Y compris les réputations.

Faïza Zerouala

Faïza Zerouala

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