SAMEDI. Tout arrive. Même les choses les plus improbables. Je me suis fiancée aujourd’hui. Moi mariée, vu l’amour que je porte à cette institution, c’est comme voir un végétarien dévorer un Big Mac. J’avais juré ne jamais me marier, même si un homme me promettait de m’emmener au septième ciel de la quatrième dimension. J’ai visiblement reconsidéré mes principes. Certes mon union est un peu soudaine, limite hollywoodienne, puisqu’il y a quelques semaines je ne le connaissais même pas. Je vais devoir alimenter les clichés concernant la banlieue puisqu’il s’agit bel et bien d’un mariage forcé, de surcroît avec un polygame. Il souhaite bien entendu conserver l’anonymat, non pas que m’épouser ne soit pas le rêve de tout homme normalement constitué, mais il se pourrait que sa petite amie soit jalouse.

La blague a assez duré, il s’agissait en réalité de « vis ma vie de couple qui va se marier et qui essaie d’avoir des infos lors de l’improbable salon du mariage oriental pour écrire un article ». J’ai dû dire que je rêvais d’un mariage de princesse bling-bling avec du doré partout, des paillettes qui rendent aveugles, des tenues à faire passer les costumes de scène de Michael Jackson ou de Dalida pour des vêtements de veuve portugaise. A la rigueur le seul intérêt du mariage c’est la bague. Mon annulaire désespérément nu ne dirait pas non à l’arrivée d’une jolie bague trois anneaux de chez Tiercar ( je suis bilingue français-verlan et je ne fais pas de pub).

Ma mère, elle, a secrètement espéré que cette escapade au temple du kitsch me convainque de convoler, moi aussi, au pays des mille et une nuits. C’est le principe du vaccin, il suffit d’inoculer le virus en petite quantité pour immuniser le patient contre la maladie. Comme on a bien prévu le coup avec mon mari temporaire, on a tenu une réunion aussi secrète que la conférence de Yalta, avec un ton de complot pour inventer une version crédible. On a donc trouvé une salle à un prix qui ne défie pas toute concurrence, chez un prestataire passé du mariage casher au mariage halal. Soyons fous, faisons de notre mariage un symbole d’union entre les peuples, que l’amour serve de ciment à l’amitié entre deux cultures déchirées par la guerre. Après tout le mariage en lui-même est déjà improbable.

Trêve de lyrisme, le Prix Nobel de la paix ce sera pour plus tard. Nous sommes donc revenus à des considérations plus terre à terre, à savoir comment en mettre plein la vue à nos deux cent cinquante invités fictifs. Gagnés par la fièvre de l’investigation, éblouis et étourdis par les tenues scintillantes, nous avons décidé de flamber  n’est-ce pas le but?). Moi j’aurais bien aimé une tente bédouine mais le mariage thématique «Kadhafi» c’est moyen. Il aurait fallu que le marié porte un costume blanc et le cheveu dégoulinant de gomina. Nous avons opté pour une autre voie. Quoi de mieux pour une entrée en fanfare qu’un chameau?

Ledit chameau a fait le déplacement jusqu’au salon, rien ne vaut la publicité vivante, histoire de titiller l’âme d’enfant tapie au fond de chacun de nous. C’est décidé je veux un chameau. Arriver à la mairie en chameau, ça fait certes blédard mal intégré mais c’est plus original qu’une Rolls. Les mauvaises langues diront que si je désire un chameau si ardemment, je n’ai qu’à négocier au bled un mariage moyennant quelques camélidés. Alors que nous finalisions les derniers détails, l’article est annulé. Drame. Même pas mariée et déjà divorcée en moins de deux heures. J’ai gagné, je suis plus forte que Britney Spears.

DIMANCHE. Le concept même de l’anniversaire c’est sa récurrence. Moi personnellement ça me met la pression. Comment le souhaiter de manière originale, pas trop impersonnelle? Sur Facebook certains n’hésitent pas à faire leur coming-out orthographique et avouer qu’ils ont assassiné le Bescherelle en écrivant fièrement « Bonne anniversaire ». Le plus difficile dans l’histoire, c’est de dénicher LE cadeau qui fait mouche. Livres, CD, bijoux, cravates. Tellement commun, que c’est à se pendre. Avec ladite cravate, tant qu’à faire.

Un appel de ma sœur, c’est toujours la promesse de mille merveilles. Même le Salon du mariage oriental à côté vend moins de rêve, c’est dire. Elle me propose une mission digne de James Bond aujourd’hui. Aller à la chasse à la tortue pour en offrir une à un ami qu’on aime beaucoup. C’est lui, que j’appellerai pour m’aider à cacher un cadavre à deux heures du matin. C’est bientôt son anniversaire, et c’est le genre de personne énervante qui ont tout et ne désirent rien. Pour le contenter il faudrait lui offrir un voyage dans l’espace. Alors quand en digne ami des bêtes, il a claironné qu’il voulait absolument s’acheter une belle tortue nous avons sauté sur l’occasion. Il faut savoir qu’une tortue, contrairement à ce qu’ont pu nous raconter « les Tortues Ninja » cela ne se trouve pas dans les égouts.

Direction une animalerie classique. On trouve de tout, des chiens, des chats, des rats, des poissons qui ont la taille d’un chas d’ aiguille, qui plus est vendus à prix d’or. On peut même acheter des crevettes translucides minuscules qui vous dégouteraient presque de celles qui sont roses et excellentes. L’animalerie c’est bien sympathique mais bon voir des gens s’extasier devant des chiens contorsionnistes qui vivent dans un espace liliputien, il y a plus réjouissant comme spectacle. Nous nous replions vers le quartier qui concentre le plus grand nombre d’animaleries, mathématiquement nous avons plus de chances de tomber sur le Saint Graal. Dans l’une d’elles, un homme est même venu avec son propre chien. Je pense qu’il s’agissait d’une sortie prophylactique. Montrer au chien qu’il y a plus malheureux que lui, un peu comme si l’on trainait un enfant en Afrique pour qu’il voit ces fameux « enfants-qui-meurent-de-faim-alors-mange-tes-brocolis ».

Après une heure de prospection nous trouvons entre des pythons, des tritons, des tortues direct from Africa or Asia. Quand le vendeur, passionné nous a parlé du régime alimentaire de la tortue (une carnivore), de la lampe nécessaire pour qu’elle survive, de la taille nécessaire pour le terrarium  (l’équivalent d’un cours de tennis au prorata de sa taille) nous avons abdiqué. C’est limite s’il ne faut pas vérifier toutes les heures que la température convienne à la tortue. Et stop Monsieur, on ne veut pas que notre ami se suicide, parce que là c’est un cadeau empoisonné. Il n’aura qu’à aller au zoo voir les tortues. Comme on n’offre pas la tortue, on offre un appareil photo. On n’a pas poussé le vice jusqu’à offrir une tortue en photo. C’est comme si on m’offrait une photo de la bague dont je rêve. Plus frustrant, tu meurs. Ceux qui pensent que l’islamisation de la France galope vont faire une jaunisse. A Paris, il est plus facile de trouver un chameau qu’une tortue.

LUNDI. L’Abbé Pierre doit être pris de spasmes violents dans sa tombe, on ne respecte plus rien. Pas même la trêve hivernale. Le grand nettoyage de printemps est fini dans les ministères, le nom des membres du gouvernement Fillon III (ça fait un peu royauté cette affaire de numéro) est connu. Conclusion : on n’hésite pas à expulser les plus vulnérables. La France de Nicolas Sarkozy glorifie la précarité c’est officiel. Fadela Amara, Rama Yade, Eric Woerth, Hervé Morin sont jetés à la rue et vont devoir se recycler. Pour Jean-Louis Borloo, en tant qu’écologiste dorénavant chevronné, ça devrait être facile. Pour les autres, Pôle emploi leur tend les bras. Conseil à Eric Woerth, éviter de postuler chez L’Oréal.

Aujourd’hui, ont lieu les passations de pouvoir. Adieu privilèges. Cela doit être étrange de rentrer chez soi en métro après avoir goûté à la vie de rêve. La plus grosse difficulté, après avoir fait des cartons toute la nuit reste de résister pour ne pas faire un croche-pied à son successeur, caméras obligent. Le discours masochiste est de mise: « Je remercie l’excellent président Sarkozy de m’avoir permis de servir la Nation et d’avoir révolutionné la face du monde par ma merveilleuse réforme x ou y . Je souhaite le même plaisir à mon successeur qui au vu de ses qualités évidentes saura être à la hauteur de la passionnante mission qui lui incombe ». Pinocchio a fait des émules. Il est bien entendu qu’il faut remiser au placard, son syndrome Gilles de la Tourette et éviter les insultes. Je regrette juste que le VGE style ne soit plus en vogue. Parce qu’un « au revoir », ça a de la gueule…

MARDI. Cette semaine, c’est politique matin, midi et soir. Pour ceux qui n’ont pas fait une overdose, il y avait à la télé le même programme sur plusieurs chaînes. L’interview de Nicolas Sarkozy. Eh oui, Nicolas il est trop fort, il a le don d’ubiquité. Moi je l’ai loupé, j’avais plus important à faire. Entretenir ma vie sociale. Puis rentrer pour le dîner familial de l’Aïd. Tout fout le camp. La famille a globalement décidé unilatéralement sans me prévenir de ne pas faire acte de présence. Peut-être qu’elle préférait regarder Nicolas Sarkozy. Et dire que je me faisais une joie de déguster un bon couscous au mouton.

Il faut dire que ce dernier point me pose chaque année un problème de conscience. Un vieux souvenir de fête de l’Aïd dans mon enfance chez mes grands-parents en Algérie. Le mouton avait été acheté une semaine à l’avance et laissé dans le jardin. Moi en tant que fille de la ville, j’étais contente d’avoir un nouvel ami. Je lui avais trouvé un prénom, il était gentil, il ne protestait presque pas quand on faisait du rodéo sur son dos. Je sais c’est un peu cruel, les Brigitte Bardot en puissance vont me jeter des pierres. Mais le plus dramatique, c’est qu’un jour il s’est volatilisé. Jacques Pradel est sur le coup. Comme par hasard, le jour même, et les jours suivants nous avons eu une inflation dans notre consommation de mouton. Coïncidence? Je ne crois pas. J’aime à penser qu’il s’est enfuit et qu’il gambade dans les prés du paradis des animaux. Parce que bon, je ne suis pas prête à renoncer au mouton et me dis que chaque dégustation est un hommage à mon ami éphémère.

MERCREDI. Vague annoncée de suicides chez les incorrigibles romantiques. Une nouvelle ébranle la planète people : Eva Longoria et Tony Parker ont décidé de me copier, ils divorcent. Ils avaient pourtant fait un joli  mariage bling-bling. Je n’avais pas pu m’y rendre, ils l’ont beaucoup regretté mon absence, j’en suis sûre, donc je ne sais pas s’il y avait un chameau… Donc ils divorcent, certes pas au bout d’une heure comme moi, mais au bout de sept ans de relation et trois ans de mariage. L’amour dure trois ans avait écrit l’autre.

Touché par le syndrome Ribéry, je vous rassure Zahia n’est pas impliquée, le basketteur se serait égaré dans les jupes de la femme de l’un de ses anciens coéquipiers. Du beau soap comme on l’aime, surtout quand on sait qu’Eva Longoria a débuté dans « les Feux de l’amour ». Eva doit être dépitée que Tony ait décidé d’alimenter les idées reçues sur les Français lovers. On ne va pas pleurer et puis c’était couru d’avance, l’amour n’existe pas selon la théorie que j’ai développée mais que je ne peux pas rendre publique. C’est un terrain sensible, encore plus que le nom de l’assassin de Kennedy, de quoi faire péter la République du mariage. Je ne voudrais pas être menacée d’une fatwa par tout les organisateurs de mariage de la terre…

La première réflexion qui me vient à l’esprit c’est que si Eva Longoria porte des cornes, il n’y a plus d’espoir pour les filles lambda comme moi, qui sont moches au réveil. Le plus drôle dans l’histoire c’est le message de rupture qui confirme les bruissements médiatiques « C’est avec une grande tristesse qu’après sept ans passés ensemble, Tony et moi avons décidé de divorcer. Nous nous aimons profondément et prions pour que chacun soit heureux ». Soit Eva elle n’est vraiment pas comme tout le monde et le matin quand elle se réveille, comme dans les séries, elle est coiffée et impeccablement maquillée, soit elle nous prend pour des idiots. Il est évident qu’elle ne l’aime pas vraiment et la seule chose qu’elle voudrait faire c’est enfoncer profondément les orbites de Tony pour lui crever les yeux. Elle doit prier aussi qu’il meurt dans d’atroces souffrances et imagine déjà comment le saigner à blanc, comme un mouton de l’Aïd, lors du divorce. Récupérer un chèque avec pleins de zéros, c’est peut-être sa manière d’être heureuse.

JEUDI. C’est la semaine du cliché, après le mariage forcé avec un polygame, aujourd’hui j’ai participé à une tournante. Au ping-pong, bien sûr. A l’école, nous possédons une merveilleuse table de ping-pong, squattée en majorité par les porteurs du chromosome Y. Le ping-pong, c’est un art noble, prisé par les esprits les plus fins. Moi je connais même le Roger Federer du ping-pong, c’est dire si ce sport est coté. Je voudrais juste rappeler, sans perfidie aucune, que Forrest Gump, pas vraiment connu pour son esprit de flèche, était champion de ce sport…

Peu importe, j’ai décidé d’insuffler un vent de mixité et de participer au jeu en cours. Le plus gros effort, je l’ai fait sur ma nature qui m’interdit de pratiquer le moindre effort physique. Il faut dire aussi que je n’ai pas touché une raquette depuis la 3ème et que j’ai une interprétation disons subjective des règles de jeu du ping-pong. L’anarchiste que je suis a fait une vague tentative de rentrer dans le moule.

Vague la tentative. Mes camarades ont déployé des trésors de patience pour m’expliquer qu’il fallait éventuellement viser la table pour espérer ne pas perdre à chaque fois. Moi j’aimais bien ma règle qui stipule que tu peux renvoyer la balle très fort comme au tennis. Mais j’ai affaire à des psychorigides de la balle blanche. Autre chose, il faut courir autour de la table pour espérer la réceptionner. Non pas que je sois de mauvaise volonté mais techniquement je ne pouvais pas. La faute aux talons que je portais. Oui je suis comme ça, j’aime bien me lancer des défis, me mettre des handicaps. Ce n’est pas comme si je n’étais pas une surdouée en sport. J’ai promis de prouver que mes mauvaises performances n’étaient dues qu’au vent qui soufflait très fort et à mes chaussures non conformes.

Je perds tout le temps mais mes camarades, grands seigneurs m’offrent des vies pour éviter que je ne fasse que des apparitions éclair dans le jeu. Un peu énervée de perdre, comble de l’injustice, je ne bénéficie même pas de la chance du débutant. Finalement, je décide de prendre ma retraite anticipée, j’ai fait mon jubilé. Je compte tout de même la jouer comme Zidane et participer à des matchs d’exhibition caritatifs. Même si en l’occurrence, celle qui fait le plus pitié c’est moi.

VENDREDI. Depuis aujourd’hui, Facebook est considéré comme un espace public. On ne peut plus faire n’importe quoi. Ni porter le voile intégral sur sa photo de profil ou même poser en tenue de Zahia et faire du racolage actif, qui comme chacun sait sont des délits punis par la loi. Moi j’aimerais bien aussi que la loi prévoie un délit de bonheur ostensible. Cela permettrait de faire un peu d’épuration parmi les amis Facebook qui ont une vie merveilleuse et qui placardent à tout-va des photos dégoulinantes de guimauve. Quoique je suis sûre qu’Eva Longoria et Tony Parker avaient posté des photos de leur amour insubmersible (mauvais adjectif, le Titanic était réputé l’être, donc il se peut que ce soit une arnaque).

Le pire c’est que maintenant on peut se faire licencier pour des propos tenus sur Facebook. Trois salariés s’étaient auto-proclamés « le club des néfastes » parce que la direction avait pointé leur manque de discipline. Ouahou les rebelles, qu’on leur coupe la tête… Ils ont été dénoncés par une collègue zélée. L’œil de Moscou est partout, faisons attention. L’histoire ne dit pas si Rama Yade ou Eric Woerth ont fait les frais de leur utilisation du site et avaient insulté leur patron.

Faïza Zerouala

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