Le documentaire fait déjà beaucoup parler de lui, l’info est relayée dans les médias et va continuer à alimenter le débat sur la téléréalité. Car c’est une des premières enquêtes sur ce phénomène. Mais c’est surtout un excellent documentaire signé Grégory Héraud, journaliste de Flab Presse (qui produit plusieurs émissions notamment pour Canal Plus). Depuis plus de dix ans, ce nouveau phénomène audiovisuel a complètement bouleversé notre regard de téléspectateur et toute l’économie des chaînes. Plus de 5 000 « concepts » différents ont déjà été diffusés : émissions d’enfermement (Loft  Story, Secret Story), d’aventures (Koh Lanta), de rencontres, ou programmes trashes. Les producteurs rivalisent d’imagination pour trouver les idées qui séduiront les téléspectateurs, et particulièrement les jeunes très friands de cette nouvelle forme de télévision. Car la cible principale de ces jeux de téléréalité, ce sont les jeunes. Sarah, Souleymane et Mary ont entre 14 et 16 ans. Ils côtoient tous le même service jeunesse pendant les vacances. « C’est terrible la téléréalité, ça nous fait passer le temps et en se tapant des barres de rires » déclare Souleymane. Sarah va jusqu’à dire que ça lui donne envie de participer à ce genre d’émissions : « Ils deviennent tous des stars vite, ils sont bien habillés et tout puis ils sont payés à foutre la merde dans une maison. » Ils sont beaucoup à penser comme ces jeunes, et à épuiser leurs crédits de communication avec des SMS surtaxés pour supporter leurs favoris en votant pour eux.  » Ah ouais c’est trop terrible ce genre d’émissions, chaque année on a la partie musicale avec The Voice et tout , puis les barres de rires avec Secret Story, moi ce que je kiffe c’est quand ils s’embrouillent et tout puis quand y a des relations qui se lient  » .

On peut donc se poser la question du danger de la téléréalité aussi bien pour ceux qui la regardent que pour ceux qui y participent. Le documentaire en fait son enquête. La plupart des acteurs de ce documentaire ont accepté de témoigner et de raconter de l’intérieur leur expérience. En France, Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1, et Thomas Valentin, vice-président de M6, évoquent la partie de poker menteur à laquelle ils se sont livrés au moment du lancement du Loft en 2001. Chaque camp se renvoi la balle, et accuse l’autre d’être responsable de l’arrivée de la téléréalité en France. En effet, la France a été un des derniers pays à faire de la téléréalité. Personne n’osait et finalement quand M6 brise le tabou en diffusant en 2001 lLoft Story, tout le monde crie au scandale, y compris les patrons de TF1 ( grand concurrent de la petite chaîne). Patrick Lelay s’était d’ailleurs exprimé sur le sujet à l’époque dans une tribune dans Le Monde, pour dénoncer l’arrivée de la téléréalité en France. Alors que dans le plus grand ses secrets, la première chaîne prépare sa revanche en signant un contrat d’exclusivité avec Endemol, le producteur de Loft Story.  Il s’en explique dans ce documentaire. Axel Duroux, ancien vice-président d’Endemol France, Xavier Couture, ancien directeur de l’antenne de TF1, et Guillaume de Vergès, ancien directeur des programmes, s’expriment également sur ce sujet . Tout commence à l’étranger, Charlie Parsons, inventeur de Koh-Lanta, Paul Römer, co-créateur de Big Brother, et Gary Carter, à l’origine du succès commercial de ces deux émissions, révèlent comment ils ont conçu et lancé ces programmes. On apprend que le concept a été crée bien des années avant l’arrivée de Loft Story en 2011 en France. En France, on n’aime pas la téléréalité mais on en fait car ça rapporte des sous, mais aucune des productions n’ouvre ses portes aux caméras de télévision pour filmer les coulisses et la production de ce genre d’émissions. Pour découvrir les coulisses de la téléréalité, le réalisateur de ce documentaire a du aller en Espagne. C’est la séquence la plus extraordinaire, Grégory Héraud à réussi à filmer les coulisses de Gran Hermano le Big Brother espagnol qui en était à sa 13e saison en février dernier, en filmant tout les coulisses du concept, les cadreurs et la régie du jeu espagnol en pleine action. Le téléspectateur a, comme le dit la voix de Grégory Héraud, « l’impression d’être dans un zoo humain » à observer 24/24h les candidats. L’objectif y est clair : il faut créer du conflit entre les candidats, c’est ce qu’attend le public.

On peut également découvrir les coulisses d’un télé crochet musical au Maroc, l’équivalent de la Nouvelle Star en France. Grégory Héraud a suivi les sélections et rencontré des candidats. Le jury assume sans complexe la cruauté dont on fait preuve à l’égard des candidats dans ce genre d’émissions. Là-bas, on considère les participants comme du bétail en évoquant le terme d’abattage qui signifie pour eux sélectionner les meilleurs ou le pire ( pour nourrir le bêtisier).

Gloire instantanée mais éphémère, certains ont du mal à s’en remettre. On dénombre aujourd’hui dix-huit suicides d’ex-candidats dont trois ces douze derniers mois. Cela contribue à l’image toujours sulfureuse de la téléréalité : « télé poubelle » pour les uns, simple miroir de notre société pour les autres, comme le montre le témoignage des jeunes que j’ai pu rencontrer.

Ce nouveau numéro de Spécial Investigation frappe par la richesse de ses archives , des témoignages rares et exclusifs, il  nous donne une analyse commerciale sur les différents succès que ces programmes de téléréalité ont pu générer pour leurs producteurs. C’est une machine à ramener du fric, d’où les nombreuses émissions qui ne cessent d’être créées chaque années. Grégory Héraud, a aussi interviewé la mère de François-Xavier, candidat de Secret Story et Carré Viiip qui a mis fins à ses jours en août 2011 en se jetant sous les roues d’une voiture. Marielle Leuridan, qui a décidé de porter plainte contre Endemol, a ainsi confié au journaliste l’enfer qu’a traversé son fils : « C’était un garçon sensible, il a eu des souffrances familiales, des soucis avec son père. À sa sortie de Secret Story, il était nerveux, il avait changé, il était devenu agressif, buvait et se droguait beaucoup… » Avant d’ajouter qu’il a  fait une grave dépression après l’arrêt brutal de Carré Viiip, émission diffusée elle aussi sur TF1. Selon l’enquête, le jeune homme aurait effectué un séjour de deux semaines au CHU de Nantes dans une unité réservée à des jeunes en crise, notamment suicidaires, avant de participer à Secret Story. La maison de production aurait été parfaitement au courant de sa fragilité psychologique mais aurait tout de même retenu sa candidature. Ce film cinglant témoigne surtout d’une hypocrisie française, celle de producteurs et de diffuseurs qui ont opté pour la télé-poubelle depuis plus d’une décennie sans encore oser en prononcer le nom. Pour eux, Loft Story est différent de Big Brother, alors que c’est exactement la même chose.

Pourtant, des psychologues voient les candidats pour tenter de déceler d’éventuels problèmes incompatibles avec une participation à une émission d’enfermement . Ces entretiens d’une trentaine de minutes semblent loin d’être suffisants pour détecter ceux qui risquent de se remettre difficilement d’un passage à la télévision. En attendant, TF1 à déjà annoncé qu’une saison 7 de Secret Story aura lieu, le casting est même déjà ouvert, et de nombreuses personnes osent encore vouloir y participer.

Mohamed Mezerai

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