A 27 ans, l’actuel secrétaire du Mouvement jeunes communistes de France a les pieds sur terre. Si la politique est un sport de combat, ce n’est pas un métier, en attendant il dirige une organisation qui revendique plus de 15 000 inscrits.

S’il y avait un look type du jeune engagé, Nordine Idir l’aurait certainement : 27 ans, barbe de 3 jours, jean et pull. S’il était encore à l’université, il serait en train de distribuer des tracts à l’entrée. Issu du « milieu populaire », il a grandi en Seine-Saint-Denis et dans le Val d’Oise, avec un papa arrivé en France en 1961 qui a alterné entre le travail d’ouvrier, quelques boulots dans les usines, le chômage puis taxi, et une maman femme au foyer, « ce qui est reste un boulot même si ça n’en a pas la reconnaissance ».

Titulaire d’un master de Sciences politiques à l’Université Paris 8, il est maintenant permanent politique au secrétariat des Jeunes communistes. Engagé, il l’est, mais il n’en reste pas moins un jeune comme les autres. « J’aime bien le foot, voyager et découvrir de nouvelles cultures et sinon sur la musique, j’ai finalement pas des goûts originaux par rapport à plein de jeunes ». Il est plutôt réservé sur ses ambitions : « j’aimerais que mon organisation se renforce et se popularise, mais après si vous parlez de carrière politique ce n’est pas vraiment ce qui me branche », dit-il en souriant. « Vu les incertitudes qu’il existe dans le monde du travail, j’ai des idées, mais je n’ai pas encore tranché pour le moment. Journaliste, par exemple, ou le travail dans le domaine associatif. Il y a toujours cette dimension de l’engagement qui reste. Mais aussi, pourquoi pas, reprendre un cursus à l’université et faire de la recherche, une fois que j’aurais quitté mes responsabilités. »

Quand a débuté votre engagement ?

J’ai commencé vraiment quand j’étais à l’université. Entre 2005 et 2006, deux années fortes, entre la bataille contre le traité européen et une séquence politique avec les émeutes des quartiers populaires. C’est à partir du Contrat première embauche, CPE, que j’ai pris ma carte. Je me sentais plutôt de gauche et j’étais sensible à ces idées. J’ai toujours un peu eu cette conscience-là, après je me suis renseigné sur ce qui pouvait exister en politique, ce qui a pu faire la balance c’est d’avoir rencontré des militants communistes. Sur ma fac, il y avait surtout les jeunesses communistes. Je me sentais déjà proche des communistes, j’ai pu grandir dans une ville dirigée par des communistes, j’ai vu des militants, des élus qui ont eu des pratiques différentes aux autres partis. En prenant la question européenne et celles des banlieues, j’ai trouvé leur analyse plus fine.

La famille a-t-elle joué un rôle dans cet engagement ?

Oui un peu. Je ne viens pas d’une famille engagée, mais plutôt à gauche, il n’y avait pas de débat à chaque repas. Ce qui a beaucoup joué c’est la fac dans laquelle j’ai étudié, Paris VIII. Elle a une histoire particulière, crée après les mouvements sociaux de 68, avec un bouillonnement associatif à l’intérieur, c’est surtout là que j’ai pu découvrir des choses.

C’est un engagement qui prend de la place dans le reste de votre vie ?

Oui, évidemment. J’ai donné de mon temps à mon engagement, à mon organisation. Mais je pense qu’elle a pu me le rendre. Le fait que l’on fasse adhérer de nombreux jeunes, qu’on gagne des batailles localement, le terme est peut-être maladroit, mais c’est un peu une forme de récompense de voir que l’engagement n’est pas vain.

La politique est-elle un métier ?

Non pas du tout ! Les gens qui peuvent en vivre dans notre mouvement sont minoritaires. Après il ne faut pas se cacher, nous vivons dans un monde où la politique est considérée comme un métier, elle l’est d’autant plus, car pour en faire il faut du temps et des moyens. A l’Assemblée Nationale, ce sont les plus aisés qui peuvent se permettre de dégager du temps. Mais notre vocation est de dire que la politique n’est pas un métier, qu’elle doit impliquer tout le monde, qu’elle doit concerner le plus grand nombre et que chacun doit être en capacité de s’exprimer. Cela commence par s’impliquer et avoir la parole dans tous les lieux de vie.

Vous avez des références ?

Non, pas vraiment, non [rires]. Je sais qu’il y a plein de courants, c’est ce qui fait la richesse du mouvement communiste. Je ne me suis jamais réclamé d’une référence en particulier. Je pense qu’à une époque où l’on peut être catalogué sur plein de choses, on doit sortir des idées de références et il ne faut jamais fermer la porte et les yeux sur le passé. Mais ce n’est pas ce qui fait l’engagement, ce qui fait basculer. C’est sûr, il y a des références marquantes sur lesquelles il faut s’appuyer. Il y a quelques personnages pas très connus, comme Thomas Sankara, qui me parle beaucoup, mais je ne m’y identifie pas forcément.

Quand on vous dit que les communistes sont associés au passé, qu’est-ce que vous répondez ?

Quand on dit que nos idées sont dépassées, je pense qu’on essaye de nous ringardiser. À l’échelle des siècles, c’est un mouvement relativement récent, si on veut aller sur ce terrain là, il est plus récent que certains autres grands mouvements politiques en France. Il faut effectivement qu’on pense à casser cette image. Il y a des grands personnages dans l’histoire du mouvement qui ont existé, mais ce n’est pas cela qui fait le communisme. Ils ont été soutenus par des mouvements populaires, avec des idées fortes, partagées par beaucoup. Ce que veulent entendre les gens et plus particulièrement les jeunes aujourd’hui, c’est leur futur. Comment vont-ils pouvoir trouver un travail, se loger… Nous essayons d’aller sur ces questions d’avenir, avec des réponses concrètes sur le quotidien des jeunes. On peut parler d’histoire, cela ne me dérange pas, mais je ne pense pas que c’est ce qu’attendent les jeunes.

Quelle est votre position vis-à-vis du NPA ?

Nous sommes une organisation de jeunesse indépendante politiquement, on construit nos propres batailles et nous travaillons à cette autonomie pour en faire une organisation par et pour les jeunes et faire entendre leurs voix dans la société. On se retrouve davantage dans le Parti communiste, par rapport aux positions et à la démarche de rassemblement et selon notre aspiration à changer radicalement la société. Nous savons qu’on ne fera rien tout seul pour enclencher des dynamiques et réaliser des changements de société, cette perspective nous la retrouvons plus en ayant des liens privilégiés avec le PC qu’avec d’autres partis.

Nordine IdirNordine IdirVotre mouvement est indépendant du PCF, mais vous avez, au-delà des idées, des actions communes, y a-t-il déjà eu des désaccords ?

Oui, il y a quelques désaccords. La question est de savoir comment avoir la meilleure expression des problèmes des jeunes dans ce pays et comment le PCF peut s’en saisir. Il n’y a pas eu à ma connaissance de crise fondamentale.

Les Jeunesses communistes ne sont pas un peu l’annexe-jeune du PCF ?

Nous sommes vraiment séparés dans le fonctionnement, on peut être adhérant au PCF sans l’être au MJCF et inversement. On a des visées communes sur les conceptions de changement de société. Le but est d’organiser un maximum de jeunes, de faire de la politique avec les jeunes, de changer concrètement leurs vies. Si derrière ça les amène à adhérer au PCF, très bien, mais ce n’est pas l’objectif premier. L’objectif premier est de travailler à ce qu’un maximum de jeunes nous rejoignent, après chacun dans son parcours personnel fera ce qu’il veut.

Quand ne serez-vous plus un jeune communiste ?

Nous n’avons pas fixé de limite d’âge. La fourchette est entre 15 et 30 ans, des jeunes lycéens jusqu’aux jeunes chercheurs d’emplois. Nous avons quelques personnes un peu en dessous, un peu au-dessus. Après c’est chaque jeune qui décide. Moi personnellement je le ferais quand je sentirais l’envie d’arrêter, pour le moment ça me botte plutôt. Je suis content dans ce que nous faisons. Quand je me sentirais de faire autre chose dans ma vie je l’envisagerais. On travaillera à la suite. On essaye vraiment de prendre en compte les envies de chacun, plus nous avons d’adhérents, plus différents types d’actions sont possibles.

Donc la suite logique aux Jeunesses communistes, c’est le PCF ?

J’ai déjà ma carte du PCF, comme nous sommes une organisation de jeunesse on peut adhérer à un parti à côté.

Quelle est votre plus grande déception en politique ?

Je pense que ce sont les émeutes en 2005. Enfin, je n’aime pas le terme émeute, on dit ça, mais je préfère manifestation sociale. Pourquoi déception, car on eu une grande victoire sociale sur le traité européen juste avant en faisant en sorte qu’il ne passe pas au référendum. Le contexte social était déjà difficile, en particulier dans les quartiers populaires. Soi-disant on était pas en crise à l’époque et finalement le gouvernement a laissé le phénomène éclater, il n’a pas su le capter et c’est une grande colère sociale à laquelle on a répondu par plus d’inégalités, plus de précarité.

Déception, parce qu’on avait une grande souffrance sociale et il n’y a pas eu de réponses derrière. Cette année on va fêter les 30 ans de la marche pour l’égalité des droits de 83. Aujourd’hui il y a des choses qui ont été faîtes, il ne faut pas noircir tout le tableau, mais finalement le cadre global n’a pas changé : chômage de masse, discriminations, ça s’est même aggravé. Je suis déçu qu’on ne prenne pas la mesure de cette colère. J’ai un peu peur qu’on attende que ça explose encore une fois, parce qu’en plus il y en a qui en tire des bénéfices politiquement.

Pour qui avez-vous voté au premier tour en 2012 ?

Mélenchon. Nous avons soutenu sa candidature, parce qu’en terme de programme et de mesures, c’était celle qui incarnait le plus le rassemblement à gauche. Et il soutenait l’affrontement avec la finance, les patrons, ceux qui nous ont menés à la crise, et il plaçait les besoins des gens au cœur des décisions politiques. C’est cette démarche que nous avons soutenu.

Et au deuxième tour ?

Nous avons appelé à voter Hollande pour battre Sarkozy. Battre ce candidat de la droite extrême, en particulier pour sa campagne du second tour. Il incarnait cette figure que nous avons combattu, cette société de violence, de destruction de nos droits, du racisme. On avait vraiment intérêt à voter Hollande sans hésitation, même si on ne partageait pas toutes les idées du candidat socialiste, c’était notre devoir à ce moment-là.

Vous compareriez la situation à Le Pen/Chirac en 2002 ? Vous avez un peu voté par défaut ?

À l’époque c’était un candidat de droite et d’extrême droite et en 2012 un de droite extrême et un qui se réclamait de gauche. C’est pas exactement la même chose. En 2002, c’était un contexte de forte abstention. Mais il fallait effectivement une forte mobilisation dans les deux cas. Le seul lien qu’on peut faire entre les deux, c’est qu’en 2002 on disait qu’il s’agissait d’un accident, mais c’était pas forcément un accident au vu du résultat du premier tour. Il était difficile de jouer un rôle dans les deux cas. L’idée c’est que la prochaine fois on essaye d’inverser ce phénomène.

Pourtant le FN semble gagner du terrain chez les jeunes. 

Le FN fait partie du paysage politique depuis 30 ans maintenant, on ne peut plus dire que c’est un phénomène spontané et temporaire. Il peut y avoir des jeunes sensibles à leurs idées. Après, sur le terrain ils se déclarent plus nombreux que nous, mais c’est loin de la réalité. C’est sûr qu’il y a des jeunes qui votent pour eux. Il faut regarder qui sont ces jeunes sans les stigmatiser, je n’ai pas de portrait-robot. Mais une chose est certaine, après 10 ans de droite, les jeunes ont dû être touchés par le discours, ils ont grandi avec des schémas préétablis.

Il n’y a pas pire comme poison dans la jeunesse que de diviser les jeunes en plusieurs catégories : les jeunes casseurs de banlieue face aux jeunes ‘bourges propres sur eux’ et honnêtes parce qu’ils auraient la ‘bonne origine sociale’. On essaye de casser ces divisions en faisant des actions de terrain et d’éducation populaire. Après on traverse une crise violente donc il y a une jeunesse qui est dans la désespérance, qui ne croit pas à l’avenir. C’est sur le terrain de la haine, de l’irrespect de l’autre que ces idées progressent. Il ne faut pas être passif sur ce terrain et créer de la solidarité. C’est là que l’on fait progresser nos idées.

Vous vous situez toujours derrière Mélenchon ?

Je ne suis derrière personne. Nous avons un lien particulier avec le PCF qui fait partie du Front de Gauche. On se sent donc proche de ce rassemblement. Je pense que pour beaucoup de jeunes il a pu incarner une figure importante, parce qu’il a pu dire des choses qui les ont fait adhérer. Quand il peut avoir du temps d’antenne pour dire nos idées, on ne va pas cracher dessus. On essaye aussi de sortir de la personnalisation de la politique, ce n’est pas la démarche que l’on porte et c’est un piège dans lequel on veut nous enfermer.

Tom Chazelas

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