Mégaphone en bandoulière, Jeroen court dans tous les sens devant le lycée Jacques Brel de La Courneuve. « On va bientôt partir pour la manif, il faut qu’on soit bien organisé ! », explique l’étudiant en première année de licence de droit. Devant l’établissement, une vingtaine d’élèves discutent et se collent des autocollants « Sauvons nos retraites ».

Pour la deuxième semaine consécutive, ces jeunes Courneuviens se mobilisent contre la réforme des retraites. Ils sont déterminés à faire entendre leur voix contre une réforme qu’ils jugent « injuste ». Pour eux, cette contestation « est l’affaire de tout le monde ». Si elle est appliquée, la réforme affectera leurs proches et leur futur.

Ils en ont bien conscience et se sont engagés naturellement contre cette réforme. Après un premier blocus devant leur lycée, certains sont allés rejoindre la manifestation de mardi dernier qui a réuni 500 000 personnes à Paris, selon les syndicats. D’après la CGT, quelque 400 000 manifestants ont défilé à Paris, ce mardi.

 On a créé un comité local de lycéens et d’étudiants contre la réforme des retraites 

« Dès le départ, on a voulu créer une convergence entre lycéens et étudiants, que l’initiative du lycée essaime et touche La Courneuve et le 93 », indique Jeroen entre deux coups de téléphone pour rameuter des amis. Ancien élève du lycée et responsable départemental de l’Union Nationale Lycéenne, il est venu prêter main forte à ses camarades mobilisés.

Des lycéens bien organisés

« La jeunesse a besoin de s’exprimer. On a l’impression de ne pas être écouté. Il y a eu le COVID et la réforme du bac sans qu’il n’y ait vraiment de mobilisation. Maintenant, c’est le moment de se faire entendre ! » clame l’étudiant de 19 ans.

L’ambiance est détendue. Le proviseur du lycée et son adjoint observent ce petit monde d’un œil bienveillant. « Ça se passe bien, ce sont des jeunes qui font les choses intelligemment et qui communiquent avec nous », glisse l’adjoint. « Bonne manif, faites attention à vous », lance quant à lui le proviseur à un groupe de lycéennes.

Un travail militant au quotidien

Isma, l’une d’elles, raconte comment elle a mobilisé dans son lycée. « Depuis mardi dernier, on a essayé de parler à tous les élèves, raconte la jeune fille de 17 ans, en terminale dans le lycée. On essaie de les convaincre et de leur faire prendre conscience de l’importance de se mobiliser. »

Sur les coups de midi. Une troupe d’une trentaine d’élèves se met en route, encadrée par deux voitures de police. Direction la mairie de La Courneuve. « Les jeunes dans la galère, les vieux dans la misère. De cette société-là, on n’en veut pas ! »

Face à la banderole « Travailler moins, vivre plus ! », déroulée à l’avant, Jeroen, poing en l’air, scande des slogans repris en chœur par ce cortège festif. Sur le trottoir à proximité, un homme d’une quarantaine d’années l’interrompt en souriant : « La retraite, on la veut à 30 ans même ! »

 

Mon père a 54 ans, il est ouvrier, il est déjà fatigué. Il la mérite sa retraite ! 

Un peu à l’écart, Ali, 18 ans, témoigne : « On se mobilise pour nos proches. Mon père a 54 ans, il est ouvrier, il est déjà fatigué. Il a fait des métiers pénibles toute sa vie. Il la mérite sa retraite ! » Avant d’ajouter un sourire en coin : « On pense aussi à nos profs qui font des longues carrières ! »

Une fois à la mairie, les élèves rejoignent quelques professeurs de leur lycée et du collège voisin ainsi que des syndicats des entreprises de La Courneuve. La ville a affrété deux bus pour transporter tout ce monde aux abords d’Opéra, point de départ de la manifestation parisienne.

« On a dit qu’on réservait ce bus et qu’on se chargeait de la musique », plaisante Jeroen. Embarquement. À l’intérieur, les slogans continuent à fuser. Les enceintes du bus grésillent en crachant Seven nation army puis Gangster’s paradise, l’air est surchauffé.

Cécile et Isma, assises côte à côte, poussent sur leur voix pour se faire entendre. « C’est ma première manif, j’avais deux contrôles mardi dernier, je ne pouvais pas les manquer », rigole la première. Sa voisine, elle, a défilé pour la première fois dans une manifestation le mardi précédent. « C’était impressionnant, il y avait un monde fou ! » se remémore-t-elle, des étoiles dans les yeux.

Ma mère qui est femme de ménage m’a dit, tu iras à ma place à la manifestation !

Si certains de ces lycéens n’ont pas prévenu leurs parents qu’ils se rendaient à la manifestation parisienne, d’autres ont eu leur bénédiction. « Mes proches me soutiennent totalement, se réjouit Delphine. Ma mère qui est femme de ménage m’a dit, tu iras à ma place à la manifestation ! »

Les lycéens ont encore du mal à se projeter à l’âge de la retraite et se mobilisent surtout par solidarité. Ils ont tout de même conscience qu’ils pourraient vite être affectés par cette réforme si elle venait à être adoptée. « Ça va nous toucher dans quelques années quand on va entrer sur le marché du travail. Quand certaines personnes ne seront pas parties à la retraite, il y aura moins de places pour nous », anticipe Yassine, élève de terminale.

Le combat commence à l’Assemblée et se poursuit dans la rue

La réforme a commencé à être débattue lundi à l’Assemblée nationale. Des débats âpres ont lieu dans l’hémicycle, notamment entre la majorité gouvernementale et la NUPES. Et dans la rue, la contestation ne faiblit pas. Les premières journées du mouvement social ont vu plus de 2,8 millions de personnes manifester dans tout le pays.

Chez les jeunes aussi, le mouvement prend de l’épaisseur. Selon l’Unef, 180 000 jeunes se sont mobilisés aujourd’hui, en France, dont 20 000 à Paris. Un chiffre en hausse par rapport aux 150 000 du 31 janvier.

Des manifestations dont l’ampleur a surpris le gouvernement sans pour autant le faire plier. Si la majorité a toutes ses chances de passer en force à l’Assemblée, la victoire va peut-être se jouer dans la rue.

Des jeunes prêts à se battre pour leur avenir

Arrivés devant l’Opéra Garnier, lieu de départ de la manifestation, les lycéens sont impressionnés par le monde. Difficile de se déplacer sur la place bondée. « On va essayer d’aller se placer devant l’intersyndicale et de dérouler la banderole », propose Jeroen. Les uns derrière les autres, ils se suivent et essaient de ne pas se perdre de vue.

Une fois la banderole déroulée, les lycéens de Jacques Brel, en rang serré, posent pour une dernière photo de groupe avant de s’élancer sur le Boulevard des Italiens. La ferveur populaire fait naître des vocations chez ces jeunes. « Ça donne vraiment de la force. Je fais SES, les questions politiques m’intéressent, mais participer à un mouvement comme ça, ça donne envie de s’impliquer encore plus. On va continuer », promet Isma.

Aïssata Soumaré et Névil Gagnepain

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