« On ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS. » La déclaration du ministre de l’Intérieur, sur le plateau de TF1 jeudi dernier, a fait tomber quelques mâchoires. En effet, Gérald Darmanin, habituellement coutumier des coups de menton, fait preuve d’une grande mansuétude à l’égard de la mobilisation des agriculteurs. Ce dernier a donné aux préfets la consigne de faire preuve d’une « grande modération » et de n’agir « qu’en dernier recours ».

Une posture qui tranche avec la répression qu’il avait orchestrée lors de précédents mouvements sociaux. En comparaison, le soir du passage en force de la réforme des retraites, pas moins de 300 personnes avaient été arrêtées par la police. Durant les révoltes urbaines ayant suivi la mort de Nahel, près de 4000 personnes avaient été placées en garde à vue. Sans compter les nombreux usages de LBD et autres moyens de répression violente durant ces protestations.

Une position partiale

Sebastian Roché est chercheur au CNRS et spécialiste de la répression policière. Il a récemment publié La police contre la rue, chez Grasset. Pour lui, « le gouvernement s’enlise dans des discours paradoxaux, qui manquent de toute rationalité. Le ministre légitime leurs revendications, car ils souffrent. Mais il en va de même dans les quartiers populaires, où les services publics se délitent, où le chômage est important, où les populations sont précaires… » 

On se rappelle de la répression des mouvements sociaux : les gilets jaunes, souvent issus de classes populaires ou petite classe moyenne, les manifestations organisées lors de réforme des retraites ou encore les révoltes après la mort de Nahel. Toutes ces manifestations ont été marquées par des rapports complexes avec la police. « Ce qui est encore plus insensé, c’est que des gens se sont fait arrêter alors qu’ils ne faisaient rien de violent. Ils participaient juste à un rassemblement, voire, ils étaient seulement en marge de celui-ci. Comme ce jeune à Marseille. »

Sébastian Roché évoque ici le cas d’Abdelkarim Y., qui a perdu un œil suite à un tir de LBD du RAID, alors qu’il marchait seul, en marge des révoltes urbaines. « Le gouvernement dit généralement qu’il utilise la violence contre ce qui trouble l’ordre public. Mais ce terme n’a aucun sens juridiquement. Quel est cet ordre préétabli qu’il faut à tout prix sauvegarder  ? Leur position est totalement partiale. Le gouvernement définit lui-même ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas. » 

Une stratégie politique de la désescalade

Pour Sébastian Roché, le gouvernement est trop fragilisé pour faire face à cette troisième crise. « Après les manifestations contre la réforme des retraites et les révoltes des quartiers populaires, Macron a vu sa cote de popularité chuter. Puis il n’a pas la majorité, alors c’est une stratégie politique de laisser faire les agriculteurs. Ce serait trop coûteux d’essayer d’endiguer le mouvement. »

Et pourtant, les nombreuses détériorations commises ces derniers jours coûteront cher à réparer. Mais ce traitement partial reflète aussi « l’opinion populaire, [qui] soutient les agriculteurs ». Envoyer le RAID dans les banlieues satisfait un électorat de droite et n’offusque pas trop. En revanche, dépêcher des brigades de CRS face aux barrages de tracteurs risque de déplaire.

Un récent sondage Elabe montre que 87 % des Français approuvent la mobilisation. À titre de comparaison, les révoltes urbaines avaient suscité, à 77 %, l’incompréhension des Français, selon un sondage Odoxa publié en juillet dernier.

La singularité de ce mouvement réside également dans la continuité du dialogue entre les syndicats et le gouvernement. « Macron a continué d’échanger avec eux. Alors que pour le mouvement des retraites, le passage en force avec le 49.3 a complètement brisé le dialogue. » Pourtant, les syndicats s’étaient collectivement mobilisés pour faire entendre leurs réclamations.

Le mouvement des agriculteurs se montre particulièrement efficace. « Ils sont très organisés, agissent en bloc. C’est difficile, même matériellement, de s’opposer à eux. Puis face aux agriculteurs, le gouvernement peut anticiper. Il a préparé ses mesures, et fait tout pour désamorcer le mouvement. Dans les autres cas, il ne pouvait pas prévoir l’issue de ces crises sociales. » Et de fait, « la police s’abstient d’intervenir, le taux de brutalité est moins élevé. Le gouvernement pratique la désescalade. »

On rappelle que la seule réponse politique reçue suite aux révoltes des quartiers est passée par la violence, tant symbolique, que physique ou judiciaire. Deux salles, deux ambiances.

Radidja Cieslak

Photo : Marie-Mène Makaoui pour le Bondy Blog

 

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