MUNICIPALES 2014. A Sevran, entre les têtes d’affiche Stéphane Gatignon pour EELV et Clémentine Autain du Front de gauche s’immisce un « candidat de la diversité », entres autres  adoubé par l’UMP, Mohamed Chirani. Ce diplômé de Sciences-Po Paris et ancien délégué du préfet en Seine-Saint-Denis entend sortir Sevran des mains de la gauche.

Il est 15h30 lorsque je rejoins Mohamed Chirani, tête de la liste du Mouvement Citoyen de Sevran (MCS). Le temps d’avaler un verre d’eau, il m’annonce que l’après-midi sera chargé. La campagne bat son plein : visite de Sevran, tractage, réunion de l’équipe de campagne, dîner avec les membres du MCS… En route vers  la zone pavillonnaire qui mène au domicile de « la numéro 2 » de sa liste, nous abordons sa vie, son œuvre : Réconciliation française – Notre défi du vivre ensemble, plus qu’une biographie, c’est une vision de la société que vient de publier Mohamed Chirani. « Dans ce livre je me suis mis à nu, j’ai abordé tous les sujets sans me cacher, sans complexe. J’estimais que l’on ne peut pas savoir où l’on va si on ne sait pas d’où l’on vient. Je suis assez satisfait du résultat, même si aucun journaliste n’en a parlé ».

Né à Bourg-en-Bresse en 1977, sa famille retourne en Algérie, peu de temps avant la guerre civile en 1992. Cette sombre page de l’histoire algérienne l’a marqué au fer rouge. « Pour moi, la réconciliation et le vivre-ensemble sont des questions importantes car j’ai vu l’Algérie sombrer dans la barbarie. Ça a été un énorme traumatisme ». Ce constat d’échec accroît sa sensibilité sur les thématiques de l’utilité sociale, de l’engagement politique et militant. Après cette sombre période Mohamed Chirani rentre en France, où il s’investit dans le monde associatif et politique en même temps que ses études à Science-Po. Son initiative Banlieue Votez lui a valu de la part du quotidien Le Monde le sobriquet de « pèlerin de la République ».  Il admet que c’était en partie « une campagne négative menée contre la personne de Nicolas Sarkozy ». Il poursuit : « Ça ne sert à rien de faire une campagne négative car on ne devient pas force de proposition en s’opposant systématiquement à un individu ».

Le candidat de Sevran revient sur son départ du quai d’Orsay pour le 93. « Ma vie manquait de sens et c’est pour ça que j’ai sombré dans le monde de la nuit et de la fête. J’ai pris la décision de changer de travail et de me rapprocher de Sevran, de m’engager, de faire du community organizing dans les quartiers sensibles. J’étais enfin en cohérence avec ce que j’étais et ce que je voulais ».  Pendant quatre ans, il a pu appliquer les méthodes de community organizing qu’il apprises à Chicago sur les traces d’un certains Barack Obama. «Pendant ma période de délégué du préfet, je suis arrivé à Sevran, sur un territoire où il y a 50% d’abstention voire  60% dans les quartiers. J’ai aidé des leaders à émerger, j’ai travaillé avec des amicales de locataires, de copropriétaires, des associations, des jeunes… J’étais dans cette logique d’empowerment. Je me suis dit, « ces gens là peuvent, s’ils se structurent et s’organisent, diriger les affaires de la cité » ». Le succès de ces méthodes a créé de l’engouement et un élan : le MCS est né. Mohamed Chirani est propulsé à la tête du Mouvement Citoyen pour Sevran et démissionne de son poste de délégué du préfet, estimant qu’il ne peut pas donner la pleine mesure de son engagement en restant à ce poste.

Il est 16h30 et sa voiture se gare dans un parking à coté de l’école élémentaire Marie Curie, dans le quartier Rougemont, dont une grande partie est encore en travaux. A proximité de la rue Brossolette, c’est un chantier à ciel ouvert qui s’offre aux passants, quelques rues plus loin un panneau semble narguer les habitants. Sur l’affiche, une maquette de ce que devrait-être le quartier à la fin des travaux prévus pour la fin… 2009. L’école primaire est entourée de barres d’immeubles aussi imposants les unes que les autres. Le candidat qui se dit gaulliste-social voire « Chiraco-Gaulliste », va à la rencontre des parents d’élèves présents, il présente son programme, les échanges son cordiaux. Il a sa petite phrase pour dérider les électeurs potentiels, et lance sur un ton humoristique : « Votez Chirani comme Chirac ! », le moyen mnémotechnique fait mouche.

Les enfants sortent de l’école, les parents ne sont pas légions. Dans ce quartier de 7 000 habitants, la jeunesse semble comme livrée à elle-même. A 16h50 les tracteurs des différents partis politiques sont plus nombreux que les parents venus chercher leur progéniture. Loin d’être résigné mais conscient du travail qu’il y a à accomplir pour réconcilier les parents avec l’école, le candidat évoque le programme qu’il porte sur la parentalité. « Avec l’explosion des familles monoparentales, la fragilisation de la figure du père au chômage, il y a une perte de l’autorité des adultes. Je compte installer le conseil des droits et des devoirs de la famille qui sera l’instance qui veillera à la mise en place d’un programme ambitieux en matière de parentalité. Il y a tellement de choses à faire, des ateliers de parentalité, l’école des parents, du coaching de nouveaux migrants par d’autres familles déjà intégrées pour les accompagner ».

Le trajet est propice à des échanges passionnés sur la marche du monde. Retour au point de départ,  sur l’avenue de Livry. Au numéro 22 se situe le local de campagne du MCS, les membres de la liste citoyenne soutenue depuis peu par l’UMP se présentent un à un. L’ambiance est bonne enfant. Sevran est au cœur des discussions. Ils sont à majorité Sevranais et se sentent blessés dans leur chair au moment d’aborder l’image de leur commune, entre violence, trafic de drogue, le discours victimaire du maire sortant Stéphane Gatignon qui accable la commune et désespère ses administrés. Malgré leurs différences, ils s’accordent tous à dire qu’ils soutiennent la tête de liste de la relève pour Sevran car ils en ont marre de « la gestion calamiteuse » de la ville et attendent du changement.

L’auteur de Réconciliation française livre les clés d’un vivre-ensemble sevranais. « Dans une ville comme Sevran divisée en quartier de grands ensembles et  en zone pavillonnaire, la crispation identitaire est très forte. Le grand défi que je me suis imposé c’est de créer la réconciliation française à un niveau local. » Il jette un regard autour de la table et reprend : « Quand tu vois les gens de ma liste, ils viennent de partout, ils n’ont pas forcément les même idées et ne sont pas d’accord sur tout. La question c’est comment faire en sorte avec tous ces gens de travailler à un socle commun d’intérêts et créer une identité commune ?  A Sevran, je veux faire vivre l’orphelin du triptyque républicain : liberté et égalité mais surtout la fraternité».  Selon son candidat, le programme de la liste citoyenne souhaite insuffler à Sevran une autre dynamique. « Il faut rééquilibrer la démographie et la sociologie de la ville. On va commencer par récupérer le haut des barres d’immeubles pour créer des commerces de proximité, des accueils numériques, des crèches familiales et parentales, des cafés associatifs, tout ça dans le but de refaire de la vie en bas des halls d’immeubles ». La volonté  d’élargir l’assiette fiscale, d’attirer des entreprises et baisser le parc du logement social afin augmenter la part de classe moyenne est clairement affichée.

Mais au moment de présenter à l’équipe l’affiche officielle de campagne, le consensus semble moins évident. Si certains se félicitent qu’en bas à droite de l’affiche apparaisse le logo de l’UMP, d’autres perçoivent l’expression « Mouvement Citoyen de Sevran soutenu par l’UMP » comme une expression antithétique et se prennent la tête dessus. Ce soutien de dernière minute a fait fuir le directeur de campagne qui n’a pas supporté ce ralliement de dernière minute. Le candidat gaulliste qui a rendu sa carte au parti depuis l’ascension de Nicolas Sarkozy explique les raison du soutien de sa liste citoyenne par l’UMP. « Il y a eu une rupture violente dans la mesure où certains membres du mouvement avaient des revendications identitaires et communautaires qui ne me convenaient pas. Il y a eu une scission au sein du mouvement. Elle a été d’une violence telle que ça a été un énorme choc, et c’est ça qui m’a rapproché de l’UMP ». Il a fallu reconstruire après cette querelle fratricide, Mohamed Chirani ne me cache pas que sans l’UMP il aurait été obligé de mettre un terme à sa campagne. Il conclut : « Il y a six mois j’étais à mille lieues d’imaginer qu’en fin de compte je serais soutenu par l’UMP et que j’intégrerais la logique d’appareil dans ma campagne. J’ai commencé cette campagne en idéaliste, et je la finis pragmatique ».

A quelques jours du premier tour, il dresse un bilan de sa première campagne municipale. Il a le regard lourd, ses joues sont plus creusées. Bien que la saison estivale lui semble loin, ses journées sont longues et ses nuits se raccourcissent de jour en jour. Driss, son compagnon d’infortune, qui le suit depuis science-Po avec sa voix enrouée et son écharpe autour du cou malgré le redoux, confirme les dires de son ami Mohamed. La campagne est usante aussi bien physiquement que mentalement. Où trouve-t-il la force pour tenir ? Il puise sa détermination dans sa relation avec son père. Ce Gaulliste de père, analphabète, féru de politique qui était contre toute forme d’injustice. « Quand j’ai pris la décision de m’engager, il m’est arrivé un événement qui m’a fait  me dire qu’il n’y a plus de point de retour. C’est le décès de mon père, le jour de la déclaration de ma candidature [ le 6 octobre]. S’il n’y avait pas eu ça, je crois que j’aurais déjà laissé tomber à cause des épreuves et de ce que j’ai vécu depuis le début de la campagne en termes d’attaques personnelles, de trahison, de coups bas, de pressions psychologiques. Mais quand tu perds un être aussi cher, la douleur est telle que tu te surpasses. J’ai l’impression que j’ai une mission à accomplir vis-à-vis de lui. »

Ému, il me confirme que si Barack Obama n’avait pas intitulé son livre Dream of my father, c’est ainsi qu’il aurait appelé son bouquin. Le fils, la relève Chirani, marque un temps d’arrêt et  livre la teneur de leur dernière discussion. « – Mon fils est-ce-que tu crois que la France peut élire un Mohamed comme maire ? – Oui, papa. – T’es sûr ? – Je vais te le prouver ! »

Balla Fofana

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