Ancien haut-fonctionnaire au ministère de la Défense, professeur à Sciences Po, Pierre Conesa est l’auteur d’un rapport sur la contre radicalisation. Sortir du mutisme verbal et politique dans lequel se trouve le thème du radicalisme est un des objectifs du rapport.

Il y a quelques jours Le Monde titrait l’un de ses articles « Comment soigner les candidats au djihad ». Si cela ne relève clairement pas des prérogatives du ministère de la Santé, selon Pierre Conesa, la question relève bien d’une politique publique. Maître de conférence à Sciences-Po et ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense, il vient de réaliser à la demande de la Fondation d’aide aux victimes du terrorisme (FAVT) un rapport intitulé « Quelle politique de contre-radicalisation en France ».

Plus que ponctuel, il m’attend place de l’Odéon et nous nous installons au chaud, dans un bistrot. Ce rapport est basé sur une cinquantaine d’entretiens, avec des édiles, des représentants intellectuels, mais aussi des salafistes emprisonnés en France. Ouisa Kies, spécialiste de la radicalisation religieuse en prison, qui a participé à ce travail en effectuant les entretiens avec les prisonniers nous rejoint rapidement.

Vous soulignez dès l’introduction l’importance des termes employés (radicalisation, salafisme, islamisme) dont certains sont selon vous stigmatisants. Pouvez-vous préciser ?

Pierre Conesa : C’est le retour des interviews que j’ai faites. Les élites de la communauté musulmanes considèrent que les termes comme islamisme, ou radicaux islamistes, sont des généralisations qui atteignent l’ensemble de la communauté. L’autre élément, c’est la polysémie des termes. En Occident, le terme de croisade a une connotation positive alors qu’en fait dans les pays musulmans il a une connotation très négative. A l’inverse, pour les musulmans le terme de djihad peut avoir une connotation très positive et ici en France avoir une connotation très négative équivalente à violence. On ne peut pas utiliser certains termes sans avoir la conscience de ce que cela peut représenter chez l’autre.

Vous soulignez une similarité dans les processus de radicalisation. Lesquels et en quoi ?

Pierre Conesa : Il y a aujourd’hui une radicalisation dans tous les monothéismes, vous avez les néo-évangélistes qui entouraient Bush qui étaient des bellicistes comme on en a peu connu. Dans les territoires occupés vous avez un radicalisme juif, et il y a évidemment un radicalisme musulman et comme c’est celui qui nous concerne le plus directement il fait l’objet de l’étude. Il y a plusieurs formes de radicalisation, avec en arrière fond le contexte de crise économique évidemment mais aussi une forme de crise identitaire dans laquelle chacun va se chercher une forme d’identité infranationale ou infra religieuse qui va lui donner un sentiment d’existence. On peut prendre l’exemple des colons juifs ou des identitaires. Chaque société a ses formes de radicalisations, qui fonctionnent en miroir les unes par rapport aux autres.

Quel est le lien entre radicalisation et violence ?

Pierre Conesa : La radicalisation dans sa définition sociologique est une légitimation de la violence ou un passage à l’acte. J’ai essayé de relever ce qu’il y avait de spécifique dans le radicalisme djihadiste. Ses deux originalités sont, à mon sens les suivantes. Un discours de victimisation qui consiste à dire que le monde arabo-musulman est celui des opprimés et donc que la violence est vengeresse et défensive. D’autre part, une résonance internationale, car les motivations de la mobilisation trouvent très souvent leur origine dans le monde arabo-musulman.

Vous évoquez un « mauvais procès fait au pays le plus ouvert au melting pot ». Le radicalisme salafiste y est il, selon vous si important que les médias le laissent penser ?

PCPierre Conesa : Dans l’idée du mauvais procès c’est surtout le fait que les démocraties passent leur temps à se donner des leçons réciproquement. Lors des émeutes de 2005, la presse Américaine expliquait que c’était les « muslims riots » qui les avaient causées, alors que leurs causes n’étaient à l’origine liées à aucun mouvement religieux. Tout le monde s’est gaussé sur l’échec du système d’intégration Français. Quand on voit ce qui se passe aux Etats-Unis où la communauté noire, qui est constitutive de l’identité Américaine, manifeste dans 200 villes contre l’action de la police on devrait fermer sa gueule. D’autre part, la France est le pays qui a la plus forte communauté musulmane d’Europe, principalement d’origine maghrébine. Personne n’a une idée précise de l’importance du salafisme et de son influence. Quand on regarde les statistiques d’Europol, on s’aperçoit que les principales actions de terrorisme ont été des actions régionalistes et que les attentats proprement islamistes ont été des phénomènes isolés.

Comment expliquez-vous le retard de la France en matière de contre radicalisation ?

Pierre Conesa : C’est-à-dire qu’on arrête de leur poser la question « d’où est-ce que vous venez ». On ne pose pas cette question à quelqu’un qui n’apparaît pas manifestement musulman.

Pouvez vous revenir sur la nécessité de mettre en place une politique globale, à la fois coordonnée en terme d’échelle politique et de coopération entre les acteurs publics et les autorités religieuses ?

Pierre Conesa : Une telle politique suppose une transformation administrative et la création de structures nouvelles. Le bureau des cultes appartient aujourd’hui au ministère de l’Intérieur, qui n’a pas une tonalité décrispante. Cela relève d’une logique policière, faire passer le bureau des cultes à Matignon ne serait pas une mesure inutile. Il faut d’autre part établir une politique de contre radicalisation en rapport avec les élites musulmanes, mais pas à travers le CFCM qui est composé d’entrepreneurs politiques. Il serait aberrant d’envisager une politique de contre radicalisation sans associer les élites musulmanes. Celle-ci doit s’effectuer notamment avec les imams, car on ne peut pas envisager une telle politique sans volet théologique, ce qui ne relève pas des institutions publiques. Enfin, il faut un bilan d’ensemble des processus de radicalisation. 80 % des types qui partent en Syrie ne sont passés ni par la prison ni la mosquée. Il faut également connaître le discours pour créer un contre discours. D’autre part, il faut mener une action sous forme associative, libérée des structures publiques. Il faut jouer sur toute la palette.

Selon vous, cette politique doit faire au préalable l’objet d’un processus de désignation. Lequel ?

Pierre Conesa : Le véritable objet de radicalisation est à mon sens le salafisme, et le salafisme djihadiste dans sa partie la plus violente. Là dessus on n’est pas d’accord avec Ouisa, mais je pense qu’il faut sortir du discours globalisant. Même la communauté musulmane voit que le salafisme est un problème, et ses élites se mobilisent contre la radicalisation. Il faut attaquer le salafisme dans le discours politique.

Ouisa Kies : A travers les entretiens effectués en prison, tout les djihadistes ne se réclamaient pas du salafisme. Je pense qu’il est plus juste de parler de radicalisme islamiste. Les salafistes ne sont pas tous des radicaux, mais ils sont fondamentalistes.

Que signifie, pour la France, de s’affirmer comme un pays musulman ?

Pierre Conesa : Le contexte Français est spécifique. Les Anglais, par exemple, fonctionnent selon le principe de communautarisme. En France, la tradition est celle de l’intégration, et les autorités publiques doivent prendre en compte les attentes de la communauté musulmane. Il faut demander un siège à l’OCI (Organisation de la conférence islamique), pour que les musulmans Français puissent s’exprimer à l’échelle internationale. Il est tout à fait possible de s’affirmer comme un pays à composante musulmane tout en restant un pays laïc.

Propos recueillis par Mathieu Blard

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