« J’ai eu une scolarité particulière, j’ai fait le petit séminaire Saint-Joseph d’Efok [Cameroun] indépendamment de ma volonté. Mon père m’a mis là-bas, car j’étais très bon élève. En milieu de 5e j’ai dû interrompre ma scolarité. » En 2002, Wilfried quitte Yaoundé à l’âge de 12 ans. À la suite d’un divorce, d’une décision de justice, il quitte la terre des Lions indomptables pour atterrir au 8e arrondissement lyonnais accompagné de ses trois grandes sœurs et de son petit frère, pour rejoindre leur mère installée en France.
« Avant d’arriver, j’avais une image idéalisée de la France, elle représentait tout ce qu’il y avait de plus beau avec ses belles infrastructures. Pour moi, les enfants possédaient tout ce dont ils avaient besoin ! Au départ, je pensais que ma vision s’était confirmée, j’étais dans l’émerveillement, mais avec le temps j’ai eu un retour à la réalité. Je me suis vite rendu compte qu’en plus d’être un immigré, j’étais un blédard pour les noirs de France… C’est-à-dire quelqu’un qui est né et qui a grandi en Afrique, qui a donc une mentalité, un accent, des manières qui rappellent qui n’est pas d’ici. »
Celui qui faillit devenir prêtre poursuit brillamment ses études, obtient son bac scientifique en 2009, enchaîne par un DUT technique de commercialisation en 2011 puis une licence en marketing en 2012 en Angleterre. « Pendant ma scolarité, j’ai beaucoup souffert des stéréotypes de la part des Africains de France… Quand je parlais, j’avais un accent qui leur rappelait celui de leur parent ! Il me disait tout le temps arrête de nous faire honte en faisant le blédard, tu penses comme un blédard ! »
Blédardise
« Top. Quelle mer communique avec l’Atlantique par le détroit de Gibraltar ?
La mer du Nord…
Oh non, sous quel autre nom connaît-on la mer des Caraïbes ?
La mer…
Quelle mer située entre l’Arabie et l’Afrique est reliée à la Méditerranée par le canal de Suez ?
C’est la mer Noire…
Non Rouge, au bord de quelle mer est située la station balnéaire de Yalta ?
C’est la mer Noire…
Oui ! »
« C’est la mer Noire » est devenu culte depuis l’échange détonnant entre Julien Lepers et son candidat d’origine africaine qui s’est changé au fil des minutes en running gag. Cette phrase comme tant d’autres, « In Chicken we Trust », « Started From The Bled Now We’re Here » marquent la résolution de Wilfried Essomba Kede pour se défaire de ses clichés avec humour.
bledardise23« L’histoire de Blédardise a commencé par un blog où je m’appelais Blingcool le blédard. Je racontais mes anecdotes d’immigré arrivé en France. En parallèle, j’ai commencé à sortir des t-shirts humoristiques, une sorte de goodies pour mes lecteurs parce que j’assumais ce côté blédard, cette blédardise. Quand je suis revenu de ma licence en Angleterre, je voulais rentrer en école de commerce… J’ai dû abandonner le projet, car je n’avais pas les finances nécessaires. En juin 2012, je me suis dit que j’allais lancer ma marque de vêtement, donc formaliser mon coup d’essai. »
Ce jeune audacieux concrétise un simple délire de blogueur en une marque digne de ce nom. L’idée est bonne, il se lance seul dans l’aventure, mais c’est sans compter les éternels obstacles qui font face à tout entrepreneur. « Les marques qui m’ont inspiré sont paradoxalement françaises ! Il y a une marque qui s’appelle Archiduchesse, la marque commercialise des chaussettes… Il y a aussi le Slip Français, elles m’ont beaucoup inspiré en terme de marketing, de communication. Les principaux obstacles lors de la création de la marque restaient le financement… Car un jeune qui débarque en voulant lancer sa marque de Tee-shirt n’a souvent aucune crédibilité. Je suis allé au culot, j’ai commencé par du financement propre avec mes propres fonds, en travaillant 1 mois en tant que vendeur. Je me suis offert mon premier appareil photo, en parallèle j’ai constitué un stock de 60 Tee-shirts. Le buzz s’est fait en 3 mois via les réseaux sociaux parce que j’arrêtais les gens dans la rue au hasard pour les prendre en photo avec mon Tee-shirt et je les partageais sur internet… Ça a fait un espèce d’effet boule de neige. »
L’African touch
Le concept Blédardise est un distributeur de l’African Touch… C’est-à-dire une marque de vêtement mixte et décalé qui s’inspire des cultures africaine c’est ainsi que le présente son créateur. Les produits sont essentiellement des Tee-shirts, des sweat-shirts ainsi que des accessoires, dans une fourchette de prix allant de 25 à 55 euros. « La marque s’adresse d’une part aux personnes qui souhaitent revendiquer et adopter l’African Touch. Nos principaux clients sont européens, mais il y a majoritairement des Africains qui suivent la marque sur les réseaux sociaux. Pour l’anecdote quand j’ai lancé la marque des Africains m’ont reproché le nom Blédardise… Le concept c’est qu’on va prendre un terme qui est pour vous péjoratif et l’on va le transformer en un terme branché, hype que vous allez porter demain. Mon entourage était un peu dubitatif lorsqu’il a vu mon projet. Ils le sont moins aujourd’hui, même s’il reste sceptique, car je n’en vis pas pleinement ! À côté je suis consultant en communication pour des petits entrepreneurs. »
L’aventure est semée d’embuche, mais n’ébranle en rien l’aplomb de ce jeune entrepreneur qui continue d’avancer malgré vent et marée. « Pour l’élaboration d’un produit, je pense tout en amont, car je travaille seul et je m’approche des personnes compétentes pour glaner quelques renseignements. Je sous-traite dans des ateliers parisiens et lyonnais. Je suis actuellement une formation en partenariat avec Sport dans la Ville à l’école de commerce EM Lyon qui met à ma disposition des locaux dans une pépinière d’entreprise, dans lesquels je peux aisément recevoir mes rendez-vous, même si je continue à stocker ma marchandise chez moi ! Mon point de vente principal est mon site internet ainsi que mon premier distributeur kiosque in Lyon, j’entends élargir les zones de distribution dans les mois avenir. On a commencé par les Tee-shirts et les sweat-shirts, car c’était plus accessible et le plus facile à produire. L’ambition de Blédardise à long terme, c’est d’utiliser le wax, du pagne pour faire une collection de prêt-à-porter. »
C’est un travail d’orfèvre dans de jeunes mains qui battent le fer pour une marque et des idéaux depuis 2012. « Blédardise mise essentiellement sur la communication digitale en étant présent sur tous les réseaux sociaux. On a mis en produit notre propre contenu sur notre site internet avec un webzine qui s’appelle c’est la Blédardise où on publie nos propres articles. On est présent également sur l’événementiel, on fait ponctuellement des soirées Aloko party où les gens peuvent venir s’initier à l’univers de la marque et déguster par la même occasion ces fameuses bananes plantains. Je dis souvent on, car je collabore ponctuellement pour étoffer mon webzine. Le message que j’essaye d’apporter avec ma marque c’est de dépasser les étiquettes qu’elles soient sociales ou ethniques, tout en restant soi-même, en allant de l’avant. »

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