C’est sous une pluie battante que j’arrive ce vendredi-là au Mac Halal de Bobigny où Tahar a accepté de m’accueillir pour me raconter son histoire. Cette histoire est celle d’un homme parmi tant d’autres dont la vie a basculé après les attentats de novembre. Nous sommes nombreux à connaitre le Mac halal et à le fréquenter quotidiennement. C’est donc un déferlement de statuts, tweets et autres messages qui ont déferlé sur les réseaux sociaux lorsque Tahar a annoncé son assignation à résidence. En dehors de ma fréquentation du fast food je ne connaissais rien de cet homme.
Me voilà assise en face de l’assigné qui me propose un café et commence à m’expliquer sa situation. L’homme a la quarantaine, habite à Bobigny, marié et père de deux enfants. Il est très expressif et raconte ce qu’il lui arrive avec tellement de vigueur que j’ai l’impression d’être la première personne à laquelle il livre son récit. Tout commence le 16 novembre 2015 avec un arrêt préfectoral et la visite des forces de l’ordre. On fouille sa maison et son restaurant après quoi on lui annonce qu’il est assigné à résidence, c’est-à-dire qu’il ne peut ni quitter Bobigny ni voyager et doit se rendre au commissariat trois fois par jour. Tahar est alors accusé de pratiquer un islam radical, d’être un partisan de la mort en martyr, de vouloir l’instauration de la charia et d’organiser au sein de son restaurant des sessions de recrutement de jeunes convertis pour combattre aux côtés de l’État islamique en zone Irako-Syrienne.
Depuis son assignation, Tahar a de nouveau reçu la visite des forces de l’ordre qui ont encore fouillé son commerce. Sur une vidéo de surveillance, on peut les voir qui interpellent des clients. L’homme ne s’attendant pas à un tel bouleversement dans sa vie, voit en cette assignation une grande mascarade qui vise à faire de lui le bouc émissaire du coin. En effet, Tahar explique qu’il se considère comme un homme de son temps, qu’il a n’a jamais dérangé personne et qu’il souhaite juste vivre sa vie auprès de sa famille et de ses amis comme ça toujours été le cas.
Cette situation est d’autant plus pesante qu’elle a des conséquences sur son commerce et sur sa vie publique. Tahar m’avoue qu’il n’arrive plus à travailler correctement avec toute la pression qu’il ressent. D’autant que tout cela a une incidence directe sur son entourage ou encore sa clientèle : « il n’y a pas de fumée sans feu » disent certains à son sujet. Mais Tahar ne compte pas se laisser faire et veut se battre pour que justice soit faite. C’est grâce à ce combat qu’il mène depuis novembre que l’homme a fait la rencontre d’un autre assigné à résidence qui est aujourd’hui devenu un de ses amis proche : Halim Abdelmalek que j’ai également rencontré.
Les deux hommes ont fait connaissance sur un groupe Facebook consacré aux assignés à résidence qui souhaite partager leur histoire. Halim a été assigné à résidence, car on le soupçonne selon ce qu’il me rapporte d’appartenir à un trafic de véhicule de luxe volé pour financer une mouvance djihadiste au Yemen. Aujourd’hui, il est enfin libre, après un long périple devant la justice il est le premier à voir son assignation suspendue par le Conseil d’État. Halim partage volontiers cette histoire sur les plateaux télé ou encore dans Le Monde où il a pu s’exprimer sous sa propre plume. Aux questions que je lui pose, celui-ci me répond qu’il se considère aucunement comme un représentant, juste comme « un mec lambda », qui pratique « un islam sans contrainte ».
Bien que cette histoire soit derrière lui, Halim prend cela à cœur et en a fait un combat personnel. Il s’exprime à travers plusieurs médias, sur ses réseaux sociaux, donne des conférences pour répondre à l’injustice et la discrimination dont lui et plusieurs autres personnes font l’objet. Ce qui reste le plus important pour lui dans l’action qu’il mène c’est la rencontre avec d’autres assignés à résidence afin qu’il puisse leur apporter son aide.
Quant à Tahar, il se bat encore et toujours pour son cas et espère peut-être aboutir à une fin semblable à celle d’Halim. En attendant, il a tout de même réussi à réduire ses allées au commissariat de 3 fois à 2 fois par jour. Il garde son commerce ouvert malgré les difficultés qu’il rencontre, essaye de sensibiliser le plus de monde autour de lui et surtout se dit prêt à se battre jusqu’au bout.
Fatma Torkhani

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