Entre 130 et 200 personnes sont menacées d’expulsion par la mairie de Bobigny d’un terrain qui leur avait été pourtant mis à disposition par l’ancienne majorité communiste en 2012 dans le cadre d’un programme d’insertion. Faute de solution de relogement proposée par l’actuelle municipalité, les familles ont saisi la justice française et européenne. Reportage.

« On demande soit un logement, soit un autre terrain. Sinon, on ne bouge pas ! » Vassile Toche, 29 ans, ferrailleur de profession, se tient droit, les deux pieds plantés dans l’asphalte. Depuis le 25 mai, ce père de famille sait qu’il va être expulsé. Il vit là depuis cinq ans, dans une caravane transformée en maison de fortune, dans une sorte de village construit à la main, à Bobigny. « Mes deux garçons de 4 et 6 mois sont nés ici. Pour le plus grand, ici, c’est sa maison« .

C’est la municipalité qui l’avait invité à s’installer ici, en 2012, dans le cadre d’un programme d’insertion pour personnes très précaires. Il avait alors laissé le peu qu’il possédait pour emménager légalement sur ce terrain. Mais le 23 mai 2017, un arrêté municipal demande officiellement à tous les habitants de quitter les lieux, invoquant des raisons de sécurité. « Prétexte fallacieux ! » protestent les associations. Elles pointent du doigt la nouvelle équipe municipale, qui a changé de bord politique en 2014 et s’est engagée auprès des électeurs à la « fermeture des camps de Roms » pour se faire élire. Aucune solution de relogement n’ayant été proposée, une expulsion risque de stopper net les trajectoires d’insertion entamées par les familles concernées.

Entre 130 et 200 personnes bientôt expulsées par la mairie de Bobigny sans solution de relogement

Petit retour en arrière. En 2012, la mairie communiste menée par Catherine Peyge propose à un certain nombre de familles roumaines vivant dans des bidonvilles de la commune de s’installer légalement sur ce terrain. Elle y place elle-même des caravanes, et mandate deux associations, « Cité Myriame » et « Rue et cité », pour les accompagner dans un parcours d’insertion supposé les mener à l’emploi et au logement.

Peu à peu, la vie s’organise. L’électricité et l’eau courante y sont installées ainsi que des sanitaires et des douches. Le foncier appartient alors à l’État, géré par l’Établissement public foncier d’Île-de-France. « Le chiffre est resté stable depuis le début, entre 130 et 160 personnes, dont une cinquantaine d’enfants », affirme Clémence Lorgner, travailleuse sociale sur le camp avec « Rue et cité » les trois premières années. La mairie parle de son côté de « 90 personnes au début du programme, près de 200 aujourd’hui ». Difficile à vérifier.

Vassile Toche, 29 ans, papa de deux enfants en bas âge, vit depuis 5 ans dans ce « village » d’insertion de Bobigny mis en place par l’ancienne majorité municipale.

« La fermeture des camps roms », promesse électorale de Stéphane de Paoli

En avril 2014, Stephane de Paoli, UDI, arrive à la tête de la mairie de Bobigny. Durant sa campagne électorale, il fait circuler un tract résumant son programme en dix propositions, parmi lesquelles figure la « fermeture des camps de Roms« . La convention avec les associations travaillant sur le terrain est prolongée et prend fin en juin 2015. Mais la société d’économie mixte Sequano, qui a repris la gestion du terrain fin 2014, est elle la première à dégainer : en septembre 2015, elle assigne les habitants en justice et demande leur expulsion. La société invoque deux motifs : d’une part, les travaux de la ZAC Ecocité de construction de 200 logements doivent démarrer de façon urgente ; d’autre part, les conditions d’hygiène et de sécurité ne seraient pas réunies sur le terrain. Le tribunal de grande instance (TGI) déboute Sequano de sa demande estimant que le caractère urgent des travaux n’était pas démontré et que les conditions de sécurité sont acceptables. La société a interjeté appel. L’audience doit avoir lieu en octobre 2017. C’est dans ce contexte que le maire a pris un arrêté municipal. Il met en demeure les habitants de quitter les lieux et leur laisse 48 heures, sans quoi, ils seront expulsables.

« Le camp déborde sur la route, cela oblige le bus à se déporter. De plus, il y a beaucoup de branchements électriques sauvages à l’intérieur. L’hiver, il y a des braseros dans les cabanes avec des bouteilles de gaz. Il y a également des problèmes d’accessibilité pour les secours », nous explique-t-elle, reconnaissant sans détour la promesse électorale. « Oui, c’était un de nos engagement de campagne et cet arrêté s’inscrit dans la continuité de notre action ». La municipalité fait aussi valoir que « la ville avait fait une convention avec le associations pour qu’en 2014 il n’y ait plus personne. Le travail n’a pas été fait. De plus, une ZAC (zone d’aménagement concerté) doit sortir de terre sur ce terrain. C’est un projet d’intérêt national, en collaboration avec Noisy-le-Sec et Pantin. Les travaux doivent démarrer en 2017 et être livrés en 2019″, justifie-t-elle. 

Demande de suspension de l’arrêté municipal : audience le 7 juin 2017

« La loi confère au maire ce pouvoir pour réagir rapidement en cas de danger. Le problème c’est que là il prend les devant d’une décision administrative qu’il base sur un motif sécuritaire qui a été rejeté par le tribunal alors que les conditions sont strictement les mêmes aujourd’hui qu’à l’époque », estime Samir Mile, juriste et membre du Mouvement du 16 mai, dont l’objet est de faire respecter les droits des Roms ou personnes apparentées aux Roms. « Ce n’est pas un bidonville, tient à préciser Samir Mile. Ici, il y a l’eau courante, l’électricité, des WC, des douches, et le sol est couvert de bitume, donc il n’y a pas de boue. Il y a même une collecte des ordures ». 

Par ailleurs, « quand une autorité prend une décision qui affecte les droits fondamentaux des destinataires, le principe de contradiction fait que les gens doivent pouvoir présenter leurs observations. Ça n’a pas été le cas ici ». Le mouvement a donc demandé la suspension de l’arrêté. L’audience au tribunal administratif de Montreuil doit se tenir le 7 juin 2017. Il a également saisi la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). La mairie, elle, n’a pas encore demandé le « concours de la force publique », qui permet à la préfecture de procéder à l’expulsion de force dans ce genre de situation. Elle attend la réponse du tribunal.

« Ce sera très difficile d’envoyer les enfants à l’école quand on sera expulsé »

« C’est la mairie qui nous a demandé d’emménager ici. Elle nous a mis l’eau courante, les toilettes, tout, se souvient, presque déjà avec nostalgie, Anamaria, 21 ans. On ne comprend pas pourquoi maintenant ils veulent nous expulser ». Sa fille de deux ans gigote dans ses bras. « On n’a aucune solution, si on part, on se retrouve sur la route. On dort sur le trottoir, dans le métro. Ce sera très difficile d’envoyer les enfants à l’école quand on sera expulsé ». Un gamin surgit d’une cabane accolée à la caravane d’Anamaria. Il montre fièrement un chaton roux rayé qu’il tient dans ses mains. « C’est une fille ! » lance-t-il tout sourire.

« Moi, j’ai peur pour ma famille », explique la cousine d’Anamaria, Florina, 26 ans. « J’ai trois frères ici qui sont à l’école. On veut que les petits grandissent avec une bonne mentalité, et qu’ils puissent trouver du travail, avoir une vie normale ». En France depuis 2009, elle travaille au noir dans des restaurants et des bars ou encore fait des ménages.

Floare Coman, dite Mica, 58 ans, vit depuis 12 ans à Bobigny. Le camp de la rue de Paris est le plus stable qu’elle ait connu.

Son père, Marcel, est artisan ferrailleur. Il a le statut d’auto-entrepreneur, comme la majorité des actifs ici. Ce statut vient donner un cadre légal à une activité de survie largement pratiquée par ces habitants précaires. Il est enregistré, il paye des charges. André ne compte plus les terrains sur lesquels il a vécu depuis qu’il est arrivé en France. Il fait tourner sa main dans les airs en y repensant. Le même geste que Floare Coman, dite Mica (surnom affectueux qui signifie mamie).  À 58 ans, dont 12 passés à Bobigny, elle aussi a bien du mal à se souvenir du nombre de terrains sur lesquels elle a vécu. Mais elle est sûre d’une chose, celui-ci est le plus stable de tous. « En trois ans, il y avait au moins une carte de séjour par famille, résume Clémence Lorgner, travailleuse sociale sur le terrain à l’époque où « Rue et cité » y intervenaient. Il y avait la sécurité sociale de droit commun, CMU ou RSI, il y avait du boulot dans à peu près toutes les familles, quelques contrats de travail ou le statut d’autoentrepreneur pour ceux qui ferraillaient et un bon suivi de la scolarité ». 

Aucune solution de relogement proposée

Jusque-là, aucune solution de relogement pérenne n’a été proposée aux habitants de la rue de Paris. « Nous n’arrivons déjà pas à reloger les Balbyniens, ce n’est pas de notre responsabilité, c’est de celle de l’Etat », fait valoir la mairie. Les dispositifs d’hébergement d’urgence de l’État ne proposent de solutions d’hébergement que très transitoires et uniquement aux publics les plus vulnérables. Or, selon le sociologue Louis Bourgois, spécialiste des bidonvilles en France, l’instabilité dans laquelle des expulsions sans solution pérenne plongent les familles casse les dynamiques d’insertion. Chacun doit rebâtir tout ou partie de ce qu’il avait construit.

« Les habitants le savent, assure Samir Mile. L’idée n’est pas de les maintenir ici ad vitam eternam. Mais il faut d’abord trouver un ailleurs vivable. Si ces enfants-là sont expulsés avec leurs parents, il devront aller vivre dans des bidonvilles ou dans la rue. »

Alban ELKAÏM

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