La guerre des sexes est le sujet de l’essai d’Olivia Gazalé. Pour imposer sa domination sur la femme, l’homme aurait construit « le mythe de la virilité ». Depuis la préhistoire, il est difficile d’être une femme mais aussi un homme. Les unes comme les uns sont asservis et soumis à des pressions sociales et culturelles. Même les premières vivent toujours sous la domination masculine. Comment en est-on arrivé là ?

Épisode 1 : C’est quoi un homme ?

Force est de constater que le débat fait rage. Les tribunes s’accumulent, se répondent et s’affrontent. On s’écharpe sur les réseaux sociaux et sur les plateaux télé. L’affaire Weinstein aura au moins permis de mettre le débat sur les violences sexuelles en première ligne, et les hashtags #balancetonporc et #MeToo de libérer la parole des femmes. Pour que les agressions et les harcèlements cessent, voire que le sexisme et le patriarcat disparaissent définitivement, il faut s’inscrire dans un temps long. L’essai de la professeure et philosophe Olivia Gazalé tombe à pic. L’ouvrage offre des clés de compréhension sur la construction du mythe de la virilité au fil des siècles, ce socle d’airain de la domination masculine, une norme, un idéal, celui de la supériorité du masculin sur le féminin.

En tant qu’homme féministe, je ne pouvais passer à côté. Il est question dès les premières lignes de la crise de la masculinité. Les hommes ne sauraient plus comment se comporter. En cause : ces hystériques de féministes. Les conquêtes féministes ont provoqué la déconstruction de l’idéologie viriliste. On entend aujourd’hui, qu’en plus d’avoir fait perdre ses repères aux hommes, en plus d’avoir engendré la « crise de la virilité », le mouvement féministe aurait réussi à inverser le rapport de domination : nous serions donc dans une chasse à l’homme.

Des exemples ? Les débats à la télévision nous en donnent à foison : des torrents de male tears, de « on ne sait plus comment draguer », « on ne peut plus rien dire », « les féministes nous censurent »… Les hommes, ces nouveaux martyrs. Pour illustrer ces propos, regardez cet extrait de l’émission C l’hebdo sur France 5, et cette séquence qui avait pour titre : « Elles dénoncent ‘la chasse à l’homme‘ ». Tout un programme.

Marianne nous propose de « libérer la parole des hommes », « accusés, planqués, gênés, muets », de lutter contre « l’ordre moral ». Gênance absolue face à cette Une.

Oui, il existe bel et bien « une problématique proprement masculine, aux effets sociologiques douloureux, mais les femmes n’en sont pas responsables », répond Olivia Gazalé dès les premières pages de son essai. Au contraire, « on peut émettre la supposition suivante : la ‘crise de la virilité’ serait une sorte de pathologie endogène, qui se serait déclarée bien avant l’émancipation des femmes et dont les symptômes se répéteraient invariablement depuis des siècles ». Car « être un homme, c’est obéir à un faisceau d’injonctions, comportementales et morales, et faire sans cesse la démonstration de leur parfaite intériorisation, si bien que la virilité constitue, une sorte de performance imposée, un idéal hautement contraignant ».

La virilité doute d’elle-même et cela bien avant la révolution féministe, la virilité a toujours besoin de convaincre, mais surtout de se convaincre, qu’elle est la totalité de sa propre essence, c’est-à-dire que les hommes vivant dans ce monde viriarcal ont besoin de s’affirmer, de montrer qu’ils sont des hommes, des vrais, des forts, des courageux, des dominants qui rejettent ainsi dans les limbes les femmes, inférieures et tenues à l’écart et au silence, mais également tous ceux qui ne correspondent pas au canon viril dominant. « Honte à celui qui n’a pas fait de son sexe un outil de pouvoir ». Le voilà, le mythe.

Par ce passage, je me rends compte que cette « crise de la virilité », un concept que je pensais d’abord vide de sens, est en fait bien réelle, mais surtout qu’il existe depuis la construction de ce monde viriliste. Il existe bien un malaise masculin… dont l’émancipation des femmes n’est pas la cause. Je peux enfin mettre des mots sur ce qu’Olivia Gazalé nomme « le complexe viril » : « J’ai appelé complexe viril l’inquiétude primordiale de l’homme quant à son identité sexuée, ce sentiment permanent de menace, de vulnérabilité, qui le condamne à devoir sans cesse prouver et confirmer, par sa force son courage et sa vigueur sexuelle, qu’il est bien un homme, autrement dit qu’il n’est ni une femme, ni un homosexuel ».

À la lecture de ces mots, un reportage de France 2 sur des « stages de masculinité », des sortes de camps de virilisation, me vient tout de suite à l’esprit. Le titre de la séquence : « C’est quoi un homme ? ». Le reportage aurait très bien pu s’appeler « Insecurity in your masculinity ».

Nous, les hommes, grandissons avec l’idée qu’il faut valoriser la force, le goût du pouvoir, transpirer la virilité. Avec l’idée aussi que l’homme doit réprimer ses émotions, redouter l’impuissance et condamner l’effémination. Et nous voici dans une fuite en avant dans l’affirmation de ce que nous croyons être. Finalement, le devoir de virilité devient un fardeau.

On retrouve dans King Kong Théorie, essai autobiographique de Virginie Despentes, ce « complexe viril », que l’auteur décrit ainsi : « Qu’est-ce que ça exige, au juste, être un homme, un vrai ? Répression des émotions. Taire sa sensibilité. Avoir honte de sa délicatesse, de sa vulnérabilité. Quitter l’enfance brutalement, et définitivement : les hommes-enfants n’ont pas bonne presse. Être angoissé par la taille de sa bite. Savoir faire jouir les femmes sans qu’elles sachent ou veuillent indiquer la marche à suivre. Ne pas montrer sa faiblesse. Museler sa sensibilité. S’habiller dans des couleurs ternes, porter toujours les mêmes les mêmes chaussures pataudes, ne pas jouer avec ses cheveux, ne pas porter trop de bijoux, ni aucun maquillage. Devoir faire le premier pas, toujours. N’avoir aucune culture sexuelle pour améliorer son orgasme. Ne pas savoir demande d’aide. Devoir être courageux, même si on n’en a aucune envie. Valoriser la force quel que soit son caractère. Faire preuve d’agressivité. Avoir un accès restreint à la paternité. Réussir socialement, pour se payer les meilleures femmes. Craindre son homosexualité car un homme, un vrai, ne doit pas être pénétré. Ne pas jouer à la poupée quand on est petit, se contenter de petites voitures et d’armes en plastique supermoches. Ne pas trop prendre soin de son corps. Être soumis à la brutalité des autres hommes, sans se plaindre. Savoir se défendre, même si on est doux. Être coupé de sa féminité, symétriquement aux femmes qui renoncent à leur virilité ».

Rien de pire pour un homme aliéné que d’être pris pour une femme ou un homosexuel, comme on a pu le voir récemment avec ce représentant américain de Pennsylvanie qui réagit de manière épidermique lorsque son collègue lui touche l’avant-bras :

Comme l’écrit la cofondatrice des Mardis de la philo : « Depuis toujours, les hommes sont les agents de leur propre oppression ou, selon l’expression de Marx, dominés par leur domination ». Hormis les dominants, nul n’a intérêt à une idéologie de la domination, de la discrimination et du rejet de l’autre. Heureusement, ce système viriarical « se déconstruit en Occident » depuis un siècle et « il y a lieu de s’en réjouir ».

Miguel SHEMA

À suivre « Épisode 2 : La rhétorique de la nature »

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