Yannick Saint Aubert se projette au-delà de l’horizon barré par la visière de la casquette. Sa banlieue, c’est l’univers. Avant les élections municipales de 2008, cet apologiste des périphéries urbaines s’est entretenu avec le maire de Bondy Gilbert Roger (PS) pour tenter de gagner la partie de l’Education populaire. Evitant les vagues, le discours qu’a confectionné Yannick Saint Aubert au premier magistrat de la ville n’en était pas moins stratégique puisqu’il a été victorieux : le militant associatif est devenu conseiller municipal délégué à l’Education populaire.

« Le maire m’a soutenu dans ce combat contre les stigmatisations, le fatalisme culturel. » Le directeur d’école aux 38 rentrées scolaires à son tableau de chasse aimerait que chaque individu se réalise : « Pour quantité de raisons, tous n’ont pas pu aller au bout de leurs rêves. J’avais envie de crée des lieux de compensation culturelle qui permettent à chacun, suivant sa trajectoire sociale, de se construire autrement en découvrant un monde des idées et de la culture pas immédiatement accessible en banlieue. »

Yannick Saint Aubert a structuré un pôle d’excellence avec des universitaires jouissant d’une certaine cote. Parmi eux, Céline Scemama, maître de conférences en esthétique du cinéma à la Sorbonne ; Benoît Rittaud, mathématicien, maître de conférences à Villetaneuse ; Vincent Manac’h, agrégé en éducation musicale ; Bruno Denaes, secrétaire général de France Info… Il confie : « Je ne voulais surtout pas des contenus de bas niveau et pas des intervenants de moyen niveau, comme moi, parce qu’on est en banlieue. Mon critère, ce ne sont pas les paillettes, mais les compétences. Il y a des citoyens impliqués parmi ces professeurs. C’est plutôt cette relation-là que je voulais. Je ne vais pas donner des noms mais j’ai vu des gens qui étaient juste intéressés pour mettre sur leur cursus « je passe le périph et je viens donner de la nourriture intellectuelle aux banlieusards ». »

Sylviane Agacinski, philosophe et intervenante à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, épouse de l’ancien premier ministre socialiste Lionel Jospin, est la marraine de cette université populaire. Elle a joué un rôle clé dans la fédération des intervenants, visiblement très emballés par le projet. « Elle leur a fait comprendre que c’était du lourd, du sérieux. » Musique, cinéma, mathématiques et fabrique de l’information sont au programme de cette année.

Le choix s’est fait en fonction du réseau de Yannick Saint Aubert et de ses rencontres : « Il y a des choses qui me paraissaient évidentes. Pour un public qui consomme de l’image, comme tout à chacun, cela me paraît une nécessité de travailler autour de l’image, du film. J’ai connu Céline Scemama car ma fille est en fac de cinéma et elle m’a parlé d’elle. Je l’ai rencontrée et c’était un coup de passion pour elle de venir enseigner ici. Donc, c’est aussi lié à l’intervenant. »

La présence à Bondy de la Maîtrise de Radio France et de l’ESJ Lille à travers son partenariat avec le Bondy Blog, ont incité certains professeurs à dire « oui » à la proposition de Yannick Saint Aubert. « Je ne crois pas qu’il faille adapter le contenu universitaire à un public dit de la banlieue. Je crois que nos concitoyens sont capables d’entendre tout. Tout ce que les gens croient perdu définitivement, ce qui leur paraît opaque peut être éclairé, à leur portée. Le mathématicien Benoît Rittaud a l’habitude de démystifier les mathématiques qui sont un enjeu fort. Pour la musique classique écrite, j’ai rencontré l’ancienne administratrice de Radio France, Agathe Bioulès, quelqu’un de passionnant, qui a su me parler de la musique à moi qui ne sais rien faire en musique. A Bondy, il y a beaucoup d’enfants, mais aussi beaucoup de parents qui fréquentent l’école de musique, donc c’est aussi ce public-là qui était visé. »

Les inscriptions sont d’ores et complètes depuis quelques mois déjà, l’ « uni-pop » attirant des retraités, des actifs assoiffés de nouvelles connaissances. En outre, Yannick Saint Aubert a approché ceux qui se disaient, « ça, c’est pas pour moi ». « Je suis en relation avec les maisons de quartiers. Il y aura des encadrants qui vont faire venir des gens. Il y a aussi tout un public de femmes seules. Il faudra peut-être trouver un moyen de garde alternative des enfants à ce moment-là. Il y a tout un travail de fond à faire à ce sujet. »

Cette université semble avoir un bel avenir devant elle : « L’idée, c’est qu’il y ait sur trois ans un petit cursus, et qu’à moyen terme et sans narcissisme, ça devienne l’université de la Seine-Saint-Denis. Il faut de l’ampleur à ce projet, que des émissions viennent ici, de la trempe de celles diffusées sur France Culture. »

Université populaire d’un côté, « prépa » journalisme ESJ-Bondy de l’autre : ça devient « in », Bondy.

Stéphanie Varet

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