Plusieurs artistes répètent, regroupés en cercle, devant l’entrée de l’édifice rouge. Il est tout juste 20 heures, le public commence à affluer pour écouter les pépites de Nanterre et des environs. Ils sont nombreux à venir se produire pour la dernière soirée dans ce bâtiment qui en a vu tant d’autres pendant plus d’un demi-siècle.

Le projet de fermeture de La Maison Daniel-Féry, les Nanterriens en entendent vaguement parler depuis une dizaine d’années. Mais ce 27 mai, la rumeur devient réalité. « Aucune annonce claire n’a été faite par la municipalité sur le sujet et aucun débat n’a eu lieu, regrette Amelie*, qui assiste régulièrement aux concerts donnés dans cette salle. On a été un peu prévenu au dernier moment. C’est vraiment dommage parce que c’est un super lieu, ancré dans le territoire et les jeunes sont contents d’y venir. »

Une pétition circule depuis quelques semaines pour enjoindre la municipalité à revenir sur sa décision et lancer un appel à idées pour qu’une solution pérenne soit trouvée.

« C’est un signal fort de la gentrification »

La maison Daniel Féry est une salle de concert avec 300 places debout, qui possède également un espace jeunesse avec des activités, des ateliers et des rencontres.

Un lieu d’effervescence culturelle depuis des décennies, auquel les habitants ont grandement contribué. « J’ai connu cette salle à l’âge de 11 ans, elle est importante, car elle représente l’âme du quartier de Nanterre université. C’est un point de repère pour nous, on a assisté ici aux premiers open mics, aux battles de danse », raconte avec nostalgie Francklin, âgé de 42 ans, casquette noire vissée sur la tête.

Le côté intimiste et familial du lieu est loué par Cinthya. « Cette salle est proche des Nanterriens et représente pour moi un espace de liberté d’expression. » Elle regrette le transfert des activités dans le centre-ville, « dans un bâtiment institutionnel, ce qui risque de limiter l’accès aux jeunes de quartier. C’est un signal fort de la gentrification et d’un changement de population », assure cette habituée des lieux.

Quelques instants avant le début du concert, les artistes signent la pétition, mais sans grande conviction d’obtenir un rétropédalage de la municipalité.

Un lieu où nombre d’artistes ont fait leurs armes

Plusieurs rappeurs se sont rencontrés à la maison Daniel Féry lors des célèbres soirées open mic. «  Je viens souvent ici, c’est familial, tout le monde se parle et se connaît, il y a du haut niveau. Et il y a tellement de souvenirs ancrés ici », témoigne Shayko, organisateur de soirée et rappeur.

La maison Daniel Féry est un tremplin pour les artistes en herbe, qui y ont fait pour certains leurs premières scènes. Des rappeurs comme Kalash, Lomepal, Admiral T ou Luv Resval y sont passés avant de se faire connaître du grand public.

C’est aussi un endroit qui accompagne artistiquement et donne de grandes opportunités. « Ça fait un an que je viens ici et j’arrive à avoir des créneaux de répétition. Ils me placent sur des évènements et grâce à l’accompagnement de cette structure, j’ai fait la première partie de Franglish, il y a quelques semaines, donc ça fait plaisir », se félicite Snooper, rappeur montreuillois de 26 ans. Son cousin, David, ajoute : « Ils sont ouverts à la discussion, ils nous écoutent musicalement parlant et on kiffe ce lieu. »

J’ai fait ma première scène ici, c’est une salle et des gens qui m’ont beaucoup apporté

La soirée débute et plusieurs artistes se succèdent sur la scène, à la fin de leurs prestations chacun d’entre eux évoque son lien personnel au lieu. Des artistes qui sont montés pour la première fois sur scène et qui aujourd’hui écument les salles de spectacle. Tous ont un mot pour Mass, l’organisateur des soirées open mic, un mot pour les équipes techniques et le public.

C’est le cas de Djimi. « J’ai fait ma première scène ici, et c’est super important pour moi. C’est une salle et des gens qui m’ont beaucoup apporté. Merci pour tout ce que vous avez fait pour Nanterre, merci Daniel Féry, on s’en souviendra toute notre vie ! », conclu l’artiste.

L’ambiance est joyeuse dans l’assistance et le public savoure cette ultime soirée malgré la tristesse de quitter un lieu mythique. Tous nourrissent l’espoir de retrouver cette atmosphère dans la future salle du centre-ville.

Aïssata Soumaré

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