« 1978 », peint en couleurs vives sur un immeuble vieillissant dont les rares fenêtres non murées donnent l’impression d’un bâtiment fantôme. Cette date, c’est un des premiers graffiti que nous apercevons en arrivant sur place, mais c’est aussi l’année de construction des Chaperons 2.

Quarante-cinq ans après être sorti de terre, le quartier, niché au milieu de la commune de Brie-Comte-Robert (77) va être détruit. Au fur et à mesure que nous entrons dans le quartier, nous découvrons d’immenses fresques redonnant vie à des crépis rongés par le temps.

En ce dernier week-end de mai, Les Chaperons, sont en effervescence : c’est le jour J, la présentation officielle d’un projet artistique d’envergure débuté en août dernier. Fresques, portraits des habitants, photographies, viennent colorer la cité, tant sur les façades qu’à l’intérieur des bâtiments.

Un artiste habitué des projets consacrés à la mémoire des quartiers

Vince l’instigateur du projet nous guide. Le graffeur en tant que « curateur » s’active depuis l’été dernier à penser le projet, inviter d’autres artistes et créer un cadre favorable pour ceux qui viennent peindre ici. « Dans un quartier, l’espace public est aussi un espace privé. On ne peut pas y peindre comme dans un terrain vague ou un centre-ville. La première chose, c’est de fréquenter le lieu, d’écouter, de prendre le temps de créer une relation de confiance avec les habitants… » explique l’artiste.

Vince est un habitué des projets consacrés à la mémoire des quartiers populaires. On peut apercevoir ses œuvres sur les murs d’Ivry-sur-Seine, de Malakoff, de Corbeil-Essonnes ou de Grigny. Pour lui, il était essentiel de concilier « un projet 100 % artistique en accueillant des artistes de divers horizons et conserver une dimension 100 % humaine. »

© Noah Beelmeon

Un quartier à taille humaine

« Les chaperons, c’est un quartier à taille humaine, pouvant accueillir initialement 200 familles. Mais surtout, c’est “le” quartier dans une petite ville pavillonnaire du 77 avec toute la violence sociale que cela peut engendrer », rappelle l’artiste.

Pourtant, ici, on est loin des grandes cités aux longues barres horizontales ou aux tours de 20 étages. Le quartier se compose de petits bâtiments de quatre étages tout au plus et donne sur l’immensité des champs et du vert à perte de vue. « Ici, c’est la Normandie », rigole le graffeur, tout en racontant la légende urbaine de la main verte qui enlevait les enfants qui s’aventuraient dans les champs.

Chacun son portrait

« Ça, c’est un hommage à la dame aux pigeons », explique Vince face à une immense peinture au ton bleu où des volatiles se disputent un kebab. « Ici, c’était le bâtiment de Mamie Nova, poursuit-il. Mamie Nova, ça vient du fait qu’un jour, elle avait touché un stock de yaourts qu’elle avait distribué dans toute la cité. »

Dans les années 2000, l’histoire de la vieille dame avait défrayé la chronique. Touchant le minimum vieillesse et en précarité financière, Mamie nova bicravait du pilon depuis son appartement. Au-dessus de tout soupçon, la soixantenaire avait mené son business pendant quelques années avant de se faire dénoncer. Elle a même inspiré le film Paulette. Mamie nova est décédée quelques années après sa sortie de prison, mais ici tout le monde s’en souvient.

C’est dommage que ça n’ait pas été fait avant. Il faut un projet de démolition pour qu’on essaye enfin d’embellir le quartier

« Moi aussi, je veux mon portrait », s’exclame Myriam, 81 ans, arrivée en 1962 à Brie. Elle dépeint les Chaperons comme un quartier trop longtemps abandonné par les pouvoirs publics : « C’est super ce qui est fait aujourd’hui, magnifique, mais c’est dommage que ça n’ait pas été fait avant. Il faut un projet de démolition pour qu’on essaye enfin d’embellir le quartier », regrette la locataire qui aujourd’hui vit seule dans sa cage d’escalier, en attente de relogement, face à des portes de paliers scellées.

D’ailleurs, c’est dans son immeuble vidé de la quasi-totalité de ses habitants qu’une exposition a lieu, et qu’un ancien appartement a été relooké par l’artiste Shore. Des couleurs vives, des graffs à profusion, des punchlines, en veux-tu, en voilà. Parce qu’ici « comme dans toutes les cités, il s’est passé plein de trucs. »

© Noah Beelmeon

Le temps des retrouvailles

À l’opposé du quartier, un mur entier est dédié au Seventy Seven Crew. Ce groupe de danseurs, avec les rappeurs de la Combinaison ont été des acteurs majeurs du développement de la culture Hip-hop dans les années 90-2000 dans la ville. « Le Hip-hop nous soudait. On faisait tout ensemble. On dansait ensemble, on se bagarrait ensemble », se rappellent Mastre, Samy, Henrique, Rougeo, Yavuz, anciens membres du collectif, revenus sur place le temps d’un week-end.

Les quadragénaires se rappellent le bon vieux temps. Certains ont quitté le quartier depuis des lustres et ne se sont pas revus pendant 10 ans. D’autres comme Mastré font des allers-retours. Pourtant, lors de ces retrouvailles, « c’est comme si rien n’avait changé, tout se fait naturellement, ça vanne, ça sort les dossiers comme si on s’était vu la veille », s’accorde à dire la bande de copains.

Un livre pour ne pas oublier

« Parce qu’avec la démolition du quartier, ses œuvres sont vouées à disparaitre, il était important de laisser une trace. » C’est donc un livre de 107 pages qui a été offert à l’ensemble des habitants. À l’intérieur, 700 photos, des portraits en noir et blanc tirés par le photographe l’Instable photographie. On y trouve aussi des photos d’archives récupérées auprès des familles et de la ville. Y figurent aussi des témoignages, des récits de vie et les fresques réalisées dans le cadre du projet Chaps 123. Un condensé de qu’a été la vie aux Chaperons pendant 45 ans.

C’est mon point d’ancrage, mon nid. J’y reviens toujours. Ça me fait mal qu’ils détruisent tout ça

Si la plupart de ceux qui ont grandi ici sont partis, la destruction de la cité génère néanmoins de l’amertume « C’est une grosse partie de notre existence qu’ils vont effacer », regrette Yaruz.  De son côté, Mastre redoute cette démolition. « Ici, c’est la maison mère. Je suis partie plusieurs fois, j’y suis toujours revenu. C’est mon point d’ancrage, mon nid. J’y reviens toujours. Ça me fait mal qu’ils détruisent tout ça. »

Céline Beaury

Photos de Noah Beelmeon

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