Article initialement publié le 22 mars 2022.

Tout est parti d’un simple jeu devenu viral. Nous sommes le 6 décembre 2019. Djibril, alias Gay l’ancien, interpellé par des éclats de rire, rejoint un groupe de jeunes amassés en pied d’immeuble. Leur objectif ? Loger un ballon de foot dans un petit bout de fenêtre d’un local poubelle du 24 rue Jules Vallès, un bâtiment du quartier des Pyramides à Evry-Courcouronnes. D’une frappe enroulée, Djibril réussit le défi du premier coup.


La première vidéo de la lucarne postée par Malamine cumule aujourd’hui 2 millions de vues. 

« Ce jour-là, je filme et décide de poster la vidéo sur les réseaux sociaux sans me douter du buzz qui va suivre, confie son frère Malamine Sissoko, un hyperactif aux multiples casquettes (éducateur au Evry FC, créateur d’une marque de tee-shirt, rappeur, NDLR). Sur le moment, sa réaction est magique car il repart fier en marchant. De là est née cette belle histoire dont on se souviendra longtemps. »

D’habitude, quand on parle d’Evry, ce n’est pas toujours pour en dire du bien. Chez nous, le foot occupe une grande place et ce défi a donné une image positive du quartier.

En cumulant près de 7 millions de vues en une poignée de jours sur les différents réseaux sociaux, ce tir en pleine lucarne va changer la vie de tout un quartier . Du jamais vu. « C’est là que l’on se rend compte que le foot a un pouvoir de dingue, poursuit Malamine. D’habitude, quand on parle d’Evry, ce n’est pas toujours pour en dire du bien. Chez nous, le foot occupe une grande place et ce défi a donné une image positive du quartier sur notre capacité à faire des choses ensemble dans l’autodérision et le respect, à se rassembler autour de valeurs communes, tout cela grâce à un ballon et une fenêtre. »

De gauche à droite. : Malason, Gay l’ancien, Soumchenko, Mirsa et Souli. © Florian Dacheux

Depuis, cette fameuse fenêtre est devenue une vraie vedette, à tel point que Google l’a même rebaptisé « la lucarne enchantée » sur son moteur de recherche. Aux quatre coins de la France, l’engouement est total. Alors que les périodes de confinement se succèdent, jeunes et moins jeunes sont de plus en plus nombreux à adapter le défi pour passer le temps avec le mobilier urbain à proximité.


En décembre dernier, l’ancien joueur du Paris-Saint-Germain, le Brésilien Nenê était venu visiter l’institution de la lucarne d’Evry. 

Du jour au lendemain, de Nenê, ex-joueur du PSG, à Mehdi Benatia, ancien international marocain, des personnalités viennent tour à tour tenter leur chance sur place. La petite lucarne finit même par faire une apparition dans le clip de présentation des 26 Bleus sélectionnés pour le dernier championnat d’Europe de football à l’été 2021. De quoi leur faire pousser des ailes…

De Villiers-le-Bel à Marseille en passant par Poissy : 30 villes au programme du tour de la lucarne

Après avoir donné un statut légal à « La Lucarne » sous la forme d’une association, Malamine et son compère Souliman Konaté, alias Souli, ont décidé courant 2021 de transformer ce buzz en concept itinérant. Comment ? En façonnant une réplique en kit du 24 rue Jules Vallès aux mêmes dimensions que l’originale. « Le mur, les poteaux, l’interphone, la fenêtre, tout y est, sourit Malamine. L’idée, c’est d’exporter le défi en proposant un pack aux municipalités intéressées afin d’aller à la rencontre de celles et ceux qui n’ont pas pu venir jusqu’à nous. »

Des jeunes de Poissy, les yeux rivés sur le ballon, et qui font la queue pour tenter le geste parfait. © Florian Dacheux. 

Depuis le 6 mars, et une première étape à Villiers-le-Bel, la bande à Mala a entamé un véritable tour de France. Pas moins de 30 villes sont au programme, le tout sponsorisé par des marques telles qu’Adidas. L’équipementier n’hésitant pas à faire figurer le quartier des Pyramides au côté de Lionel Messi dans l’un de ses derniers spots publicitaires. Au-delà du caractère sportif et des trois essais accordés à chaque participant, un volet emploi et formation est également associé avec des stands dédiés où il est possible de déposer son CV.

C’était le cas samedi 12 mars à Poissy où Karl Olive, le maire de la ville, s’est fait une joie de les accueillir, après être venu leur rendre visite en février dans le cadre de sa mission gouvernementale sur l’insertion des jeunes par le sport. Réputé pour savoir bien manier son réseau, l’ancien journaliste sportif avait même réussi à nettoyer la lucarne à son tour. « J’ai été séduit par cette initiative qu’il faut valoriser, a affirmé l’édile avant de filer à Versailles rejoindre une réunion des comités de soutien à la réélection d’Emmanuel Macron. Nos quartiers sont trop souvent stigmatisés alors qu’il y a de très bonnes idées. On a besoin de sourire et de ne pas se prendre au sérieux. Leur succès est un très bon exemple. »

Un mur en kit de neuf mètres de long aux mêmes dimensions que l’originale sera disposé dans près d’une trentaine de villes de France. © Florian Dacheux. 

Alors qu’elle s’apprête à accueillir le futur centre d’entrainement du PSG d’ici 2024, la ville de Poissy met le paquet sur le sport, et particulièrement le football, avec les venues régulières du Variété Club de France, de l’académie Diomède ou encore de Didier Roustan et ses ateliers jeunesse mêlant ballon rond et journalisme. « C’est ludique, c’est frais, ça réunit plein de gens, estime le chroniqueur de L’Equipe TV. Forcément ça me parle et me rappelle les actions que j’ai pu mener avec mon association Foot Citoyen. S’il est bien utilisé, le foot peut rassembler et aider des jeunes à reprendre confiance sur d’autres aspects. »

Nos quartiers souffrent encore de beaucoup de préjugés. Venez-nous côtoyer et échanger avec nous, vous verrez que nos jeunes fourmillent d’idées. 

Sport ultra populaire, le football représenterait-il ce levier pédagogique idéal dans l’idée de fédérer certains jeunes autour de projets transversaux pour leur orientation professionnelle ? Pour Yanis et Ismaël, c’est une évidence. « La preuve, regardez comme ça rapproche des jeunes de plein de quartiers de la ville qui sont venus sur la place de la Mairie, un endroit où on vient rarement, témoignent ces éducateurs de l’Espace Vanpoulle et de la maison de quartier du Clos d’Arcy. Le foot est un bon moyen de communication pour ouvrir d’autres portes. Chez nous, on porte des projets autour de la réalisation de court-métrage, on aide des jeunes à se réaliser dans la musique. Tout est bon à prendre. »

Venu du quartier Beauregard, situé, dans les hauteurs de la ville, Walim, 15 ans, corrobore : « On a tous suivi le gros buzz qui a démarré sur Tik Tok. C’est un bon concept qui donne envie. C’est très malin d’avoir reproduit la même façade qu’à Evry. »

Le sourire en coin, Gay l’ancien, celui par qui tout a commencé, observe ses successeurs. © Florian Dacheux

Une idée de génie qui donne des idées à certains mais aussi quelques regrets… « Cela prouve que l’on peut faire de grandes choses en partant de rien, affirment à leur tour Walid, Syan, Said et Robien d’André Malraux, un centre social au fort potentiel encore sous-exploité. Chez nous, à Beauregard, on a plein de projets qui nous tiennent à cœur mais ça n’avance pas encore comme on le souhaiterait. Il nous faut juste l’appui et le soutien pour concrétiser, mais il y a peut-être d’autres priorités. Nos quartiers souffrent encore de beaucoup de préjugés. Venez-nous côtoyer et échanger avec nous, découvrir qui nous sommes réellement. Vous verrez que nos jeunes fourmillent d’idées. »

Eviter les risques d’un buzz éphémère

Seul bémol de la journée ? Les stands emploi, de l’aveu même d’un employé de mairie conscient que « ça n’a pas du tout fonctionné, les jeunes avaient les yeux rivés sur l’animation foot ». Des jeunes pour la plupart encore au collège qui n’avaient d’yeux que pour Alban Ivanov. Originaire de Vélizy et ancien joueur au FC Versailles, l’humoriste est venu amuser la galerie sur les coups de 16h, lui qui pourtant est à l’affiche du film « Les Segpa » dont la bande-annonce stigmatisante n’augure rien de rassurant.

De leurs côtés, Souli, Gay l’ancien, Soumchenko, Mirsa, Scori et Malason comptent bien rendre leur projet pérenne et ainsi éviter les risques d’un buzz éphémère porté uniquement sur l’aspect événementiel. Repérés pour avoir su utiliser avec brio les réseaux sociaux, ces derniers ont récemment intégré le « Fighters Program » de Station F, l’immense incubateur de start-up à Paris. Un soutien de taille qui va leur permettre de bénéficier pendant un an d’un bureau et d’une mise en relation avec des entrepreneurs innovants.


La lucarne d’Evry devient officiellement une Start-Up et fait son entrée, en février dernier, dans l’incubateur de la Station F à Paris. 

« Cela nous encourage à persévérer, commente Malason. C’est beaucoup de boulot mais c’est une bonne fatigue. Chaque jour qui passe, on apprend et on avance. La base, c’est de croire en soi. Le but est vraiment d’attirer les jeunes vers quelque chose de plus profond qu’un simple ballon. On pense à tous ceux qui cherchent un job ou qui ont décroché du milieu scolaire. »

L’appel est lancé. Attendus à Marseille, Poitiers ou encore Bordeaux, leur aventure ressemble peu à peu à une petite entreprise. Iront-ils au bout de leur pari ? On fera le bilan le 2 juillet prochain lors de la finale à Evry.

Florian Dacheux

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