Il est aux environs de midi. Deux rangées de caddies sont alignées, faisant office de barrière à l’entrée du parking vide. Seul un agent de sécurité fait des rondes. Le temps est ensoleillé, pourtant on remarque tout de suite que le quartier et le marché sont moins agités qu’à l’accoutumée.

Aujourd’hui et pour une période indéterminée, le Lidl de Bondy nord n’accueillera pas de clients. Dans la nuit de révolte du 29 au 30 juin, le magasin a été pillé et saccagé. Les dégâts sont suffisamment conséquents pour qu’il soit fermé juste à nouvel ordre. Le samedi 1ᵉʳ juillet, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire annonçait que plus de 200 magasins de la grande distribution avaient subi le même sort.

Aujourd’hui, commerçants et habitués de ces enseignes doivent s’adapter pour continuer à faire leurs courses. Les habitudes sont chamboulées. Dans certaines zones peu dotées en commerces, comme à Bondy nord, la mission peut s’avérer délicate, particulièrement pour les personnes âgées ou les personnes à mobilité réduite.

Un manque de commerces dans les alentours

« On allait toujours faire des achats à Lidl », explique Rachida*, une habitante du quartier. Maintenant, sa fille est contrainte d’aller au Lidl de Bobigny pour s’occuper de ses courses, ce qui la rend dépendante. « Elle n’est pas toujours disponible », précise-t-elle.

Lidl est l’un des rares commerces accessibles facilement pour les habitants du quartier. « Il y avait le “ED” avant, mais ils l’ont fermé. Ils ont construit des logements à la place », relate Rachida. Le marché Suzanne Buisson, qui a lieu les mardis, jeudis et samedis, compense en partie, mais certains produits de première nécessité comme le lait ou le pain sont absents des étalages.

Je suis en colère, comment on va vivre ici ?

Une dame âgée se repose sur un banc. Faire ses courses, c’était sa sortie quotidienne, dit-elle. Cela fait 20 ans qu’elle vit ici. Elle est désormais obligée de prendre le bus pour aller dans une autre grande surface. « C’est les mêmes prix, mais c’est trop loin, s’agace-t-elle. Je suis en colère, comment on va vivre ici ? »

Plus qu’un commerce, un lieu de vie

Comme cette dame, plusieurs habitants du quartier soulignent l’importance du magasin dans leur quotidien. Il rendait le quartier plus vivant, les mamans ou les enfants y allaient s’acheter leur goûter. « Même quand on a besoin de rien, on y va », raconte Rachida.

Bien que la plupart des habitants comprennent la colère, certains ne comprennent pas les pillards. « Il ne faut pas faire des trucs qui nous rendent la vie plus chère ! », lance un client du marché. Une fois le choc des événements passé, la question qui est sur toutes les lèvres : Combien de temps et à quel prix, pour un retour à la normale ?

Stéphane* trouve la situation « galère » mais la prend avec philosophie. « On s’habitue, ça fait partie de la vie de quartier », expose-t-il. Le quadragénaire doit aussi faire les courses pour sa mère qui ne peut pas se déplacer. Il n’est pas véhiculé, mais relativise, car l’autre Lidl de Bondy au moins n’a pas brûlé. « Je ne sais pas comment j’aurais fait sinon ». 

Le marché de Bondy nord, victime collatérale de la fermeture de Lidl

Depuis une semaine, la clientèle se fait moins nombreuse au marché de Bondy nord à cause de la fermeture du Lidl. Le parking, aujourd’hui clos, était utilisé par les Bondynois pour se garer lorsqu’ils allaient au marché. L’inquiétude transparait sur le visage de la commerçante. « Les gens se plaignent de ne plus pouvoir se garer, il faut aller plus loin maintenant », déplore-t-elle.

La banque postale à l’entrée du quartier a également été victime des soirées de révolte et a dû fermer, ce qui ne permet plus de retirer d’argent en liquide. Un problème qui affecte aussi les commerçants du marché. « Les gens achètent beaucoup en espèces. Maintenant, il y a moins de monde. »

Le marché couvert, juste derrière nous, a déjà brûlé il y a 3 ans. Ils l’ont laissé comme ça

Les derniers évènements viennent s’ajouter à une situation déjà fragile dans la ville. « Le marché couvert, juste derrière nous, a déjà brûlé il y a 3 ans, rappelle la commerçante. Ils l’ont laissé comme ça. Il y a encore les tables calcinées à l’intérieur. » 

Concernant une possible réouverture, les rumeurs vont bon train sur internet et dans le quartier. « C’est malheureux, les gens n’arrêtent pas de demander quand le Lidl va rouvrir. On entend dire que ça sera dans un mois ou même qu’il ne rouvrira pas. Ce serait encore pire », s’inquiète Rachida. À l’heure actuelle, difficile de savoir combien de temps sera nécessaire à la réouverture de l’enseigne. Les Bondynois devront s’adapter.

Samira Goual et Thidiane Louisfert

*Les prénoms ont été modifiés

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