« Cette terre, c’est mon médecin », explique Chahba, tisserande en Kabylie. Comme elle, Dehbia et Kissa, héroïnes du documentaire, partagent leur rapport à la terre. Elles racontent une vie rythmée par les tâches quotidiennes de leur travail traditionnel. Azar, du kabyle “racines”, c’est 72 minutes de film pour rendre hommage aux femmes de la culture kabyle dont le réalisateur, Malik Bourkache, 34 ans, est issu.

Originaire de Tizi Ouzou, il s’est donné une mission de transmission de son héritage amazigh en embarquant sa caméra dans les hauteurs des montagnes du Djurdjura. Entretien. 

À travers ton film Azar, tu as choisi de documenter essentiellement la vie des femmes. Est-ce que c’était dans une démarche féministe ?

Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un documentaire féministe, mais c’est un documentaire sur les femmes. C’était une volonté de ma part de traiter le sujet sous cet angle parce que j’estime que les femmes kabyles ont transporté et transmis la culture à travers les siècles. Pour moi, c’est un juste hommage de faire un film uniquement sur elles. Je les trouve extrêmement courageuses.

Ce courage et cette résilience m’ont toujours fasciné en Kabylie

Ce qui m’a beaucoup marqué, c’est qu’elles ne se plaignent pas même si on sent qu’elles ont eu des vies compliquées. Et c’est ce que j’ai voulu faire transparaître dans le film. Ce courage et cette résilience m’ont toujours fasciné en Kabylie. C’est certainement le cas aussi dans d’autres cultures, mais je parle de cette région parce que je la connais bien, j’y ai grandi.

Avant Azar, tu avais réalisé un autre documentaire plus court, (Dé)voilée, qui raconte le parcours de vie d’une femme d’origine tunisienne qui porte le voile. C’est un peu ta ligne de retracer des histoires de femmes maghrébines courageuses qui se battent ?

Je ne choisis pas forcément des femmes. Je raconte surtout des histoires d’humains ordinaires, des histoires d’humains que je rencontre et qui me touchent. J’ai toujours été plus intéressé par le documentaire que par la fiction parce qu’il y a tellement de choses qui peuvent nous toucher, nous transcender dans les histoires réelles.

Je filme l’humain de manière générale et j’essaye de montrer par ce biais qu’il y a toujours quelque chose qui peut nous enrichir, nous orienter et tout simplement nous faire grandir. Mes films sont inspirés de mes rencontres. Pour résumer, ce sont des films plutôt simples sur des gens plutôt simples, mais qui ont, à mon sens, des vies extraordinaires.

Ton film aborde le rapport des Kabyles à la terre. Qu’est-ce que ça t’évoque, toi, quand tu retournes là-bas ?

Azar a été inspiré par une interview que j’avais faite avec une de mes tantes, il y a environ un an. Je filmais ma propre famille pour garder des images d’eux et leur rendre hommage. Et ma tante m’avait dit : « Toucher la terre, c’est mon remède. C’est quand je ne la travaille pas que je tombe malade. » Cette phrase a beaucoup résonné en moi, et je l’ai beaucoup entendue par la suite quand j’ai réalisé des portraits de personnes que je croisais en Kabylie.

J’ai pris conscience qu’on avait un rapport particulier à la terre dans notre communauté

J’ai pris conscience qu’on avait un rapport particulier à la terre dans notre communauté. On estime qu’on vient de la terre, que c’est elle qui nous nourrit et qui nous fait vivre durant toute notre existence. Je suis donc parti de cette idée pour écrire mon documentaire. Initialement, je souhaitais vraiment faire un film centré sur ce rapport à la terre. Mais après le tournage, je me suis rendu compte que le sujet de la femme était prédominant. J’ai donc changé de direction à la post-production.

Comment as-tu rencontré Chahba, Dehbia et Kissa qui sont devenues les personnages de ton film ?

Quand j’ai écrit le projet, je savais que je voulais travailler avec trois femmes qui pratiquaient trois métiers différents. Des métiers manuels pour donner de la consistance au film. J’en ai parlé autour de moi et ça s’est fait assez rapidement grâce à Idir Benchabane notamment, avec qui j’ai co-écrit le film.

L’agricultrice qu’on voit dès le début, c’est Kissa Ibrahim Ouali, la sœur de la grand-mère d’Idir. Chahba Habib, tisserande, faisait également partie de ses connaissances. Et la potière, Dehbia Ammari, est une femme dont on lui avait parlé. Il m’a donné son nom et son village et je suis parti à sa rencontre, accompagné de ma mère. Je lui ai fait part de mon projet et le reste s’est fait de manière naturelle.

Au Maghreb, la culture fait qu’il y a une certaine forme de pudeur chez les anciens. Comment as-tu réussi à gérer ça en entrant avec ta caméra dans leur vie quotidienne ?

Le premier jour, je commence rarement à filmer. Je passe environ 24 heures avec la caméra à la main, mais sans tourner. J’en profite pour passer beaucoup de temps avec elles. On discute de la vie, de ce qu’elles font, de ce que je fais. C’’est ma manière de les habituer à ma présence et à la caméra qui peut paraître impressionnante.

Je commence à filmer le deuxième jour. Il n’y a pas forcément de mise en scène. Elles font ce qu’elles ont à faire et moi, je filme. Ça évite qu’elles soient perturbées. Je pense aussi que le fait que je sois issu de cette culture facilite les choses. Je suis né en Kabylie, j’y ai grandi et j’y suis resté jusqu’à l’âge de 21 ans. Lors du tournage, j’arrivais à percevoir quand elles étaient gênées ou quand elles étaient à l’aise, si j’étais trop loin ou si je pouvais me rapprocher, s’il fallait que j’arrête de filmer ou que je quitte la pièce pour leur laisser un peu d’intimité.

Je pense que pour faire du cinéma du réel, il faut être concerné

C’est comme ça que j’ai développé cette proximité avec elles. C’est beaucoup de feeling, de ressenti que je ne pourrais pas forcément expliquer, mais qui vient probablement du fait que je connaisse parfaitement cette culture. Je pense que pour faire du cinéma du réel, il faut être concerné. Et j’ai l’avantage d’être seul pour faire mes films. Si j’étais suivi d’une équipe de tournage, mes images auraient été différentes car moins authentiques.

Dans le film, il n’y a pas de voix-off. C’était un choix ? Est-ce que c’était important pour toi de laisser la parole entière aux personnages du documentaire ?

Alors oui, c’est un choix, mais qui s’est imposé aussi par les moyens que j’avais pour réaliser ce tournage. Inclure une voix-off signifiait l’écrire, l’enregistrer, la placer, donc ça demandait quand même une certaine logistique. Mais au-delà de ça, même si j’avais les moyens de rajouter une voix, que ce soit la mienne ou celle de quelqu’un d’autre, je pense que je ne l’aurais pas fait. Je ne voulais pas exister dans le documentaire parce que j’aime ne pas intervenir et laisser totalement la parole aux sujets que je filme. Dans Azar, il n’y a ni voix off, ni musique. Ce sont des choix pour créer une relation de proximité avec les spectateurs.

On voit aujourd’hui de plus en plus d’initiatives pour visibiliser la culture et les traditions amazigh. Est-ce que ce documentaire, c’était aussi un moyen de faire vivre cet héritage ?

Je n’ai pas la prétention de faire vivre cette culture, mais j’essaye d’œuvrer à sa sauvegarde. Après, j’estime que ce n’est pas forcément de la responsabilité des artistes de le faire, c’est celle de chaque individu issu d’une culture donnée. Et c’est vrai que je vois de plus en plus d’artistes travailler sur le sujet de l’héritage amazigh, ça me fait extrêmement plaisir.

À partir du moment où on essaie de mettre en avant une culture, on participe à sa préservation et à sa transmission. Moi, j’essaie d’apporter ma pierre à l’édifice avec mes armes qui sont la vidéo. Et cette fois, j’ai eu l’impression de ne pas avoir droit à l’erreur. Je ne voulais pas décevoir ces gens que j’ai appris à connaître et qui m’ont donné de leur temps. J’ai ressenti beaucoup plus de responsabilité, comme si on m’avait accordé une mission et que je devais en être à la hauteur. Je ne prétends pas être capable de transmettre toute ma culture à travers un film, ça serait ambitieux de ma part. Mais ce qui est sûr, c’est que je la transmettrai à mes enfants et à mon entourage du mieux que je le peux.

Propos recueillis par Lilia Aoudia 

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